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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 82, juillet-août 2012

Pas jolie, jolie, la galère des colonies de vacances

3 juillet 2012 Convergences Société

L’an dernier, près d’un million d’enfants, soit 10 % des 4-17 ans, sont partis en séjour de vacances ou centres de vacances, le nom officiel des « colos ». Et quatre millions ont été accueillis en centres de loisirs – les bons vieux « centres aérés ». Tous ont été accompagnés et encadrés par plusieurs dizaines de milliers d’animateurs. Lesquels en garderont peut-être un drôle de souvenir, digne de la chanson de Pierre Perret.

Entre marchandisation et professionnalisation

Depuis les années 1950 ou 1960, l’animation s’est professionnalisée. À commencer par la responsabilité pénale des animateurs et directeurs, largement renforcée, en même temps que la réglementation sur la sécurité des locaux se durcissait. À partir de 1973, la mise en place des Brevets d’aptitude aux fonctions d’animateur (BAFA) et de directeur (BAFD), et la fixation d’un quota minimum de titulaires de ces diplômes pour obtenir l’autorisation de fonctionner ont fait de ces deux postes de vrais métiers. Parallèlement, les centres de vacances comme de loisirs sont devenus des pourvoyeurs de prestations tarifées entre lesquels il s’agit de faire un choix en tant que consommateur et client, exactement de la même façon que pour n’importe quel service. Phénomène classique de marchandisation d’une activité auparavant bénévole.

Mais les associations continuent de dénier à l’animateur le statut de salarié. Elles préfèrent voir en lui un « volontaire », qui s’épanouit autant que les enfants dont il s’occupe. Elles oublient un peu vite qu’elles ont tiré parti de sa professionnalisation en facturant les stages de préparation au BAFA en moyenne 1 200 euros à chaque animateur.

Dans la cale, les animateurs rament

L’animateur est le soutier bon à tout faire et payé des clopinettes. Dans les centres de loisirs, le salaire est fixé selon un forfait quotidien atteignant en général une trentaine d’euros pour, en principe, 3 heures de travail. Sauf que les 3 heures sont en réalité des journées complètes, le plus souvent 10 heures, depuis l’accueil-garderie à 8 heures jusqu’à 18 heures. Le salaire horaire tombe donc d’environ 10 à 3 euros, voire moins. Les colonies fonctionnent peu ou prou sur le même principe : le forfait équivaut à 35 heures payées au Smic, voire en-dessous, pour une semaine de disponibilité totale et de tous les instants. Par comparaison, des éducateurs accompagnant des jeunes en « séjour de rupture » pour les couper du milieu social qui les a plongés dans la délinquance, sont payés 2 400 euros pour deux semaines et disposent en plus d’une semaine de congés supplémentaires...

On objectera – à juste titre – que le public particulièrement « remuant » de ces « séjours de rupture » exige des encadrants une vigilance de tous les instants justifiant une rémunération particulière. Sauf que le public des centres de vacances s’est, lui aussi, modifié. Bon nombre de ceux-ci accueillent désormais des handicapés, y compris des adultes placés en IME [1], ou des jeunes psychologiquement instables. Avec des responsabilités médicales à la clé, puisque ces colos n’embauchent quasiment jamais de personnel médical formé. L’« assistant sanitaire », en principe obligatoire dans chaque structure, doit détenir... une Attestation de formation aux premiers secours. Ce qui, par exemple, n’empêche pas la direction départementale de la Jeunesse et des Sports des Landes d’assigner à cet assistant la tâche de « soigner les enfants comme le personnel » dans un document publié en juin 2003 par le Journal de l’animation [2]. Mais l’assistant sanitaire jouant le plus souvent le rôle de directeur adjoint, il laisse aux autres le soin d’administrer quotidiennement des traitements médicaux lourds – notamment des psychotropes – et se contente de signer après coup un registre.

