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Olympisme : derrière l’idéal affiché, une réalité moins reluisante

26 juillet 2021 Article Monde

Photo : Pierre de Coubertin en 1915

Alors que les JO de Tokyo se poursuivent, il est intéressant de jeter un coup d’œil sur l’histoire et sur l’idéal qu’ils sont supposés représenter.

Bref rappel. Le second des cinq « Principes fondamentaux de l’Olympisme » énonce : « Le but de l’Olympisme est de mettre le sport au service du développement harmonieux de l’humanité en vue de promouvoir une société pacifique, soucieuse de préserver la dignité humaine » [1]. Noble proclamation. Mais toute l’histoire du mouvement et des Jeux olympiques montre que son esprit n’a jamais été respecté et qu’il a sciemment été violé à de nombreuses reprises.

Ce qui n’a rien d’étonnant. Dans un monde où l’exploitation et l’oppression des êtres humains sont la norme, où les rivalités entre États entraînent régulièrement des conflits armés sur l’ensemble de la planète, penser que le sport serait à lui seul capable « de promouvoir une société pacifique, soucieuse de préserver la dignité humaine » est soit parfaitement naïf, soit complètement hypocrite, soit les deux. Et l’histoire de l’olympisme en témoigne depuis la création des Jeux olympiques de l’ère moderne en 1894 à la manifestation d’athlètes afro-américains à Mexico en 1968 en passant par ceux de Berlin en 1936 et quelques autres.

Un réactionnaire affirmé et raciste : Pierre de Coubertin [2]

Baron de son état, issu d’un milieu royaliste, fréquentant les milieux de droite et d’extrême droite, Charles Pierre Fredy de Coubertin, est surtout connu pour être celui qui a réussi à relancer les Jeux olympiques à la fin du xixe siècle alors que plusieurs de ses contemporains n’avaient pas réussi à mener à bien le projet.

C’était un admirateur du sport pratiqué notamment dans les public schools britanniques, qui contrairement à ce que leur nom pourrait faire croire, étaient des établissements d’enseignement secondaire privés assez huppés, réservés aux enfants de la bourgeoisie. Le sport était alors considéré comme un auxiliaire de la formation intellectuelle, réservé à une élite qui pourrait le pratiquer plus tard comme loisir, loin du professionnalisme qui existait dans les sports populaires au sein des classes laborieuses comme le football et la boxe.

De plus, s’il qualifiait les Jeux d’instruments de paix, Coubertin se voulait patriote, nationaliste voire belliciste. À la veille de la Première Guerre mondiale, chaud partisan de la revanche sur l’Allemagne, il présentait le sport comme un moyen d’entraîner les pratiquants au combat : « Le jeune sportsman se sent évidemment mieux préparé à partir à la guerre que ne le furent ses aînés et quand on est préparé à quelque chose, on le fait plus volontiers. »

Il faut ajouter qu’il était un fervent partisan de la colonisation, se définissant lui-même comme « un colonial fanatique ». Et il voyait aussi le sport comme un instrument utile de « disciplinisation des indigènes ». Il était raciste et ne s’en cachait pas, estimant notamment que : « les races sont de valeur différente et à la race blanche, d’essence supérieure, toutes les autres doivent faire allégeance. »

Cerise sur le gâteau, si l’on peut dire, il était profondément sexiste. À ceux qui évoquaient la possibilité d’ouvrir les olympiades aux femmes, il répondait : « Une petite olympiade femelle à côté de la grande olympiade mâle. Où serait l’intérêt  ? […] Impratique, inintéressante, inesthétique, et nous ne craignons pas d’ajouter : incorrecte, telle serait à notre avis cette demi-olympiade féminine. Ce n’est pas là notre conception des Jeux olympiques dans lesquels nous estimons qu’on a cherché et qu’on doit continuer de chercher la réalisation de la formule que voici : l’exaltation solennelle et périodique de l’athlétisme mâle avec l’internationalisme pour base, la loyauté pour moyen, l’art pour cadre et l’applaudissement féminin pour récompense. » Et son pseudo-internationalisme semblait alors se limiter aux seules nations blanches.

Coubertin, qui présida le Comité international olympique de 1896 à 1925, était à sa tête lors des JO de 1904 organisés à Saint-Louis dans l’État raciste américain du Missouri. Les responsables y organisèrent des compétitions ouvertes aux seuls Blancs, puis d’autres, dites « journées anthropologiques », réservées « aux représentants des tribus sauvages et non civilisées », c’est-à-dire aux Amérindiens, aux Noirs et aux Asiatiques. Coubertin se désolidarisa de ce qu’il considérait être « une mascarade outrageante », estimant non pas que les participants de couleur avaient leur place aux côtés des compétiteurs blancs mais qu’ils l’auraient peut-être un jour après avoir appris de l’homme blanc à contrôler « leur force primitive ». Bien entendu, personne au CIO ne proposa de sanctionner les membres racistes du Comité des JO de Saint-Louis.

