Élections législatives en Israël : quasi-disparition de la gauche, renforcement de l’extrême droite
Deux traits saillants ont marqué les élections législatives israéliennes qui se sont déroulées au début de ce mois. D’abord, la quasi-disparition de l’échiquier politique de la gauche sioniste qui n’a plus que quatre sièges au Parlement, la Knesset, sur un total de 120. Ensuite, la forte poussée d’une extrême droite religieuse, raciste à l’égard des Arabes et des non-juifs, homophobe et expansionniste, dont le leader, Itamar Ben Gvir, rêve de débarrasser la Palestine de tous les Arabes qui seraient envoyés en Jordanie. Les deux phénomènes sont d’ailleurs étroitement liés.
La gauche sioniste, creuset de l’État sioniste
Il faut d’abord rappeler que la gauche israélienne – sous ses variantes travailliste et socialiste – a toujours proclamé son sionisme à tout crin, c’est-à-dire son nationalisme juif. Avant même la proclamation officielle de l’État d’Israël, en 1948, elle avait mis en place pas à pas une structure étatique avec une force armée, la Haganah, et ses commandos d’élite, le Palmach, des coopératives ouvrières, des colonies collectivistes (kibboutz), des villages coopératifs (moshav), une centrale syndicale (la Histadrout), une sécurité sociale, des organisations culturelles et sportives, etc. De plus elle contrôlait l’essentiel des municipalités juives. Ce qui incita dans les années 1950 et 1960 une partie de la gauche européenne et nord-américaine à parler à ce propos, et un peu vite, de « socialisme israélien ». Et lorsque l’État sioniste est né, les travaillistes se sont retrouvés naturellement aux postes clés du pouvoir, depuis les dirigeants du gouvernement (Ben Gourion, Golda Meir) jusqu’à ceux de l’armée (Moshe Dayan, Itzhak Rabin), en passant par la police, la justice, voire régulièrement la présidence de l’État (Ben-Zvi, Shazar, Herzog), etc.
Mais dès l’origine, le ver était dans le fruit. En s’affirmant sioniste, cette gauche désignait peu ou prou comme adversaire la population arabe, supposée occuper indûment la terre de ses ancêtres. Et nombre de kibboutz et de moshavs furent érigés sur des terres d’où avaient été chassés les fellahs palestiniens. De même il fallut une lutte de longue haleine pour faire accepter les travailleurs palestiniens au sein de la Histadrout, réservée à l’origine aux seuls travailleurs juifs et qui interdisait aux entreprises dirigées par des juifs d’employer des salariés arabes.
C’est cette même gauche sioniste qui était à la tête du pays lors des différentes guerres israélo-arabes et de l’occupation de la Cisjordanie, de Gaza et de Jérusalem-Est en 1967. Et là encore, elle continua la même politique nationaliste et expansionniste, toujours au nom de la préservation de « la Terre d’Israël ». Tout comme elle couvrit toutes les exactions de l’armée, qu’elle présentait comme « la plus morale » au monde, et accusait « d’antisémitisme » et de « négation de l’Holocauste » ceux qui critiquaient sur sa gauche cette politique colonialiste.
Le tournant des années 1970
Mais peu à peu s’est développée dans le pays une bourgeoisie qui a trouvé de plus en plus pesante la tutelle des travaillistes qui lui avaient pourtant mis le pied à l’étrier. Elle ne cachait pas son admiration pour les politiques économiques ultra-libérales de Reagan et de Thatcher. Après quelques tâtonnements, elle fit sienne l’idéologie du « sionisme révisionniste », une tendance qui, avant la Seconde Guerre mondiale, flirtait avec Mussolini et les régimes dictatoriaux du genre de l’Espagne franquiste, mettait en avant son goût marqué pour des actions terroristes contre la population arabe et son opposition viscérale à tous ceux qui, de près ou de loin, se réclamaient de la gauche et du socialisme. Elle s’opposait à tout étatisme économique et jugeait la gauche trop molle à l’égard des Palestiniens. Elle trouva une oreille attentive parmi certains Juifs orientaux, c’est-à-dire ceux originaires du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord, généralement très conservateurs, qui s’estimaient lésés par les « élites » travaillistes, en général venues d’Europe, qui occupaient le haut du panier. C’est en s’appuyant principalement sur eux que fut fondé le Likoud, parti dirigé d’abord par Menahem Begin, puis plus tard par Benyamin Netanyahou, le type même du politicien affairiste impliqué dans nombre de scandales financiers. Begin, dont le parti avant remporté les élections, fut Premier ministre de juin 1977 à octobre 1983. C’est lui qui, en 1978, signa les accords de paix avec le président égyptien Anouar el-Sadate.
Une alternance qui penche de plus en plus à droite
À partir de ce moment, gauche et droite sionistes vont alterner au gouvernement. Le dernier grand succès des travaillistes date de 1992, lorsque qu’avec le petit parti socialiste Meretz ils totalisèrent plus de 44 % des voix. Une victoire qui n’eut pas de suite et qui fut marquée par l’assassinat du Premier ministre, Yitzhak Rabin, en 1995, par un extrémiste juif mécontent des accords d’Oslo qui avaient été signés avec l’Autorité palestinienne.
Depuis lors, la droite et l’extrême droite n’ont cessé de se renforcer. Même le dernier gouvernement israélien, celui de Yaïr Lapid, qualifié de « centriste » par les observateurs, faisait une large place dans ses rangs à des formations de droite, certaines proches des colons. Formé sous la bannière de « tout sauf Netanyahou », ce gouvernement a continué une répression féroce contre les Palestiniens, fait évacuer des villages entiers pour laisser la place à des colons juifs ou à l’armée et multiplié les assassinats ciblés. Aujourd’hui il est remplacé par une bande de politiciens véreux, de fanatiques religieux et de fascistes juifs qui veulent encore aller plus loin dans cette voie et affirment pouvoir faire mieux que lui.
La fin des « deux États » ?
Beaucoup de commentateurs se sont lamentés sur le fait que le résultat de ces élections signifiait dans les faits la fin du concept des « deux États », l’un juif, l’autre arabe, vivant côte à côte en bonne harmonie. Mais ce concept a surtout servi aux différents gouvernements israéliens, de gauche comme de droite, à gagner du temps pour repousser les négociations aux calendes grecques tout en continuant sans vergogne la colonisation et les expropriations. Il a aussi été utilisé comme cache sexe par les « amis d’Israël », au sein de l’Union européenne et aux États-Unis, pour ne jamais condamner clairement l’occupation israélienne sous prétexte de préserver l’avenir d’hypothétiques négociations.
Construire une gauche révolutionnaire et internationaliste
Aujourd’hui la gauche israélienne n’existe pratiquement plus. La plupart des militants sincèrement pacifistes et anti-occupation ont déserté la sphère politique pour demeurer actifs au sein des organisations non gouvernementales d’aide et de soutien aux Palestiniens. Des ONG qui sont parfois devenues la bête noire des autorités.
Pourtant, un jour ou l’autre, il faudra bien construire une gauche nouvelle, profondément anti-raciste, internationaliste et révolutionnaire, non seulement opposée à l’occupation et au statut de seconde zone dans lequel sont cantonnés les Arabes israéliens, mais soutenant pleinement le droit des Palestiniens à disposer d’eux-mêmes et le droit au retour des réfugiés chassés de leurs terres au cours des différents conflits.
Jean Liévin
Mots-clés : Israël