Argentine. Témoignages : le militantisme ouvrier et le coup d’État militaire
Comme chaque année depuis 1981, des milliers de personnes ont défilé dans les principales villes d’Argentine le 24 mars dernier, date anniversaire du coup d’État militaire de 1976, contre l’impunité des bourreaux d’hier et pour dénoncer la criminalisation des mobilisations d’aujourd’hui.
Cette année, la manifestation s’inscrivait dans un contexte tendu, alors que la pandémie plonge dans la misère des millions de chômeurs, de mal-logés et de mal-nourris, et que le gouvernement « des Fernández » (comme on appelle l’exécutif d’Alberto Fernández et Cristina Fernández de Kirchner) est sur le point de signer un nouvel accord avec le FMI.
Nous publions ici, les traductions sous-titrées étant de nous, cinq vidéos réalisées par les camarades du Parti ouvrier [1] argentin à l’occasion des 45 ans du coup d’État. Cinq précieux témoignages de militants, qui donnent un aperçu de leur expérience politique et syndicale, de la montée des luttes ouvrières entre 1969 et 1975 et des conditions de militantisme sous la dictature.
Le coup d’État du 24 mars 1976, mené par une junte militaire avec à sa tête le général Videla, a dépassé dans la répression tout ce que l’Argentine avait pu connaître auparavant : 15 000 opposants exécutés, 9 000 prisonniers politiques, mais surtout 30 000 « disparus » et plus d’un million d’exilés. Une terrible hécatombe, ciblant le milieu militant, ouvrier en particulier. Un véritable terrorisme d’État qui ne faisait qu’exacerber la politique de terreur déjà instaurée sous le gouvernement d’Isabel Perón et de José López Rega par le biais de la « Triple A » (Alliance anticommuniste Argentine), cette police parallèle qui organisa les assassinats de centaines de militants ouvriers et de gauche.
La période précédente avait été marquée par une remontée des luttes ouvrières, initiée au printemps 1969 par le soulèvement de la ville de Córdoba contre la remise en cause d’accords provinciaux sur le temps de travail et les salaires. Le soulèvement avait contribué à précipiter la sortie du dictateur Onganía, la bourgeoisie misant sur « l’institutionnalisation » du péronisme pour canaliser le mécontentement des masses, avant le retour de Perón lui-même aux affaires en 1973 après 20 ans d’exil.
Mais les efforts de Juan Perón – et de sa femme Isabel après sa mort – pour faire plier le mouvement ouvrier et consolider la bureaucratie syndicale, se révélèrent insuffisants. La grève générale de juin-juillet 1975, initiée par les coordinations dites « classistes » opposées à la bureaucratie péroniste, força les ministres Rodrigo – qui avait imposé sa politique de « choc » avec une brutale dévaluation monétaire et un gel des salaires – et López Rega – dirigeant occulte de la Triple A – à démissionner. Le régime péroniste ouvrait la voie au coup d’État militaire… et bien des militants se revendiquant eux-mêmes du péronisme – à l’instar de groupes comme les Montoneros – allaient le payer de leur vie.
Dans ces témoignages, les militants du Parti ouvrier, qui s’appelait à l’époque Política Obrera (Politique ouvrière), racontent notamment leur travail dans les entreprises et les syndicats dans la période ayant précédé le coup d’État. Ainsi Néstor Pitrola évoque son militantisme en tant que délégué de la banque Galicia à Córdoba, et Roberto Gellert son action au sein de l’imprimerie des éditions Abril à Buenos Aires. Nora Biaggio, enseignante, raconte aussi le développement des courants anti-bureaucratiques dans les syndicats d’enseignants.
Au fil de leurs témoignages, ils évoquent la politique des autres groupes : de l’extrême gauche « foquiste » (guévariste) ou « moréniste » [2], de la gauche syndicale péroniste, du Parti communiste…
Et au détour des anecdotes, comme lors du témoignage de Rafael Santos, on découvre une partie des méthodes d’organisation du PO sous la clandestinité.
Enfin, leur intervention dans les groupes de familles de détenus et de disparus qui se sont organisés sous la dictature, racontée par Eduardo Salas, est également digne d’intérêt.
Entretien avec Néstor Pitrola : « classisme », Navarrazo et coup d’État à Córdoba
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Entretien avec Roberto Gellert : les luttes ouvrières face au coup d’État et l’enlèvement de camarades
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Entretien avec Nora Biaggio : l’organisation des enseignants face au coup d’État militaire
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Entretien avec Eduardo Salas : la lutte des familles de disparus et détenus sous la dictature militaire
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Entretien avec Rafael Santos : l’activité du Parti Ouvrier sous la dictature
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[1] Le Partido Obrero est une des principales organisations trotskystes en Argentine. Il fait partie du FIT-U (Front de la gauche et des travailleurs - Unité), un front d’organisation trotskystes, aux côtés du PTS (Parti des travailleurs socialistes, Fraction Trotskyste), de IS (Gauche socialiste, Union internationale des travailleurs) et du MST (Mouvement socialiste des travailleurs, Ligue internationale socialiste).
[2] Du nom de Nahuel Moreno, militant trotskyste. Ce courant était dans ces années représenté en Argentine par le PST (Parti socialiste des travailleurs) fondé en 1972, qui a succédé au PRT-La Verdad.
Mots-clés : Argentine | Histoire | Trotskisme