Lorsque le centre ne peut payer du personnel de cuisine ou de nettoyage, l’animateur supplée. Le soir, après la fermeture du centre de loisirs, ou en colo lorsqu’on a enfin réussi à coucher les gosses, il faut se réunir pour faire le bilan de la journée écoulée et préparer la suivante. Ce rythme épuisant met rapidement les équipes au bord de la crise de nerfs. Et certains directeurs, eux-mêmes anciens animateurs, en viennent à considérer que celui qui n’a pas craqué au moins une fois dans un séjour « n’a pas tout donné ». Comment s’étonner dans ces conditions que la consommation d’alcool et de cannabis soit monnaie courante parmi les animateurs de colonie, malgré les mises en garde répétées des associations employeuses...

Des patrons associatifs mais vrais négriers

Car la plupart des patrons du secteur sont des associations à but non lucratif – seuls 15 % des séjours sont organisés par des sociétés commerciales ou des comités d’entreprise [3] – héritières d’une longue histoire portée au départ par l’Église puis par les différents courants du mouvement ouvrier. Le Contrat d’engagement éducatif (CEE), qui a pris, en 2006, la relève de l’annexe II de la convention collective de l’Animation datant de 1989, ferait pourtant rêver plus d’un PDG. Jusqu’à sa remise en cause il y a peu, il avait supprimé toute limite à la journée de travail, qui pouvait durer 24 heures ! Aucun temps de pause légal n’était fixé. Le seul temps de repos obligatoire était de 24 heures – non payées – par semaine. De plus, la couverture sociale était réduite au strict minimum – par exemple, aucune cotisation retraite... – tout en octroyant des dégrèvements aux employeurs, et le forfait quotidien minimum ramené de 3 à 2 heures [4], soit 20 euros !

C’est le miracle du secteur « associatif » dans le système capitaliste : faire gérer à bon compte l’encadrement social des pauvres, en déléguant aux bonnes volontés de l’économie « non lucrative » la surexploitation de ses salariés et bénévoles contraints.

« Qu’on ne vienne pas nous traiter d’esclavagiste ! » [5], s’insurgent des dirigeants associatifs, indignés qu’on puisse imaginer qu’ils font du fric « sur le dos des moniteurs ». Car, c’est un fait, ils tirent le diable par la queue. Les moyens alloués par les Caisses d’allocations familiales (850 millions d’euros l’an dernier) auraient ainsi significativement fondu depuis quelques années. Les municipalités rechigneraient de plus en plus à financer correctement leurs activités.

À l’automne dernier, les associations d’éducation populaire ont donc engagé un lobbying intensif auprès du gouvernement et des députés. Pas pour obtenir plus de moyens. Mais pour limiter le ravalement de façade de ce Contrat d’engagement éducatif de 2006, qu’un arrêt de la Cour de justice européenne d’octobre 2010 [6] avait jugé non conforme aux standards européens de législation du travail, pourtant pas bien protecteurs ! Touchant spectacle que ces associations plutôt « de gauche » faisant chorus avec des députés UMP pour refuser l’application des bases élémentaires du Code du Travail aux animateurs ! Face à elles, l’association « Léa et Orane », montée par les familles de deux adolescentes tuées dans un accident de la route lors de leur colo aux États-Unis, a rappelé, épaulée par des syndicalistes, les conséquences de la surexploitation des animateurs : la monitrice conduisant le minibus accidenté n’avait pas le permis adéquat et surtout pas dormi plus de deux heures dans les vingt-quatre heures précédentes. Au final, un repos de huit heures par jour minimum a été inscrit dans le CEE. Reste à savoir s’il sera appliqué. Les animateurs ne sont en effet pas les derniers à se laisser prendre au chantage de leurs patrons sur le thème « s’il faut vous payer décemment, on va fermer boutique, et c’est les enfants qui vont trinquer »...

Mathieu PARANT


[1Institut médico-éducatif.

[2Consultable sur le site de l’association Aroéven de Bordeaux : http://www.aroeven-bordeaux.fr/anim...

[3 Rapport du groupe de travail sur le CEE, présidé par André Nutte à la demande du gouvernement, février 2012.

[4Pour des journées réelles de 10 heures, rappelons-le.

[5« Quelles colos demain ? », n°546 de la revue Vers l’éducation nouvelle, avril 2012.

[6Elle avait été saisie par l’Union Départementale Sud de l’Isère.

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