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À propos de la situation en Israël et en Palestine. Réponse à l’article de Gil Lannou

Le plan Trump : maintenir Israël dans le rôle de gendarme au sein du monde arabe

6 avril 2020 Article


(Réponse à l’article de Gil Lannou : Le plan Trump contre les Palestiniens)


Le prétendu « plan de paix » pour la Palestine présenté par Donald Trump fin janvier n’était qu’une façon de plus d’apporter son total soutien au chef de file de la droite israélienne, Benyamin Netanyahou, en pleine campagne électorale (la troisième élection en moins d’un an, celles d’avril et de septembre 2019 n’ayant permis de dégager aucune majorité gouvernementale). Et Trump, après avoir déjà satisfait la droite et l’extrême droite en décrétant, en 2017, Jérusalem « capitale d’Israël », en rajoutait en approuvant la mesure phare du programme électoral de Netanyahou : l’annexion « immédiatement après l’élection » de la rive ouest de la vallée du Jourdain, en Cisjordanie considérée comme palestinienne.

Avec cette déclaration Trump jouait gagnant-gagnant par rapport à la prochaine élection israélienne, puisque le principal « concurrent » de Netanyahou, le chef de l’alliance dite « centriste », le général Benny Ganz, s’était lui aussi, en janvier, rallié à ce projet d’annexion. Démagogie réactionnaire contre démagogie réactionnaire, les deux concurrents sont d’ailleurs arrivés presque à égalité au vote du 2 mars et sont en train, unité nationale contre le covid-19 exige, de se préparer à gouverner ensemble.

Ce souci de Trump de soutenir tout ce qu’il y a de plus réactionnaire dans le monde politique israélien n’a évidemment rien à voir avec un quelconque « plan de paix » : c’est au contraire avant tout pour ménager l’alliance indéfectible de l’armée israélienne avec les USA pour les opérations de guerre au Moyen-Orient. Sur le dos des Palestiniens, en premier. Sur le dos du peuple israélien également, enfermé depuis la création d’Israël, par la politique de ses dirigeants et des grandes puissances impérialistes qui s’en servent, dans un état de guerre permanent.

Sur quoi nous discutons :

Dans son article sur « Le plan Trump contre les Palestiniens », notre camarade Gil Lannou rappelle à juste titre que, depuis les accords d’Oslo en 1991 qui concédaient aux dirigeants du mouvement nationaliste palestinien des territoires à gérer, avec la promesse d’avoir demain leur État, la réalité n’a jamais été autre chose, sous le contrôle du seul État d’Israël, que la création de ghettos, de bantoustans pour Palestiniens, dont les dirigeants étaient chargés de gérer la misère et d’y faire la police, pour protéger Israël de la colère du peuple palestinien. Des territoires qui n’ont depuis cessé d’être morcelés et grignotés par l’implantation de colonies israéliennes. Mais face à la supercherie de cette prétendue « solution à deux États », l’article met en avant le mot d’ordre de la lutte pour un État unique, qui répondrait à la formule floue d’« État binational » où Palestiniens et Israéliens jouiraient de droits égaux, et serait, selon lui, « un objectif immédiat et porteur d’avenir ». C’est là qu’est notre désaccord.

Un État, mais quel État ?

La première question que pose cette formule c’est de quel État s’agit-il ? Un État bourgeois ou ouvrier ? Car sans révolution sociale l’égalité entre les deux communautés (en réalité bien plus de deux communautés avec des droits inégaux en Israël) serait un mythe. Gil Lannou le pense comme nous tous, qui écrit : « la coexistence des deux peuples sur un même territoire ne pourra être réalisée que par une révolution socialiste qui renverserait les régimes israéliens et palestiniens actuels ». OK. Mais alors que signifie, en tant qu’« objectif immédiat », cet « État binational » sans caractère de classe, sorte de revendication transitoire des plus imprécises ?

Et que penser de cet « objectif », quand, pour dénoncer les inégalités et absences de droits nationaux dont sont privés même les Arabes qui ont la citoyenneté israélienne (1,8 million), l’article cite leur « exclusion du droit de faire leur service militaire ». Notons au passage que la minorité arabe bédouine (200 000), est engagée à le faire, et se voit même promettre des promotions d’officiers permettant à une élite une plus grande intégration dans la société israélienne. Tout comme la minorité Druze (100 000) est soumise à l’obligation du service militaire, récompensée de sa participation à l’effort de guerre par une petite dose d’autonomie communautaire.

