Aller au contenu de la page

Attention : Votre navigateur web est trop ancien pour afficher correctement ce site internet.

Nous vous recommandons une mise à niveau ou d'utiliser un autre navigateur.

Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 106, juin-juillet-août 2016 > Cheminots : quatre mois de lutte malgré tous les obstacles

Cheminots : quatre mois de lutte malgré tous les obstacles

Cheminots : quatre mois de lutte malgré tous les obstacles

Mis en ligne le 29 juin 2016 Convergences Entreprises

Depuis que le décret-socle ferroviaire et le projet de loi Travail ont été rendus publics le 18 février dernier [1], l’immense majorité des cheminots a fait au moins une journée de grève. Les plus déterminés ont plus de 40 jours au compteur. À l’heure où nous écrivons, la grève reconductible entamée le 18 mai et renforcée le 1er juin est terminée, mais avec la volonté affichée de continuer à participer au mouvement contre la loi Travail, en particulier en manifestant à nouveau les 23 et 28 juin.

Comme dans d’autres secteurs, ce mouvement est exceptionnel par sa durée et la détermination des noyaux militants. Enterré à de nombreuses reprises par la direction, le gouvernement et leurs relais dans les médias adeptes de la méthode Coué, il a déjoué tous les pronostics, y compris ceux des directions syndicales qui ont usé de tous les stratagèmes pour le freiner. Tout dans cette longue lutte, y compris l’appel des fédérations à la grève reconductible, est à mettre à l’actif de cheminots de base qui ont saisi toutes les occasions, dans et en dehors des cadres syndicaux, pour imposer leur volonté d’en découdre.

Grèves saute-mouton et tentatives de débordement

Dès la première journée d’action du 9 mars, la position des différents acteurs de ce mouvement alors en puissance était claire. Le gouvernement avait annoncé sa volonté d’utiliser le 49-3 pour faire passer la loi Travail, la CFDT le soutenait, la direction de la SNCF promettait aux cheminots que l’accord d’entreprise compenserait un décret-socle au rabais, et la direction de la CGT-cheminots refusait catégoriquement d’annoncer des suites rapides et d’accélérer son « calendrier » de (dé)mobilisation décidé en conclave en janvier [2]. Pas de quoi décourager les grévistes réunis en AG, qui ont su décrypter cette situation dès le premier jour et y faire face en multipliant les motions destinées à interpeller les fédérations pour une grève reconductible rapide. Sans toutefois s’en remettre à la bonne volonté des dirigeants syndicaux, envers lesquels la confiance est limitée (pour employer un doux euphémisme) : des cheminots se sont organisés à la base, parfois en utilisant leurs structures syndicales, parfois en groupes informels réunissant syndiqués et non syndiqués, ou plus rarement en comités de mobilisation élus par les AG, pour s’adresser aussi directement à leurs collègues.

Et heureusement qu’ils l’ont fait sans attendre, même s’ils étaient très minoritaires ! Car la suite a confirmé que les fédérations syndicales cheminotes, toutes les fédérations, ont tout fait pour aiguiller les grévistes sur la voie des négociations bidons savamment orchestrées par la direction et le gouvernement pour imprimer un faux rythme à ces quatre mois de lutte, et pour les séparer du mouvement général contre la loi Travail [3].

Le scénario des journées de grèves isolées de 24 heures appelées par les syndicats pour « faire pression sur les négociations » s’est reproduit le 31 mars et le 26 avril. Mais à chaque fois, les fédérations appuyaient un peu plus sur le frein tandis que les grévistes faisaient valoir de plus en plus nettement leur volonté d’aller plus loin. Dans bien des gares, la CGT avait renoncé à appeler à des AG lors de ces journées, puisqu’elle n’avait rien à y proposer qui soit conforme aux attentes des grévistes. Mais elles se sont tenues quand même, à l’appel de syndicats locaux ou de comités de mobilisation réunissant syndiqués de différents syndicats et non syndiqués, et quelques-unes d’entre elles ont voté la reconduction au lendemain. Même si ces tentatives sont alors restées minoritaires, c’était une façon de traduire la volonté en acte, de dépasser le cadre stérile des motions aux fédérations renouvelées à l’identique d’une journée à l’autre.

L’appel à la grève le 26 avril, lancé après l’annonce par l’intersyndicale interprofessionnelle d’une journée contre la loi Travail le 28 avril, était destiné à isoler les cheminots du mouvement général. Il en a indigné plus d’un, à l’heure où le congrès de la CGT à Marseille accouchait d’un appel hypocrite à la « reconductible » dans tous les secteurs, taillé sur mesure pour tenter de contenter une base combative tout en continuant à freiner les secteurs les plus susceptibles de démarrer vraiment. Une minorité, mais une minorité plus importante que le 31 mars, a reconduit la grève du 26 jusqu’au 28 avril, pour faire le lien avec l’ensemble du monde du travail.

La reconductible au forceps

Début mai, ni le mouvement contre la loi Travail, ni la colère des cheminots et l’activité d’une minorité militante parmi eux ne s’essoufflaient. Le jeu de dupes des négociations continuait mais n’avait aucun effet sur la détermination de la base à envoyer valser le projet de réforme. Les fédérations syndicales devaient, contraintes et forcées, passer à la vitesse supérieure, ou du moins s’en donner l’air.

La CGT a choisi de transformer ses grèves « carrées » en « rectangles », baptisant cette tactique « grève reconductible illimitée de 48 heures par semaine ». Une manipulation qui n’a contenté personne, pas même sa base militante qui n’a mis aucune ardeur dans la préparation de cet enterrement de première classe. Sud et FO ont lancé un appel à la reconductible à partir du 18 mai, mais sans se donner les moyens de le tenir puisqu’ils l’ont lâché presque partout… deux jours plus tard.

