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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 94, juin-juillet-août 2014

Turquie : 301 mineurs, morts pour le capital

Mis en ligne le 14 juin 2014 Convergences Monde

Depuis la catastrophe minière de Soma, dans la région ouest du pays, où 301 mineurs de charbon ont trouvé la mort, le 13 mai dernier, les manifestations se sont multipliées en Turquie contre les responsables de la mine, mais aussi contre le gouvernement Erdoğan.

Dès le lendemain de l’accident, des manifestations ont eu lieu dans la ville minière de Soma, à Izmir, la capitale régionale, ainsi qu’à Istanbul où des milliers de manifestants ont affronté la police anti-émeute. À Izmir (2,8 millions d’habitants), ils étaient 20 000 manifestants que la police s’est efforcée de disperser à coups de matraque et de gaz lacrymogène. À Soma même, le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdoğan, venu sur place, a été hué par les manifestants qui appelaient à sa démission. La photo de son chef de cabinet, en costume-cravate, donnant de violents coups de pied à un manifestant jeté à terre par la police, a fait le tour de la Turquie.

Le week-end suivant, des étudiants occupaient le secteur des mines de l’Université technique d’Istanbul. Et de nouvelles manifestations éclataient à Istanbul les jeudi et vendredi suivants, où la police, tirant à balles réelles, a fait deux morts.

L’accident mortel dans la mine de Soma, comme la répression des manifestations de protestation, braque les projecteurs sur l’envers de ce « miracle économique » turc dont se vantent le régime Erdoğan et son Parti de la justice et du développement (AKP) au pouvoir, et que nous vantent ici tous les journaux économiques. Ce miracle qui fait aussi la fortune des entreprises ouest-européennes implantées là-bas : Renault, Bosch, Siemens et bien d’autres.

Soma Holding : du sang dans les profits

C’est dans le cadre de la série de grandes privatisations entreprises en Turquie, sur les consignes du FMI et des banques européennes, à la suite de la crise économique de 2000-2001, que la mine de charbon de Soma a été confiée par l’État à un trust privé, la Soma Holding, appartenant au milliardaire Alp Gürkan. Ce nouveau patron de l’entreprise claironnait fièrement le « succès » de ses méthodes de gestion privée : avoir fait baisser de 80 % le coût d’une tonne de charbon et considérablement accru la rentabilité. À quel prix ?

  • Le recours à la sous-traitance, à des travailleurs occasionnels non qualifiés, sous-payés, touchant au mieux le salaire minimum turc (978,60 livres, soit 358 € en 2013), et dont le statut précaire ne leur permet pas de se défendre. À cause de cette sous-traitance massive, la Soma Holding n’était même pas capable de dire le nombre exact de mineurs restés coincés au fond du puits, plusieurs jours après la catastrophe. Ou saisissait ce prétexte pour le cacher.
  • Les économies sur la sécurité : modèles périmés de masques de secours chinois, vieux de 21 ans, totalement inefficaces mais très bon marché (30 dollars l’unité, voire 17 au prix de gros, contre 700 à 1 500 dollars pour les modèles aux normes occidentales) ; absence de refuges en cas d’accident, si ce n’est ce minuscule réduit de 5 m2 où l’on retrouvera 14 cadavres, pour les 787 mineurs répertoriés lors de l’effondrement de la mine. Contrôles bidon faits par des inspecteurs dépendant de l’entreprise pour leur emploi et leur salaire, avec le risque d’être licenciés s’ils sont trop exigeants sur la sécurité.
  • En 2010, un rapport de la Chambre turque des architectes et des ingénieurs avait signalé le danger d’émanations de gaz, l’absence d’issues de secours et les risques d’effondrement des parois des galeries. Avertissement ignoré.

Mensonges et complicité en haut lieu

L’an dernier, Alp Gürkan, l’exploitant de la mine effondrée, affirmait que celle-ci était pourvue de plusieurs refuges sécurisés où les mineurs pourraient survivre 20 jours en cas d’accident. « L’accident est survenu malgré un maximum de mesures de sécurité », osait un communiqué de la firme minière. Une fois l’absence de refuges constatée, après quatre jours de silence, son chef s’est retranché derrière la législation laxiste : « La loi n’impose nullement la construction de refuges dans les mines… nous n’avons commis aucune faute ».

Pour ne pas gêner les magnats du charbon, l’État a durant 19 ans refusé de signer la Convention de l’Organisation internationale du travail (OIT) sur la sécurité et la santé dans les mines. Erdoğan a œuvré dans le même sens, promettant aux patrons d’éliminer toutes les entraves à la bonne marche de leurs affaires. Et l’AKP, au pouvoir depuis 2002, ajourna jusqu’en 2014, puis jusqu’en 2016, des articles de la loi pourtant bien insuffisante sur la Santé et la sécurité au travail. Deux semaines avant la catastrophe, ses députés bloquèrent une enquête demandée par l’opposition après plusieurs incidents survenus dans cette mine. Muzzafer Yurttas, député de l’AKP, affirmait que les mines turques étaient plus sûres que dans beaucoup de pays. Aux mineurs, il garantissait que rien ne leur arriverait, « pas même une écorchure ». Le lendemain de la tragédie, Erdoğan évacuait la responsabilité de l’entreprise, très liée à son parti, mettant la mort des mineurs sur le compte du destin ou des dangers inhérents au métier.

Avec l’argent gagné sur la sueur et la peau des mineurs aux dépens de la sécurité, Alp Gürkan s’est offert un luxueux gratte-ciel de 56 étages à Maslak, quartier huppé d’Istanbul. Voilà où passe l’argent des 6 500 mineurs de la Soma Holding, qui risquent chaque jour leur vie pour des salaires de misère.

Quant au gouvernement du parti islamiste AKP, dont le Premier ministre Erdoğan est candidat à l’élection présidentielle qui doit se dérouler en août prochain, il avait affaire il y a un an aux manifestants de la place Taksim, en grande partie issus du milieu étudiant, contre le manque de libertés et la corruption du régime. Aujourd’hui, à la suite de l’accident minier, il soulève également la colère dans le monde ouvrier.

28 mai 2014, Charles BOSCO


Une croissance « à la chinoise »… celle des accidents aussi

Entre 2002 (date de l’arrivée au pouvoir de l’AKP et de son chef Erdo˘gan) et 2012, période du tant vanté « miracle économique » turc, avec un taux de croissance annuel moyen de 5,2 % et deux pics à 9,2 % et 8,8 % en 2010 et 2011, plus de mille mineurs ont perdu la vie dans les mines.

De 2002 à 2011, les accidents du travail ont augmenté de 40 %. L’an dernier, 1 235 travailleurs sont morts sur leur lieu de travail. En mars 2014, ils sont 112 à avoir perdu la vie au travail ; rien que pour les trois premiers mois de l’année, les accidents de travail ont tué 276 salariés. [1]

Ce n’est pas pour rien que l’OIT place la Turquie au 3e rang dans le monde pour le nombre d’accidents du travail.


[1Ces chiffres d’accidents comme le « report jusqu’en 2016 » (pour ne pas dire l’annulation) de toute mesure d’amélioration de la santé et la sécurité au travail sont dénoncés par la presse de l’association ouvrière turque UID-DER (Association de solidarité internationale des travailleurs), animée par des militants révolutionnaires, qui, vu l’ampleur du problème, a mené il y a quelques mois une campagne de propagande sur les accidents du travail dans le pays.

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