1936 – Les Jeux de Berlin

Organisés à Berlin, les Jeux de 1936 avaient soulevé une vague d’indignation dans l’opinion mondiale, en pleine persécution contre les Juifs et les Tziganes. Coubertin, qui n’avait plus qu’un an à vivre, n’était plus président du CIO mais gardait en son sein une influence prépondérante. Il défendit bec et ongles la candidature de la capitale du Reich. Il profita de l’occasion pour dire la profonde admiration qu’il éprouvait pour Hitler. Il avait d’ailleurs développé, quelques années auparavant, une conception quasi-eugéniste de la société en affirmant : « Il y a deux races distinctes : celle au regard franc, aux muscles forts, à la démarche assurée et celle des maladifs, à la mine résignée et humble, à l’air vaincu. Eh bien ! … dans le monde, les faibles sont écartés, le bénéfice de cette éducation (sportive) n’est appréciable qu’aux forts. »

On sait que les Jeux furent utilisés par Hitler comme une vitrine de l’Allemagne nazie et de son régime. Comme titrait le quotidien du PCF l’Humanité à sa une du 18 août 1936 : « À Berlin, on se sert du sport, on ne le sert pas ». Coubertin laissa faire. Par exemple, il ne réagit pas lorsque Joseph Goebbels, ministre de la Propagande et de l’Information du Troisième Reich, imposa le salut nazi à l’ouverture de la cérémonie. La délégation française s’y plia et comme le notait (ironiquement ?) l’hebdomadaire sportif Match dans son numéro du 4 août de cette année-là, lors de l’entrée des délégations sur le stade « nos athlètes font le salut olympique qui ressemble, à s’y méprendre, au salut hitlérien ». De même Coubertin ne réagit pas plus lorsque le même Goebbels décida de souligner le lien entre le Troisième Reich « aryen » et la Grèce antique, via Rome et le Saint-Empire romain germanique, en faisant allumer une torche à Olympie et en la faisant porter par relais jusqu’au stade olympique. Un symbole plus que douteux qui a subsisté jusqu’à nos jours.

Malade et absent au moment des Jeux, le baron envoya cependant un télégramme de félicitations lors de leur clôture qui disait : « Que le peuple allemand et son chef soient remerciés pour ce qu’ils viennent d’accomplir. »

Pour en finir avec les JO de Berlin, un mot sur Avery Brundage qui allait devenir président du CIO de 1952 à 1972. Présent à Berlin en 1936 en tant que dirigeant de la délégation américaine, il ne cachait pas non plus son admiration pour le Führer mais aussi pour Leni Riefenstahl, la cinéaste fétiche d’Hitler qui réalisa un film sur les Jeux intitulé Olympia, traduit en français par Les Dieux du stade. Brundage l’invita l’année suivante aux États-Unis et organisa une projection en son honneur dans sa résidence privée car, expliqua-t-il, « tous les propriétaires de cinémas et de théâtres sont des Juifs » [3]. Charmant personnage.

1968 – La révolte de Mexico

Le même Brundage était aux commandes lors des Jeux de Mexico en octobre 1968. Cette année-là avait été marquée, au printemps, par des révoltes dans le monde entier. À Mexico même, quelques jours avant leur ouverture, le 2 octobre, la police avait ouvert le feu sur des manifestants étudiants, faisant entre 200 et 300 morts. Ce qu’on appela le massacre de la place des Trois Cultures. Mais le CIO refusa là encore d’annuler les Jeux.

Autre fait marquant, au mois d’avril précédent, aux États-Unis, Martin Luther King avait été assassiné à Memphis. Militant pacifiste, prix Nobel de la paix en 1964, adepte de la non-violence et de la désobéissance civile, l’un des meneurs de la communauté noire disparaissait et nombre de ses supporters étaient arrêtés. Dans ce climat de violente répression, les athlètes noirs décidèrent de frapper un grand coup. Ils se divisèrent entre ceux qui voulaient boycotter les Jeux et ceux partisans de les utiliser comme caisse de résonance. C’est finalement cette seconde option qui l’emporta. Lorsqu’à l’issue du 200 mètres deux athlètes afro-américains, John Carlos (troisième) et Tommie Smith (premier) montèrent sur le podium, au moment où retentissait l’hymne américain, ils levèrent un poing ganté de noir, signe de ralliement du Black Power, et baissèrent la tête pour affirmer leur soutien à la lutte pour les droits civiques. Ils furent aussitôt exclus de l’équipe américaine et sommés par Brundage de quitter le pays. Quant au troisième homme du podium, qui était arrivé second, un Canadien blanc du nom de Peter Norman, il se solidarisa avec ses deux camarades et fut aussitôt sanctionné à son tour.

Mais Brundage n’était pas au bout de ses peines. Le lendemain, trois autres vainqueurs afro-américains du 400 mètres, Lee Evans, Larry James et Ron Freeman, se présentaient sur les marches du podium avec un béret noir, symbole des Black Panthers, autre référence à l’injustice qui persistait dans leur pays. Brundage qualifiera plus tard ces incidents de « sale manifestation contre le drapeau américain par des négros » [4].