Évidemment le droit de servir dans Tsahal n’est pas une « égalité » bien attrayante. Et l’exemple n’est sans doute qu’une maladresse. Mais il révèle l’ambigüité de la revendication de droits égaux dans un État unique. Car lorsque nous rêvons à la contagion que pourrait exercer sur la population laborieuse et la jeunesse d’Israël la révolte des Palestiniens, nous pensons plutôt à la destruction de Tsahal, ossature de l’État d’Israël. Et on envisage un nouvel épisode du mouvement de refus du service militaire, de désertions de l’armée israélienne contre la guerre menée au Liban en 1982, en l’espérant bien plus fort qu’alors, ainsi qu’au développement d’un mouvement anti-guerre lors de la « révolte des pierres » de 1987-1988, aux désertions dans l’armée lors de l’offensive sur Gaza en 2014.

C’est aux luttes communes, ou au moins allant dans le même sens, entre Palestiniens et Israéliens contre l’État d’Israël que nous songeons, bien plus qu’à des droits égaux dans cet État, même devenu bi- ou tri-national.

Un « objectif immédiat » ?

Et ce n’est pas dans l’abstrait, par une formule toute faite, qu’on va définir « l’objectif immédiat » dont les masses palestiniennes d’un côté, les travailleurs et la jeunesse d’Israël de l’autre, pourraient s’emparer dans leurs luttes d’aujourd’hui, et qui serait « porteur d’avenir » pour celles de demain.

Le compromis d’Oslo que, de reculs en reculs, les dirigeants palestiniens ont accepté pour avoir au moins leur parcelle de pouvoir, n’était qu’un leurre. Mais mettre en avant aujourd’hui la fin même de ces territoires autonomes, qu’Israël ne cesse de grignoter, et l’intégration de tous à Israël pourrait bien n’être ressenti par le peuple palestinien que comme l’appel à un abandon de plus… Le dernier en quelque sorte.

Et bien des questions se posent que la mise en avant de l’abandon de toute revendication territoriale autonome peut paraitre éluder. À moins d’une révolution sociale qui poserait enfin en tout autre terme les problèmes d’égalité, non seulement légale mais sociale, d’habitats sans ségrégation, de moyens de vivre… Et c’est de celle-ci qu’il faut parler, à partir des problèmes concrets tels qu’ils se posent, dont les revendications territoriales, de reconnaissance du peuple palestinien et de ses droits sont l’un des facteurs.

Quid par exemple, des implantations croissantes de colons israéliens qui prennent possession de toutes les terres un tant soit peu fertiles de la Cisjordanie, et en accaparent toute l’eau ? Est-on ou non pour la destruction de ces colonies et la restitution des terres aux Palestiniens ? Sans quoi le grignotage des terres des Palestiniens, le confinement de ceux-ci dans des cités ghettos ne deviendraient-il pas, tout simplement, le résultat ordinaire de la loi du marché dans un État unique, s’il n’est pas celui des travailleurs ?

Et quid des Palestiniens exilés de force dans les pays arabes voisins (2,2 millions en Jordanie, 500 000 au Liban, plus de 550 000 en Syrie, dont 120 000 ont aujourd’hui fui la guerre vers les pays voisins, suivant les chiffres de l’UNWRA) ? De leur droit au retour sur le territoire d’Israël, et des moyens d’y vivre ? Mais probablement aussi plus largement de leurs conditions de vie dans leur pays d’exil ? Car ils n’ont pas forcément tous envie de le quitter pour se retrouver enfermés dans ce petit Israël. Leur sort est lié à celui des couches pauvres des pays qui les accueillent, voire des guerres qui s’y mènent.

Et quid des territoires conquis par Israël sur les pays voisins ? Le Golan par exemple, pris sur la Syrie en 1967 et précieux en tant que grande réserve d’eau de la région, devrait-il faire partie de ce nouvel État d’Israël devenu binational ? Ou redevenir syrien ?

