La Poste : une nouvelle raison d’être rouge de colère !
28 janvier 2023 Convergences Entreprises
Stéphane Séjourné, secrétaire général de Renaissance (le parti de Macron) s’est senti obligé d’écrire au PDG du groupe La Poste en ce début d’année. Dans sa lettre, il l’invite à revenir sur la suppression du « timbre rouge » et des tournées quotidiennes des facteurs en zones rurales. Deux sujets qui suscitent l’inquiétude… et contribuent à la montée générale des colères.
Son soudain attachement au service public postal n’est peut-être pas étranger à la floraison hivernale d’articles de presse concernant la disparition du timbre rouge. Ce ne sont pas moins de 150 reportages et articles qui sont sortis au lendemain de la fin officielle du timbre prioritaire, car c’est un symbole qui disparaît mais aussi (et surtout) la fin programmée du passage quotidien des factrices et facteurs pour les usagers.
À cette pression médiatique, la direction de La Poste répond qu’elle ne fait que s’adapter à l’évolution du monde et elle brandit des chiffres qui semblent imparables : le volume de courrier est passé de 18 milliards en 2008 à 7 milliards (hors colis) en 2021. Seulement ce n’est pas si simple.
Quand La Poste veut tuer son chien, elle tue son chien
Dix ans avant sa disparition, il était déjà très compliqué de trouver un timbre prioritaire à coller sur sa lettre. Pour qui réussissait à en trouver un, l’engagement du J+1 (courrier distribué le lendemain) était rarement tenu. Au nom de l’écologie (nous y reviendrons), elle a mis en avant le timbre dit « vert », moins cher et censé être distribué en deux jours, et a restructuré l’ensemble de sa chaîne d’acheminement et de distribution. Le coût social de cette restructuration fut énorme. À l’acheminement via les PICs (plateformes industrielles du courrier, autrement dit les centres de tri, selon leur ancienne dénomination), les effectifs sont passés de plus de 30 000 en 2008 à 10 000 en 2021, et de 110 000 à moins de 70 000 à la distribution. Les circuits dédiés au timbre rouge, au courrier « prio », ont tout bonnement disparu. Le timbre rouge n’allait donc pas plus vite que le vert depuis bien longtemps. Et qui paye plus cher, de plus en plus cher, pour un service dégradé ?
Dans l’économie de marché, on voit rarement une entreprise augmenter ses tarifs pour un produit qui se vend moins, c’est pourtant ce que La Poste a fait. En 2009 un timbre (rouge) coutait 0,56 euros et le prix s’est envolé pour atteindre 1,43 euros en janvier 2022, soit 255 % d’augmentation ! Et cela ne va pas s’arranger avec la Nouvelle gamme courrier, NGC dans le vocabulaire postal.
La Poste réinvente le fax, en plus cher
Cette dite Nouvelle gamme (la NGC) propose de nouvelles couleurs, de nouveaux tarifs et surtout s’accompagne de délais de distribution standard modifiés depuis le premier janvier 2023. Le timbre vert reste à 1,16 euros mais ne sera distribué que trois jours après (un jour de plus qu’avant), le timbre turquoise (J+2) sera achetable au tarif exorbitant de 2,95 euros et le fameux timbre rouge deviendra « numérique » et coutera 1,49 euros. Pour ce dernier (en J+1), le système est très simple : un journal destiné aux retraités titrait récemment un article : Comment envoyer une lettre en 14 clics. Il faut écrire sa lettre sur le site de La Poste, la lettre sera imprimée puis mise sous pli et sera censée arriver à bon port le lendemain. Une gageure. Les 13 millions de personnes qui n’ont pas accès au numérique sont d’ores et déjà exclues, mais hormis ce « détail », qui va s’amuser à passer par ce service ?
La Poste défend sa « nouveauté » par une pirouette pseudo écologique et verse dans un greenwashing du plus bel effet.
L’écologie a bon dos
La Poste est « neutre carbone » selon les standards en cours dans le monde capitaliste. En clair, elle rachète des droits à polluer dont personne ne connaît le volume exact, car l’omerta est totale sur le thème. Elle permet à la direction de faire de beaux discours et d’être même citée en exemple, mais on est loin du monde réel. Tout le circuit ferroviaire postal a disparu et c’est le « tout camion » qui a prévalu sur les dernières décennies. Entre 2013 et 2021, les émissions carbone du transport postal sont passées de 1 560 857 tonnes à 2 126 000 tonnes de CO2. Exemplaire en effet…
Cette verte forêt capitaliste ne cache pas du tout les pratiques sociales que subissent postiers et postières.
La Nouvelle gamme courrier, une nouvelle attaque contre les postiers
Le chiffre d’affaires du groupe est passé de 22 milliards à 35 milliards en dix ans et c’est le seul aiguillon du groupe. Entre 2018 et 2022, ce sont 30 000 emplois qui ont été supprimés et la nouvelle gamme courrier augure la suppression à court terme de près de 20 000 emplois supplémentaires. Le corollaire sera une nouvelle dégradation énorme des conditions de travail et la fin programmée du passage quotidien des factrices et facteurs. Le projet est de faire en sorte que chacun fasse deux tournées au lieu d’une, chaque jour, et ne distribue le courrier dit prioritaire qu’un jour sur deux. En d’autres termes on passerait d’« une tournée/un facteur » à « deux tournées/un facteur » par jour. La Poste prévoit 68 bureaux test d’ici mars 2023, mais elle a déjà fait ses petites expériences dans quelques régions en déployant des organisations aux doux noms de « distribution pilotée » ou « distribution responsable ». À Kourou, en Guyane, ce système a fait de gros dégâts : mis en place début février 2022, il explosait fin avril. La moitié des postiers et postières du bureau étaient en maladie, exténués, et le volume de courrier non distribué était l’équivalent d’un mois de travail. Seule une riposte des travailleurs pourra éviter que cette catastrophe ne se généralise.
68 bureaux test, 68 nouvelles raisons de se battre
Les postiers qui vont subir ces nouvelles réorganisations vont sans doute réagir, comme très souvent dans le secteur, et il faudra les soutenir de l’intérieur et de l’extérieur de l’entreprise. À force d’attaques patronales, dans une entreprise où les salaires sont minables (1 550 euros en fin de carrière pour un facteur), les petits tests sur le dos des employés pourraient bien être ceux de trop.
22 janvier 2023, Erwan PIAM