Enfin il faut signaler que Brundage dirigeait toujours le CIO lors des Jeux de Munich en septembre 1972 qui virent un commando palestinien du groupe Septembre noir prendre en otage puis ouvrir le feu sur des athlètes israéliens, tuant onze d’entre eux et un policier avant d’être eux-mêmes abattus. Brundage décida une journée de deuil, mais refusa d’annuler les Jeux. Cependant, il provoqua un scandale en mettant sur le même plan la tuerie de « Septembre noir » et le refus d’une majorité de membres du CIO d’accepter la participation d’une délégation entièrement blanche envoyée par le régime d’apartheid de la Rhodésie (aujourd’hui le Zimbabwe) qu’il soutenait, qualifiant les deux faits « d’attaques contre l’olympisme ».

Destructions, expulsions et enrichissement

Pour terminer, un coup d’œil rapide sur deux olympiades qui se distinguèrent chacune dans leur domaine, celle de Pékin et celle de Sotchi.

Pékin, 2008 – Les Jeux de la XXIXe Olympiade de l’ère moderne eurent lieu dans la capitale et dans six autres villes chinoises du 8 au 24 août 2008. En vue de leur préparation, les autorités chinoises avaient fait détruire toute une partie des vieux quartiers de la ville, considérés comme vétustes et peu représentatifs de la Chine moderne, en expulsant leurs habitants et en les obligeant à se reloger parfois à des dizaines de kilomètres de là. Le CIO garda un silence poli sur ces expropriations massives et les drames humains qu’elles entraînaient considérant qu’il s’agissait là d’une affaire interne à la République populaire.

Sotchi, 2014 – À Sotchi, sur les bords de la mer Noire, se déroulèrent en 2014 les Jeux olympiques d’hiver les plus controversés depuis leur création en 1924. Non seulement la petite station balnéaire était située dans une zone boisée sans aucune infrastructure sportive, mais de plus elle jouissait d’un climat méditerranéen où la neige était rare. Vladimir Poutine y tenait pour des raisons de prestige et le CIO céda. Les dégâts environnementaux furent colossaux, ainsi d’ailleurs que la facture finale qui s’éleva à 37 milliards de dollars (certains parlent même de 50 milliards) alors que la facture prévue était de 9 milliards de dollars. Ce furent les Jeux les plus chers jamais organisés, le précédent record étant détenu par Pékin avec 26 milliards de dollars. Le coût des Jeux de Sotchi équivalait à lui seul à celui des six dernières olympiades hivernales additionnées.

Cet argent ne fut pas perdu pour tout le monde. Un des proches de Poutine, Arkadi Rotenberg, empocha à lui seul 7,4 milliards de dollars, soit une somme supérieure à celle dépensée à Vancouver pour les JO de 2010 [5].

Réenchanter les Jeux olympiques ou les supprimer ?

Dans un éditorial récent, Le Monde [6] parle de « réenchanter les Jeux olympiques » et écrit : « …la magie de l’olympisme n’opère plus comme avant. L’instrumentalisation politique de l’évènement, les scandales à répétition sur le dopage et la corruption, l’influence grandissante des enjeux financiers ont fini par dénaturer l’esprit des Jeux. La célèbre devise du baron Pierre de Coubertin, plus vite plus haut, plus fort, modernisée récemment par l’ajout du mot “ensemble”, s’est transformée en “plus coûteux, plus contesté, plus politique”. » Et de souhaiter que les Jeux de 2024 à Paris soient différents. On peut toujours rêver.

Mais le bilan dressé par Le Monde pêche par oubli. Les JO n’étaient pas mieux avant qu’aujourd’hui. Ils ont toujours été l’enjeu d’intérêts politiques, économiques et financiers. Même si cela n’empêche évidemment pas ceux qui les regardent d’éprouver du plaisir en voyant des athlètes de haut niveau donner le meilleur d’eux-mêmes et se confronter.

Pas plus qu’une autre activité sociale, le sport ne pourra devenir libre, honnête et libérateur tant qu’il se déroulera dans une société qui fait de l’argent sur tout, y compris sur le dos des sportifs. À l’avenir, débarrassées du capitalisme, les compétitions sportives continueront bien sûr d’exister. Mais on mettra plus l’accent sur le sport populaire que sur le sport d’élite, plus sur l’épanouissement individuel par l’activité physique que sur la recherche de la performance à tout prix. Bref le sport sera pleinement en phase avec une société sans classe.

Jean Liévin


[1Principes fondamentaux de l’Olympisme — état en vigueur au 17 juillet 2020, dans « Charte Olympique », https://stillmed.olympic.org/media/...

[2Voir notamment le très long article que lui consacre Wikipedia dont sont tirées toutes les citations.

[3Cité par Garry Kasparov dans Poutine : des jeux et des geôles, L’Herne.

[4Avery Brundage, article de Wikipedia.

[5Garry Kasparov, ouvrage cité.

[6Le Monde, 25-26 juillet 2021.

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