Un programme (et nous ne sommes pas en mesure d’en donner un) est plus qu’une formule. Et le problème palestinien dépasse largement le cadre du seul Israël : il serait vain de croire qu’on aurait une « solution » dans ses étroites frontières. C’est à partir des problèmes concrets auxquels sont confrontés la population pauvre palestinienne et la classe ouvrière israélienne, à partir des faits qui périodiquement conduisent à des explosions sociales que viendront les « objectifs immédiats » de celles-ci. À charge pour les révolutionnaires communistes, de donner à ces luttes des perspectives socialistes et internationalistes sans lesquelles elles seront une fois de plus vouées à l’échec.

Que pensent aujourd’hui les jeunes Palestiniens ?

Quelles sont les aspirations des jeunes Palestiniens ? En l’absence de militants sur place, difficile d’ici de le savoir précisément. Beaucoup, sans doute, ne rêvent que de se barrer… comme d’Algérie, de Syrie, du Mali… D’autre aimeraient au moins circuler librement, voire pouvoir enfin trouver du travail pas loin de chez eux, là où il y en a, à côté, en Israël. Et pourtant, comme le dit aussi Gil Lannou, leurs sentiments nationaux ne sont pas morts. En témoignent les dizaines de milliers de Palestiniens qui participaient en mai 2018 aux marches vers la frontière nord de la bande de Gaza, malgré les tirs de l’armée israélienne, pour l’anniversaire de la « Nakba » de 1948. Ou les manifestations qui ont salué les déclarations de Trump.

Dans son article, Gil Lannou se saisit, pour étayer sa thèse, d’une petite phrase tirée d’un article du Monde selon laquelle parmi la jeunesse palestinienne d’aujourd’hui « la plupart soutiennent une fin des contacts politiques et sécuritaires avec Israël et privilégient la lutte pour des droits égaux au sein d’un seul État, Israël. Mais pas nécessairement une dissolution de l’Autorité palestinienne qui gère les services de santé et de police et est un pourvoyeur majeur d’emplois. » [1]. La « fin des contacts politiques et sécuritaires avec Israël », est visiblement une critique des compromis de l’Autorité palestinienne avec Israël, mais pas forcément un engouement pour les contacts avec Israël. Ils seraient plutôt favorables (ou résignés ?) à la lutte pour des droits égaux au sein d’Israël, mais en même temps reconnaitraient une certaine utilité pour gérer les services publics ou créer des emplois à l’Autorité palestinienne (qui n’est donc pas totalement « vomie par la population », même si elle le mériterait bien). Pour traduire cette petite phrase en « c’est ce qu’on nomme en politique le respect des droits nationaux par l’établissement d’un État binational » il faut beaucoup d’inventivité !

Pour donner un aperçu un petit peu plus complet, notre camarade aurait pu citer quelques autres aspects des rapports de l’institut de sondage d’opinion situé à Ramallah sur lesquels s’appuyait le journaliste du Monde [2]. Selon un sondage de décembre 2019, il n’y aurait plus aujourd’hui que 42 % de soutien à une solution à deux États, 75 % des sondés l’estimant surtout inaccessible. 28 % des Palestiniens interrogés seraient plus ou moins favorables à une « solution à un État » (en hausse par rapport aux années précédentes), mais 70 % contre. Et 51 % se disent pour le retour à une intifada armée, 43 % contre (donc bien loin d’un objectif légaliste).

Et le directeur de l’institut en question, Khalil Shikaki, avait résumé ces différents sondages dans le journal Libération du 23 juin dernier [3] : « Au fil des ans, nos études ont mis en exergue cinq points qu’on pourrait appeler les “besoins vitaux” ou les “briseurs d’accord”, sur lesquels les Palestiniens ne veulent pas transiger. En haut de la pile : la fin de l’occupation israélienne. Ensuite, le fait que n’importe quel type d’accord doit mener à la création d’un État palestinien, et, troisième et quatrième points, que les frontières de cet État suivent celles de 1967 et que sa capitale soit Jérusalem-Est. Enfin, la recherche d’une “solution juste” à la situation des réfugiés. »

