Aller au contenu de la page

Attention : Votre navigateur web est trop ancien pour afficher correctement ce site internet.

Nous vous recommandons une mise à niveau ou d'utiliser un autre navigateur.

Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 104, mars-avril 2016 > Loi travail, dégage ! > À la SNCF

Après le 9 mars, les cheminots préparent la suite

La grève du 9 mars a été appelée par quatre fédérations (CGT, Sud, Unsa, CFDT) dans le but de « faire pression » sur les négociations de la convention collective qui sont au point mort depuis la publication du décret-socle. Ce n’est qu’après l’annonce de cette journée que la mobilisation sur la loi Travail s’y est superposée.

Des cheminots bien plus révoltés que les directions syndicales

Les fédérations n’ont presque pas communiqué sur le contenu du décret-socle, ce sont les syndicats locaux qui ont produit et diffusé les tableaux comparatifs (qui résument ses effets concrets sur leurs conditions de travail), et des cheminots eux-mêmes qui ont étudié le décret et l’ont fait circuler sur leurs chantiers. Pour les fédérations syndicales SNCF, l’important, ce sont les négociations qui devraient suivre le décret, y compris les accords entreprise par entreprise, sachant que la SNCF est découpée en trois entreprises distinctes depuis juin 2014. Elles ne se prononcent pas pour le retrait du décret, le communiqué de la CGT au soir du 9 mars est intitulé : « 1 cheminot sur 2 en grève, on ne négocie toujours pas ? »

Depuis quelques semaines, la direction de la CGT cheminots avait annoncé son « plan » en interne à ses militants : après le 9 mars, une manifestation en avril, une nouvelle journée de 24 heures en mai et une grève « reconductible » en juin. L’éteignoir total. Fin février, le dernier tract de la fédération Sud s’intitulait « contrôlons les négociations », et insistait sur le fait que les cheminots devaient rester suspendus aux différentes discussions, d’abord sur la convention puis sur les accords d’entreprise. C’est quasiment la communication de la boîte.

Les discussions à la base autour du décret socle et la grève du 9 mars ont pris les syndicats par surprise. La participation à la grève a été massive. Même si la direction a pu annoncer 35 % de grévistes au niveau national, tous collèges confondus, les taux de grévistes à l’exécution étaient hors du commun pour une journée d’action, supérieurs à ceux de juin 2014 et à ceux de 2010 sur les retraites. Ils atteignaient 70 à 90 % dans bien des chantiers. La circulation a été très impactée avec, par exemple, 1 045 trains supprimés sur 1 205 en Rhône-Alpes.

Après le succès de la grève du 9 mars…

Dans les tournées de préparation, beaucoup de discussions ont porté sur la nécessité d’une vraie grève, une « reconductible ». Souvent sous la forme d’une question : le 9 mars est-il reconductible ? Pas pour exiger qu’il le devienne, mais pour signifier qu’il fallait en prévoir une à brève échéance.

La CGT n’avait pas envie d’organiser des assemblées générales (AG). Mais elle a dû s’y résoudre sous la pression de sa base et de certains syndicats Sud. Si la participation aux AG a été nettement inférieure à celle de juin 2014, elle est tout de même significative sachant que ce n’est pas dans les habitudes de se réunir pour une grève de 24 heures. C’est un symptôme du fait qu’une partie des cheminots considère avoir commencé un mouvement. En région parisienne, la détermination des présents s’est aussi mesurée au fait qu’ils ont participé en majorité aux deux manifestations d’affilée, d’abord devant le Medef puis à la République. C’est donc la question des suites qui se posait dans les AG du 9 mars.

Le 8 mars, Sud a demandé à ses responsables de défendre dans les AG que le 31 mars soit le début de la grève reconductible. Côté CGT, la consigne était de mesurer la situation et de décider le 10 mars… Tout était fait pour présenter le 9 comme une journée isolée et pas le début d’un mouvement.

Nulle part, à notre connaissance, des cheminots n’ont suggéré à ces AG de reconduire le 10. Mais, ici et là, à l’initiative de militants d’extrême gauche, la proposition a été faite que des noyaux s’organisent, regroupant des participants à l’AG, syndiqués et non syndiqués, prêts à discuter revendications, à discuter la politique des fédérations syndicales, à avoir une expression publique en leur nom propre auprès des cheminots, à faire des tournées, à tisser des liens avec les autres secteurs et les étudiants, bref prêts à être dès aujourd’hui des militants du mouvement qui commence au-delà des cheminots, même si la grève n’est pas encore là.

À l’heure où nous écrivons, la fédération CGT des cheminots a décidé de ne pas déposer un préavis de grève national pour le 31 mars, mais de laisser ses syndicats déposer des préavis locaux de 24 heures, sur des revendications propres.

… Se donner les moyens d’une suite

Les syndicats ne mettent nulle part en avant la revendication de retrait du décret socle. Certains avancent l’idée d’un décret-socle « à la hauteur du RH0077 » (le régime de travail actuellement en vigueur à la SNCF), reprenant un langage corporatiste, et ouvrant la voie à l’ouverture de négociations. Dans les AG où elle avait besoin de se donner un air radical, la CGT a avancé le « retrait de la loi Travail », ce qui contraste avec sa position sur le décret-socle. Mais, si le décret-socle n’était pas contesté, que ce soit avant ou après sa publication par le gouvernement, ce serait un coup dur au moral et n’augurerait rien de bon dans ce secteur pour la lutte contre la loi Travail. Il n’y a aucune différence à faire entre la loi El Khomri et le décret-socle, qui est le futur code du travail des cheminots. Le mot d’ordre doit être le même : retrait du décret-socle et retrait de la loi Travail. À noter que ce décret (élément de la réforme du ferroviaire votée en 2014), comme la réforme de Hirsch pour les hôpitaux parisiens, comme les réformes de l’Éducation nationale, en particulier celle des collèges, visent toutes, derrière leurs mesures techniques volontairement illisibles pour le grand public et même par les intéressés, à faire travailler davantage et dans des conditions plus exécrables un nombre toujours réduit de salariés. D’où de nouvelles suppressions de postes. La direction de la SNCF programme 10 000 suppressions pour les années à venir, après en avoir supprimé 25 000 les précédentes. Avec les salaires, le problème essentiel est bien celui d’embauches.

La direction de la CGT freine des quatre fers un mouvement qui commence ou qui pourrait commencer. Mais la colère des cheminots, la détermination de la minorité militante, syndiqués et non-syndiqués, présente dans les AG pourrait bien les déborder. Déjà, dans les syndicats, des voix commencent à s’élever pour exiger des fédérations qu’elles appellent à une suite rapide. Bien des militants de base des syndicats ne se contenteront pas du calendrier qui leur est proposé.

Les cheminots, dont un milieu assez large de jeunes et de nouveaux a participé aux AG et à la grève, ont montré une attente qui peut se transformer en exigences. Certains ont tiré quelques leçons de la grève de 2014 qui les a laissés sur leur faim. C’est une minorité mais représentant malgré tout une base qui pourrait se saisir de possibilités d’agir : participation aux manifestations des jeunes, constitution de comités de base, liens avec les autres secteurs. C’est la réussite de ces activités qui pourrait permettre aux cheminots, militants syndicaux ou non, de faire sauter le verrou des directions syndicales pour se lancer dans une vraie grève.

12 mars 2016, Raphaël PRESTON

Mots-clés : |

Imprimer Imprimer cet article