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18 juin 1940

De Gaulle du côté de la liberté et de la démocratie ?

6 août 2020 Article Culture

Si les commentateurs se sont amusés de la posture de Macron dans sa commémoration de l’Appel du 18 juin 1940, ils sont pourtant nombreux dans la classe politique à essayer d’établir leur filiation avec « le Général ». De la gauche à l’extrême droite, chacun tente de mettre de Gaulle à sa sauce.

Seul « loupé » dans ces multiples tentatives de constituer l’arbre généalogique du gaullisme : Marine Le Pen, chahutée sur l’Île de Sein par « des antifas »… dont certains octogénaires qui n’ont pas apprécié l’hommage. Qui plus est un 17 juin, jour de l’allocution… de Pétain ! Chassez le naturel, il revient au galop.

D’une guerre impérialiste à l’autre

De gauche à droite, tout le monde se met d’accord sur l’appel du 18 juin : de Gaulle était du côté de la liberté et de la démocratie contre le fascisme hitlérien et ses collabos pétainistes. Une version de l’histoire qui fait la part belle aux impérialistes français et anglo-américain...

Loin de défendre la liberté des peuples, la France et la Grande-Bretagne se battent pour conserver leur hégémonie en Europe et leurs empires coloniaux respectifs, face à un capitalisme allemand bridé par le Traité de Versailles au lendemain de la Première Guerre mondiale par les vainqueurs, France en tête. La paix de 1918 n’était pas moins impérialiste que la guerre. La concurrence entre trusts capitalistes se disputant le contrôle des colonies n’était en rien réglée par la création de la Société des Nations, ancêtre de l’ONU, qui ne servait qu’à maintenir cet ordre impérialiste au profit des grandes puissances victorieuses.

La Seconde Guerre mondiale est le prolongement de la première. Un conflit impérialiste pour le partage du monde entre des trusts capitalistes concurrents soutenus par leur État. Si la guerre menaçait depuis longtemps, l’Angleterre préférait trouver un terrain d’entente avec les régimes fascistes plutôt que de se risquer à une guerre mondiale dans laquelle elle risquait de perdre ses colonies. Ainsi, la « démocratie » anglaise laisse Mussolini coloniser l’Éthiopie afin de le détourner d’Hitler, tandis que la IIIe République dirigée par Léon Blum abandonne les travailleurEs d’Espagne à Franco soutenu par les régimes fascistes allemand et italien. En 1938, les accords de Münich entraînent le démembrement de la Tchécoslovaquie au profit du Reich.

En échange d’un morceau d’Europe, les impérialismes français et anglais espèrent préserver leur domination coloniale et les profits qui vont avec, tandis que les États-Unis préfèrent encore mettre le continent américain en coupe réglée avant de se lancer dans une guerre pour se repartager le monde.

C’est la signature du pacte germano-soviétique en août 1939 et l’invasion de la Pologne en septembre 1939 qui met fin aux tentatives des capitalistes français et anglais de diriger Hitler vers une invasion de l’URSS et les pousse finalement à entrer ensemble en guerre contre le fascisme avec lequel ils négociaient quelques mois plus tôt.

Après six mois de « drôle de guerre », la France est surclassée par l’Allemagne en quelques semaines à peine. Cette défaite militaire révèle le véritable rapport de forces entre les grandes puissances, notamment la faiblesse d’un impérialisme français moins dynamique que son voisin allemand qui lorgne sur ses colonies pour y exploiter les matières premières et la population.

Une solution de rechange pour la bourgeoisie française

Pendant que la population est éreintée par l’Exode de Mai 1940, la bourgeoisie française se résout en bonne partie à accepter la tutelle allemande. Le gouvernement Reynaud démissionne le 16 juin et cède la place au Maréchal Pétain, nommé par le président de la République pour négocier les termes de l’occupation allemande : la bourgeoisie française souhaite surtout conserver une partie de son appareil d’État et maintenir l’ordre dans une période troublée. C’est ainsi que l’Assemblée élue en 1936 vote le 10 juillet les pleins pouvoirs à Pétain.

Le patronat français s’engage largement dans la collaboration avec l’Allemagne pour défendre ses intérêts. Échaudé par les grèves de mai-juin 1936, il s’en prend d’emblée à la classe ouvrière, rendue responsable de la défaite par sa paresse : la loi sur les 40 heures de travail hebdomadaire et les congés payés sont pointés du doigt par une bourgeoisie qui veut prendre sa revanche et faire payer l’armistice (signé dès le 22 juin) aux classes populaires.

Pendant que le patronat se prépare à exploiter les travailleurEs à l’ombre du IIIe Reich, le 18 juin, de l’autre côté de la Manche, de Gaulle prononce sur les ondes un discours destiné aux forces françaises présentes en Grande-Bretagne et dans les colonies. Il entend s’appuyer sur l’impérialisme britannique et l’empire colonial français, mais ne rencontre pas encore d’échos. Ni dans une population perdue sur les routes et complètement désorientée par la défaite, ni dans la bourgeoisie qui ignore l’appel de cet officier à peu près inconnu (il est promu général de brigade le 6 juin en étant nommé sous-secrétaire d’État) et cherche plutôt à sauver les meubles et à maintenir un appareil d’État pour éviter de subir le sort de la Pologne.