Et il affirme que les réponses ont largement évolué aux questions suivantes : « Est-ce que la violence paie ? Est-elle plus efficace que la diplomatie ? », et « Faut-il lancer une campagne de violence pour mettre fin à l’occupation ». « Quand le processus d’Oslo était vu comme viable », dit-il, « la réponse était non à toutes ces questions. Mais après l’échec de Camp David en 2000, pour la première fois depuis longtemps, les Palestiniens ont répondu massivement que la violence payait, et qu’ils devaient lancer une campagne de violence. »

La solution à un État… dans tous ses états

Avec la fin des illusions suscitées par les accords d’Oslo, la « solution à un État » est revenue dans la bouche d’une partie des démocrates anti-apartheid israéliens ou palestiniens. Avec pour modèle, disent-ils, l’Afrique du Sud qui aurait su en finir avec l’apartheid et organiser le vivre-ensemble.

Le journaliste de Mediapart, Thomas Cantaloube, se fait l’écho de ce point de vue [4] : « les Palestiniens de la nouvelle génération l’ont bien compris, qui veulent forcer Israël à faire ce choix entre judaïté et démocratie, et à en supporter les conséquences aux yeux de l’opinion internationale. Pour eux, le modèle est déjà écrit : c’est celui de la lutte non-violente qui a eu lieu en Afrique du Sud dans la seconde moitié du XXe siècle jusqu’à l’abolition de l’apartheid. »

L’État unique de ces démocrates serait donc un Israël de l’apartheid, où il ne resterait plus, selon eux, qu’à mener la longue lutte des Noirs d’Afrique du Sud. « Non violente », nous dit le journaliste, oubliant les fusillades dans les ghettos ou sur les grévistes. Et quand on voit ce qu’est aujourd’hui l’Afrique du Sud et ses inégalités, on en tremble.

Ce point de vue n’est évidemment pas celui de Gil Lannou. Mais, même à notre corps défendant, n’ayons pas l’air, en prônant dans l’abstrait un mot d’ordre vague et ambigu d’État unique, d’emboiter le pas de leur appel à une certaine résignation. Ni d’entretenir aujourd’hui l’illusion réformiste d’une solution dans le seul État d’Israël, fût-t-il plus démocratique et moins inégalitaire.

Le sort de la Palestine est étroitement lié à celui de la révolution au Moyen-Orient

Dans les années 1970, la révolte du peuple palestinien jouissait d’une aura dans l’ensemble des peuples du monde arabe. Elle semblait prendre le relais de la façon dont l’Égypte de Nasser avait bravé l’impérialisme britannique, de la lutte du peuple algérien pour son indépendance. Mais le mouvement palestinien, parce qu’il n’était que nationaliste, ne s’est jamais adressé ni aux pauvres d’Israël (nationalisme oblige), ni à tous les opprimés du monde arabe qui regardaient vers lui et qui représentaient un potentiel révolutionnaire dans la région.

Aujourd’hui, plus encore que dans les années 1970, le sort du peuple palestinien est étroitement lié à celui des peuples arabes des pays voisins, aux guerres mais aussi aux révoltes qui s’y produisent, au Liban en Irak aujourd’hui, et, entre autres, au sort des 500 000 palestiniens de Syrie, dont une partie a dû fuir la guerre, mais dont les dirigeants liés à l’OLP se sont fait les alliés du régime syrien.

Sans oublier, en ce qui concerne la population ouvrière israélienne, frappée par la crise et par le coût des budgets militaires et de la guerre permanente, l’effet d’entrainement des révoltes du monde arabe de 2011 sur les manifestations sociales de septembre 2011 en Israël.

C’est plutôt de ce côté-là que les révolutionnaires de Palestine auraient à tourner les yeux.

Le 4 avril 2020, Olivier Belin


[1Les Palestiniens se sentent humiliés par le plan de Trump au Proche-Orient dans Le Monde du 29/01/2020

[2http://pcpsr.org/en/node/788

[3Khalil Shikaki La mefiance est telle entre Israeliens et Palestiniens que les populations ne sont plus une force de paix. Dans Libération du 23/06/2019

[4T. Cantaloube, « Les jeunes Palestiniens penchent pour une solution à un État au sein d’Israël »¸ Médiapart 1/08/2018. https://www.mediapart.fr/journal/international/010218/les-jeunes-palestiniens-penchent-pour-une-solution-un-etat-au-sein-d-israel?onglet=full

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