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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 35, septembre-octobre 2004 > DOSSIER : Défendre les services publics ? Pourquoi ? Comment (...)

Les trois pieuvres, maîtresses de l’eau

1er octobre 2004 Convergences Société

Acheminer de l’eau potable chez les habitants doit être considéré évidemment comme un service public indispensable. En France, ce sont d’ailleurs les communes qui sont chargées de sa gestion. Parfois elles le font elles-mêmes avec un personnel municipal qui se charge du réseau d’approvisionnement ainsi que du traitement des eaux usées.

Mais d’autres, et de plus en plus souvent, délèguent la gestion du réseau, en partie ou intégralement, à une entreprise privée. Déjà Lyon en 1853 l’avait remise à la Compagnie générale des eaux. Celle-ci a depuis prospéré, prenant en 1998 le nom de Vivendi et en 2003 celui de Veolia environment. Elle gère aujourd’hui l’eau pour 8 000 collectivités locales, soit 26 millions de personnes approvisionnées. La deuxième grande entreprise de l’eau, la Lyonnaise des eaux, date elle aussi du XIXe siècle ; filiale du groupe Suez, elle s’appelle désormais Ondeo. Dernière arrivée sur le marché, la Saur est une filiale de Bouygues.

La gestion de l’eau par des entreprises privées est donc chose ancienne, mais depuis 50 ans, elle s’est généralisée avec l’encouragement de l’Etat : 31 % du marché était géré par le privé en 1954, 60 % en 1980 et 80 % aujourd’hui. Production, distribution, gestion des eaux usées, usines de retraitement et stations d’épuration, cabinets d’experts, recherche dans le domaine de l’eau, dans tout cela les trois compagnies règnent désormais en maître.

Des factures encore moins claires que leur eau

Le service de l’eau est donc un secteur particulièrement juteux.

Lorsqu’une commune passe contrat avec une compagnie, cette dernière assume pour une longue durée (au moins dix ans), la gestion et l’entretien du réseau de l’eau. La compagnie encaisse les factures sur l’eau consommée mais les investissements restent pour elle des commandes qu’elle peut facturer au prix fort. Car le réseau reste propriété de la mairie et c’est la collectivité qui finance les grands investissements.

D’autre part les compagnies contrôlent toutes les étapes du processus, et tout le monde sait que l’existence de trois grands groupes permet des ententes pour se partager les marchés en maintenant des prix élevés. Il est donc difficile pour un maire de contester les tarifs imposés ou de mettre en cause tel investissement qu’elles proposent pour améliorer le réseau.

Sans compter que de nombreuses municipalités accordent des contrats juteux aux compagnies en échange de cadeaux légaux ou illégaux. De la corruption individuelle de certains élus jusqu’aux dons faits à la municipalité ou à un parti, comme l’ont montré de nombreuses affaires, les compagnies de l’eau n’ont pas manqué d’imagination pour décrocher leurs contrats. Et quand elles font un cadeau aux autorités, ce sont les administrés qui en paie la note, par l’augmentation de leur facture d’eau.

Une facture qui est bien opaque. Les variations de prix d’une ville à l’autre peuvent aller de 1 à 7, sans que cette multiplication soit vraiment justifiée par les problèmes techniques. Ce qui est certain, c’est que l’eau est globalement plus chère dans les communes à gestion privée que dans celles à gestion publiques (30 % de plus). Et surtout, les prix ne cessent d’augmenter : les clauses imposées par les compagnies provoquent une explosion des tarifs (une hausse de 70 % sur la période 1990-1998).

Le modèle français qui s’exporte

La gestion privée n’est pas davantage une garantie de bon service. Partant du principe que l’usager et la commune paieront car l’eau est indispensable, le réseau est souvent délaissé. Des fuites dans les canalisations provoquent une perte d’un tiers de l’eau avant l’arrivée au robinet ? Une compagnie préférera surfacturer l’usager, en lui faisant payer l’eau perdue plutôt que de mettre en œuvre les rénovations nécessaires. Des problèmes de pollution à gérer ? Pour les trusts de l’eau, cela peut être l’occasion de vendre une station d’épuration surdimensionnée au prix fort sans pour autant faire les améliorations du réseau nécessaires ailleurs. Le savoir-faire en matière de l’eau des Veolia, Ondeo et Saur est indiscutable, mais il est mis en œuvre seulement s’il y a du profit à la clé, pas pour répondre aux besoins de la collectivité.

Quand Vivendi prélevait sur chaque facture une somme censée constituer une provision pour les travaux à venir, ces sommes arrivaient depuis 1997 dans les comptes d’une société financière basée en Irlande, sommes qui étaient non pas conservées mais réinvesties dans le développement de... Vivendi Universal. Avec les déboires de Jean-Marie Messier dans le domaine audio-visuel la part de provisions envolées est évalué à près de 5 milliards d’euros.

Les trois grands groupes de l’eau, avec les profits faits sur la gestion de l’eau, ont pu démultiplier leurs investissements, en particulier dans d’autres secteurs d’activité comme la propreté, l’énergie, les transports. Appliquant les mêmes recettes, elles font payer là aussi à la collectivité la gestion, jamais exemplaire, de services essentiels comme le ramassage et le traitement des ordures ou les réseaux de bus.

Les succès accumulés et les profits engrangés en France ont fait des trusts français des leaders mondiaux en matière de gestion de l’eau. Celle-ci, encore publique dans la plupart des pays, se heurte à de nouveaux problèmes dus à la démographie et au développement des villes, et comme ailleurs c’est en privatisant que les autorités s’efforcent de les résoudre. Les trusts français, avec toute les compétences aussi bien techniques que mafieuses qu’ils ont acquises en la matière sont très bien placés pour rafler les marchés qui se sont ouverts depuis une vingtaine d’années, que ce soit en Chine, aux Etats-Unis, en Côte d’Ivoire, au Brésil, ou ailleurs. Veolia est ainsi devenu le premier groupe mondial de gestion de l’eau et réalise 60 % de son chiffre d’affaires à l’étranger. Bien entendu, avec toujours les mêmes effets : hausses des prix, qualité discutable de l’eau, coupures d’eau pour impayés qui en privent les plus pauvres. Voilà comment le « modèle français » de gestion de l’eau se développe sur toute la planète.

Michel CHARVET

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