Néanmoins, de Gaulle réussit à ranger derrière lui une partie de l’armée. D’abord pour peser face à l’impérialisme britannique qui lorgne lui aussi sur l’empire colonial, mais aussi afin de reconstruire un appareil d’État et de préparer la suite, en cas de victoire des Alliés. Une manière aussi d’attirer à lui certaines franges du patronat qui chercheront des options de rechange, quand l’impérialisme allemand se heurtera à des obstacles. En effet, le patronat français accepte l’Occupation mais demeure prévoyant… et ne place pas tous ses œufs dans le même panier.

D’abord ignoré par les Anglo-Américains qui cherchent d’autres relais auprès de chefs militaires plus connus comme l’amiral Darlan ou le général Giraud (issus de Vichy et donc potentiellement plus influents auprès de l’appareil d’État français), de Gaulle gagne leur faveur en prenant la tête de la Résistance, grâce au ­ralliement… du PCF !

Cette Résistance d’abord fragile s’étoffe peu à peu, avec le virage à 180 degrés du PCF en juin 1941 (après l’attaque de l’URSS par l’Allemagne), puis l’entrée en guerre des États-Unis fin 1941 et enfin la défaite allemande de Stalingrad en 1943, qui pousse une partie de la bourgeoisie vers cette Résistance dont de Gaulle prend le contrôle et la tête avec la création du Conseil national de la résistance.

Ce CNR sert ainsi à modérer le poids des résistants communistes et à canaliser la lutte contre l’occupant allemand dans les strictes limites de la restauration d’un nouvel État bourgeois, sous parapluie anglo-américain. De Gaulle devient ainsi le chef de cette armée intérieure (bien plus puissante que les restes d’armée baptisés Forces françaises libres), qui permettra lors de la Libération de contrecarrer l’influence des Alliés et surtout de maintenir l’ordre social après la défaite allemande.

Transformer la guerre impérialiste en guerre civile

Le sort des classes populaires n’est pas le problème de De Gaulle. C’est pourtant dès juin 1940 que les coups pleuvent sur les travailleurEs qui font les frais de la débâcle. À l’époque, les partis qui revendiquent sa direction ne proposent aucune perspective. Après avoir prouvé sa loyauté aux capitalistes français (notamment lors des grèves de 1936), la SFIO est paralysée tandis qu’une partie de ses parlementaires s’offre à Pétain, ce qui ne l’empêche pas d’être ensuite réprimée. Le PCF, lui, a suivi la bureaucratie stalinienne et brusquement soutenu le Pacte germano-soviétique en août 1939 (ce qui lui vaut d’être interdit dès le début de la guerre), désorientant profondément la classe ouvrière.

Pourtant, ce sont les travailleurEs qui paient la note de l’Occupation : par les privations, les conditions de travail qui empirent et la répression. Sans parler des persécutions « raciales » orchestrées par Vichy pour le compte des nazis (qui n’ont d’ailleurs pas pesé lourd dans les calculs des impérialistes anglo-américains, habitués à la ségrégation chez eux ou dans leurs colonies). Après avoir envoyé 5 millions d’ouvriers et de paysans défendre la République en 1940, les capitalistes français se mettent tant bien que mal à l’heure allemande avec Pétain. De Gaulle, lui, prépare la revanche dans la perspective d’un nouveau Traité de Versailles, espérant que les États-Unis et l’Angleterre laisseront à la France ses colonies.

Si la dureté de l’Occupation exigeait une réponse du prolétariat, ce n’était certainement pas derrière l’un ou l’autre. C’était contre les nazis, leurs sbires vichystes et le patronat, mais en toute indépendance des courants bourgeois qui voulaient recommencer à « exploiter français ». Le nationalisme gaulliste ou stalinien (après 1941) ne pouvait contribuer qu’à détourner les travailleurEs de leurs intérêts de classe et à les mettre à la remorque de leurs exploiteurs. Transformer la guerre impérialiste en guerre civile contre les exploiteurs, comme en 1917, voilà ce qui était à l’ordre du jour.

Seule l’indépendance de classe du prolétariat pouvait lui permettre de se préparer à ouvrir les brèches qui allaient apparaître dans la domination hitlérienne. Non pas pour une libération des capitalistes français du carcan de l’impérialisme allemand, mais pour libérer la société du capitalisme et de ses fléaux. Dans cette lutte, les alliés n’étaient pas les bourgeois anglais ou américains, mais bien les travailleurEs de tous les pays. Et se débarrasser de Hitler en tablant sur l’impérialisme rival n’était en rien une solution...

Léon Trotski écrivait en 1940 : « Pour créer une situation révolutionnaire, disent les sophistes du social-patriotisme, il faut porter un coup à Hitler. Pour remporter une victoire sur Hitler, il faut soutenir les démocraties impérialistes. Mais si, pour sauver « les démocraties », le prolétariat renonce à une politique révolutionnaire indépendante, qui, au juste, utiliserait une situation révolutionnaire naissant de la défaite de Hitler ? » [1]

Le ralliement du PCF stalinisé à de Gaulle a précisément fait de cette Libération la restauration d’un État bourgeois pour défendre les intérêts des capitalistes français. Un État gaulliste qui, le jour où l’Allemagne capitulait, bombardait des milliers d’Algériens à Sétif et à Guelma, coupables d’avoir menacé l’ordre colonial. À travers la commémoration de l’Appel du 18 juin et l’hommage à de Gaulle, c’est bien le rétablissement de l’impérialisme français que célèbre la bourgeoisie.

Pierre Levain

(article paru dans l’Anticapitaliste n°528)

(crédit photo : BBC)


[1Léon Trotski, « Notre cap ne change pas », 30 juin 1940.

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