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Procès de la catastrophe ferroviaire de Brétigny : les coupables innocentés ?

11 juin 2022 Article Entreprises

(Crédit photo : Poudou99, wikimedia)

La SNCF doit recevoir prochainement un verdict pour ses responsabilités dans l’accident ferroviaire de Brétigny où sept personnes sont mortes. Ce verdict conclura une parodie de procès.

Ce drame avait eu un large retentissement lorsqu’il se produisit en 2013 à cause des morts, des dégâts et des centaines de blessés qu’il a occasionnés. Neuf années plus tard, le procès qui doit permettre d’en établir les responsabilités se déroule dans une quasi-indifférence. Si de petits suspectés délinquants sont invités à comparaître immédiatement après leurs méfaits, les vrais responsables pour ne pas dire criminels peuvent différer leur procès longtemps après leur crime, échappant ainsi aux projecteurs.

Quand les lenteurs judiciaires arrangent les affaires des uns

La technicité du dossier n’est pas la cause de ce délai. Deux juges d’instruction seulement ont été affectés à la procédure pourtant d’une ampleur considérable. Débordés par les autres procès qu’ils devaient instruire simultanément, ils avaient demandé à se dessaisir de cette affaire en 2015, ce que le parquet leur avait alors refusé…

Mais ce temps n’a pas été perdu pour tout le monde. Le service juridique de la SNCF a obtenu une copie de la procédure pénale avant même que les interrogatoires aient eu lieu. Illégal ? Oui ! Mais tellement pratique pour assurer sa défense face aux éléments compromettants. Et de hauts responsables comme Guillaume Pepy, président de la SNCF à l’époque, n’ont même pas été auditionnés lors de l’enquête, les juges n’en ayant pas le temps.

La SNCF savait mais n’a rien fait

Lors du procès, les responsables de ce drame se sont succédé à la barre… non pas en tant qu’accusés mais comme simples témoins. La seule personne physique inculpée est un opérateur fraîchement en poste et âgé de 24 ans lors des faits, accusé de négligence à l’origine de la sortie de l’éclisse, une pièce métallique qui s’est détachée des rails. Le jeune ingénieur reconnaît devant les journalistes avoir été « briefé » par la SNCF, tout en niant bien sûr être l’objet de manipulation !

Pierre Serne, en charge du transport pour la région Île-de-France lors du drame et aujourd’hui conseiller Europe Écologie Les Verts, est semble-t-il révulsé par ce procès fantoche qui accable un technicien et dédouane les vrais responsables. Il a notamment déclaré au journal Libération : « Oui les travaux ont été reportés plusieurs fois. C’est un fait, qui a été établi par plusieurs rapports. Brétigny était un point de fragilité connu et sous surveillance. La vitesse était considérée sous contrôle. » Brétigny était « le point le plus fréquenté et le plus vétuste de la région. Je vivais avec la trouille permanente qu’il y ait un accident grave ». Mais Pierre Serne ne sera pas entendu lors du procès puisque sa proposition de témoignage a été rejetée. Et les rapports dont il parle n’ont pas été saisis. L’auditoire a par contre pu profiter de l’éclairage apporté par Guillaume Pepy. « En matière ferroviaire, le vieillissement ne veut pas dire dangerosité. » Le « vieillissement du réseau » n’appartient donc pas à « l’arbre des causes robustes et scientifiques » de l’accident. CQFD. On se demande bien pourquoi les cheminots se cassent le dos à rénover le matériel dans les Technicentres de maintenance si celui-ci a le pouvoir magique de ne pas s’user en vieillissant !

La bourse ou la vie

Quatre lignes « grande vitesse » étaient en construction en 2013. Mais il n’y aurait pas eu moyen de rénover le dangereux nœud ferroviaire Brétigny-sur-Orge ? L’allocation de l’essentiel des ressources au TGV procède d’un choix économique. L’État au service des patrons développe une technologie d’excellence que les Thales et consorts vendront à l’étranger, la SNCF fait du fric sur des billets très chers, les édiles des grandes villes connectent leur métropole à la capitale et récoltent les suffrages des notables. Au passage, l’inflation immobilière grimpe, car les cadres parisiens peuvent maintenant habiter Nantes ou Lille et travailler à Paris. Aux prolos des périphéries les infrastructures vétustes, les retards et les dangers.

Et aujourd’hui ?

En 2013, 4000 kilomètres de lignes étaient soumises à des restrictions de vitesse pour cause de défaut de maintenance ou de non-renouvellement du matériel. Aujourd’hui, on en compte 5000. Mais l’état réel du réseau est sans doute bien pire. Des zones où « ça tape », c’est-à-dire où les roues subissent les chocs de voies en mauvais état ne sont pas toujours signalées à cause des lourdeurs bureaucratiques des signalements, qui n’entraînent souvent aucun changement. Que des accidents comme Brétigny ne se répètent pas chaque année relève du miracle. Mais ces miracles invisibles sont ceux que les aiguilleurs, contrôleurs, agents d’escale, agents de maintenance, ouvriers des ateliers et conducteurs font régulièrement. En septembre 2020, c’est un conducteur de train seul à bord à cause des suppressions de postes qui avait évité une nouvelle catastrophe en parcourant, blessé, des dizaines de kilomètres pour signaler un accident. Une vague massive de droits de retrait avait alors suivi. La parodie du procès de Brétigny a le mérite de montrer dans quel mépris la SNCF tient les travailleurs et les usagers. Pour un véritable service de transport ferroviaire au service des usagers, il faudrait placer tous les leviers de décision sous le contrôle des cheminots eux-mêmes. Dans ce domaine comme dans tous les autres, c’est tout le fonctionnement de la société qu’il faut changer.

Correspondant

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