Ce n’est que dans les gares où les cheminots s’étaient donné des moyens de s’organiser à la base (comités de mobilisation ou comités de grève), souvent à l’initiative de militants d’extrême gauche, que la grève a tenu au-delà du 20 mai. Cette nouvelle tentative, si elle restait confinée à quatre grandes gares parisiennes et deux ou trois en province, a été significative là où elle a eu lieu. Si la grève a été moins suivie dans ces gares que la reconductible de 2014, elle a été beaucoup plus active : une fraction importante des participants aux AG passaient leur journée à tourner dans les différents services, à rencontrer leurs collègues pour les convaincre de renforcer le mouvement. Des liens ont été établis entre ces gares grâce à des rencontres informelles.

Appeler à une reconductible pour en torpiller une autre

Les grévistes de mai, indéniablement minoritaires, ont pu mesurer par leur activité qu’ils bénéficiaient du soutien actif de leurs collègues, ceux-ci n’hésitant pas à diffuser ou afficher les tracts des grévistes. Cette minorité, loin d’être isolée, était la démonstration vivante qu’une autre politique que celle proposée par les fédérations était possible et nécessaire. Une sacrée épine dans le pied des dirigeants syndicaux, à l’heure où le mouvement contre la loi Travail connaissait un rebond avec l’entrée en grève des raffineurs.

Le 24 mai, au pic de la pénurie de carburant, alors que plusieurs raffineries venaient de voter la grève illimitée, les fédérations cheminotes appelaient à la reconductible « unitaire » le 1er juin, laissant huit jours au gouvernement pour trouver une porte de sortie. Si cet appel a été perçu à juste titre par les grévistes comme le résultat de leur pression, il servait surtout aux directions des fédérations à stopper la grève en cours. Et effectivement, dans les quelques gares qui continuaient la grève, Sud a appelé à suspendre le mouvement en attendant le 1er juin. Appel entendu à la gare du Nord par exemple, où la reprise s’est faite à la veille de la journée interprofessionnelle contre la loi travail du 26 mai !

Les syndicats ou la grève à reculons

Mais à la gare Saint-Lazare, à Austerlitz, ou à Paris-Est, la grève a continué, certes affaiblie, mais très active, pour préparer le 1er juin en maintenant la pression sur les fédérations qui appelaient sans déployer leurs moyens militants. Les tracts des fédérations pour la reconductible sont pour la plupart encore dans les bureaux syndicaux – et c’est un mal pour un bien puisqu’ils ne parlaient pas du tout de la loi Travail et ne revendiquaient pour les cheminots que le prolongement des interminables négociations.

Les cheminots, grévistes ou non, se sont emparés de l’appel tant attendu des syndicats, bien malgré ces derniers. Les AG du 1er juin ont renoué avec la fréquentation du 9 mars, parfois plus. La grève nationale était lancée. Les discussions se sont partout ouvertes sur la question des revendications. Tandis que les responsables syndicaux égrenaient les futures dates de négociations, les grévistes insistaient, par endroits avec succès, pour faire adopter les deux mots d’ordre :« un décret-socle et une convention collective à hauteur de la réglementation actuelle (RH0077) » et le « retrait de la loi Travail. »

À cette date, les raffineurs, les éboueurs, les dockers, des territoriaux, des électriciens, les personnels au sol des aéroports, les agents de la RATP étaient ou entraient en grève. Le gouvernement a lancé son opération de déminage entreprise par entreprise de ce conflit qui s’étendait. À la SNCF, elle a pris la forme d’un accord d’entreprise, chapeautant le décret-socle et la convention collective.

Le 6 juin, à l’issue d’une ultime négociation de 19 heures à laquelle les représentants des syndicats qui appelaient à la grève ont participé honteusement jusqu’au bout, la version finale de l’accord d’entreprise était soumise à la signature. Présentée comme une forme de sursis accordée aux cheminots, elle contient néanmoins de nombreuses attaques et complète la mise en place d’un arsenal destiné à exploser les conditions de travail dans un avenir proche [4].

« Cette grève, on l’a construite nous-mêmes et on ne s’en laissera pas déposséder »

Dès le lendemain, le 7 juin, la fédération CGT lâchait le mouvement même si les dirigeants de syndicats locaux ne voulaient pas ou ne pouvaient pas se permettre d’appeler brutalement à la reprise du travail. Les grévistes, syndiqués ou non syndiqués, l’ont bien compris, derrière les formules sibyllines des tracts de la fédération, mais ils ont continué la grève pendant plus d’une semaine, rappelant leurs revendications, insistant sur le lien avec le mouvement contre la loi Travail, multipliant les prises de position pour la dénonciation des accords de branche et d’entreprise, les actions, les rencontres avec d’autres secteurs en grève et les manifestations plus ou moins déclarées.

Les cheminots, pas plus que le reste du monde du travail, n’ont obtenu satisfaction sur leurs revendications. Pour l’instant. Mais les militants de la grève, souvent jeunes, syndiqués ou non syndiqués, soutenus par la majorité de leurs collègues, ont donné une expression à la colère profonde qui a suivi la publication du décret-socle et de la loi Travail, en déjouant tous les pièges qui leur étaient tendus, en ne cédant à aucun des chantages éhontés du gouvernement et de la direction de la SNCF et en poussant le mouvement bien plus loin que ne le souhaitaient les fédérations syndicales. Cette minorité garde le moral malgré la reprise du travail, convaincue que les combats décisifs sont à venir. C’est un gage pour l’avenir. 

18 juin 2016, Raphaël PRESTON

Mots-clés : | |

Réactions à cet article

Imprimer Imprimer cet article