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Italie : contre l’exploitation 2.0

28 mars 2021 Article Monde

Grève chez Amazon

Le 22 mars, la première grève nationale chez Amazon a été un succès. Les syndicats parlent d’une moyenne de 75 % de grévistes, avec des chiffres atteignant 90 % dans le nord du pays. Amazon Italia, de son côté, annonce une participation entre 10 et 20 %. Au-delà de cette guerre des chiffres, la visibilité de la grève était incontestable. Des rassemblements de nombreux grévistes ont eu lieu dans différentes villes. Les plus importants d’entre eux à Milan, Gênes, Plaisance et Bologne.

La grève a été particulièrement suivie chez les livreurs qui protestent contre les rythmes de travail insupportables, avec un nombre de livraisons à effectuer calculé par un algorithme qui ne tient compte ni du trafic, ni de la météo (voir Convergences révolutionnaires no 136).

Sur les 40 000 travailleurs d’Amazon Italia, 9500 seulement sont embauchés directement par l’entreprise, 9000 sont intérimaires, 1500 travaillent pour des sous-traitants et pas moins de 19 000 livreurs sont considérés comme indépendants. Le fait que des milliers de travailleurs disséminés sur tout le territoire, avec différents types de contrats, souvent précaires, se soient mis en grève ensemble contre un colosse comme Amazon est une première qui comptera à l’avenir. Même si les confédérations syndicales restent assez vagues sur la suite, déclarant : « Nous attendons d’Amazon une convocation rapide, pour ne pas être contraints à poursuivre la protestation. »

Grève des coursiers à vélo

De leur côté, les coursiers (« riders ») se sont mis en grève le 26 mars, dans près d’une trentaine de villes, organisant localement des rassemblements ou des cortèges à vélo (de 150 personnes à Rome). Ils ont également appelé les clients à ne pas effectuer de commandes ce jour-là.

Les livreurs travaillent pour les plateformes alimentaires : UberEats, Delivroo, JustEat, Glovo… Ces plateformes se sont regroupées au sein d’AssoDelivery qui a signé, en septembre 2020, avec le syndicat UGL (Union générale du travail) [1] un accord prétendant définir un contrat de travail national. Accord contesté par les livreurs qui avaient déclenché, en novembre, une grève de protestation. Tout en prétendant apporter quelques améliorations, ce prétendu contrat pérennisait en fait la précarité, puisqu’il maintenait les livreurs dans un statut de « collaborateurs indépendants ». De plus, ils se voyaient contraints de signer ce contrat, sous peine de se voir refuser l’accès à l’application de gestion des commandes.

Du côté des pouvoirs publics et des plateformes

Le tribunal de Milan a condamné le 24 février les plateformes de livraison à 733 millions d’euros d’amende et à embaucher 60 000 livreurs. Un premier succès, même si les entreprises concernées ont fait appel de l’amende et si l’embauche se ferait sous contrat dit de « sub-subordination », qui est en fait une sorte de contrat hybride, entre le statut de salarié et celui de travailleur indépendant.

Après les grèves de novembre 2020, JustEat, a été la première entreprise à reculer en partie. Elle a décidé de sortir d’AssoDelivery et de « tester un contrat pilote » avec 40 embauches à Monza (près de Milan) promettant d’embaucher 2500 livreurs en 2021. Mais avec un salaire de base horaire de seulement 7,50 euros bruts, et après une période d’essai, pour des livreurs qui travaillent déjà pour JustEat. De plus, ce contrat prévoit l’obligation d’embaucher le salarié pour seulement dix heures par semaine. Salarié qui aurait l’obligation de travailler au minimum quatre samedis ou quatre dimanches par mois… Ce contrat a donc été dénoncé comme une arnaque par les livreurs, même si beaucoup d’entre eux, qui sont immigrés, y voient la possibilité d’obtenir un contrat de travail et de pouvoir espérer un permis de séjour.

Que veulent les livreurs ?

Comme l’a déclaré l’un d’eux dans la presse : « Nous en avons assez de travailler au rendement, pour trois euros par livraison. Nous voulons être écoutés par les plateformes et les pouvoirs publics, parce que si on a reconnu que nous faisons un travail essentiel pendant la pandémie, nos droits aussi sont essentiels. »

Les livreurs demandent d’être payés à l’heure, d’avoir les droits reconnus aux salariés (congés payés, jours fériés, congés maladie…)

« Riders Per I Diritti »

La grève du 26 mars a été déclenchée par le réseau national Riders Per I Diritti (« Pour nos droits ») regroupant différents collectifs locaux de livreurs qui se sont formés dans la plupart des grandes villes. Le 25 février, une centaine de livreurs appartenant à ces collectifs ont participé à une réunion sur Zoom et ont décidé d’appeler à cette grève, qui a reçu l’appui des syndicats de base, mais aussi des trois confédérations syndicales CGIL, CISL et UIL.

Deux jours avant la grève, les plateformes, représentées par AssoDelvery, ont signé avec la CGIL, la CISL et l’UIL, en présence du ministre du Travail et de représentants des livreurs, un accord interdisant la pratique du « caporalato » [2] qui consiste à passer par un « intermédiaire », et le rétribuer, pour pouvoir se faire recruter. Cet accord permet surtout aux confédérations syndicales de se faire reconnaître comme interlocuteurs par les entreprises de livraison, le « caporalato » étant déjà interdit par la loi.

Riders Per I Diritti, tout en estimant que cet accord était positif, a dit qu’il ne réglait cependant pas le cœur du problème, concernant les droits et garanties et « pour cette raison, nous confirmons la grève du 26 et les manifestations organisées à l’occasion du “No Delivry Day”. Les engagements formels ne suffisent pas, il faut aussi ajouter du concret et du sérieux aux promesses faites aux travailleurs de la part des entreprises et des institutions. »

Après le succès de la journée du 26 mars, Riders Per Diritti a décidé d’appeler à une journée de grève par mois, tant que les livreurs n’auront pas obtenu satisfaction. Le mot d’ordre mis en avant « Non per noi, ma per tutti » (pas seulement pour nous mais pour tous) est aussi une façon de s’adresser aux autres travailleurs précaires. Le 26 mars a eu lieu une grève de la logistique en même temps que celle des livreurs, à l’appel de syndicats de base, et une mobilisation des intermittents du spectacle, qui ont occupé un théâtre à Naples.

Thierry Flamand, 28 mars 2021


[1L’UGL, qui se présente comme la quatrième confédération syndicale italienne, est née de la fusion entre des petits syndicats corporatistes et la CISNAL (Confédération italienne des syndicats nationaux des travailleurs) elle-même liée à l’ex-MSI (Mouvement social italien), organisation néo-fasciste.

[2Le caporalato est un système de recrutement criminel, ayant cours surtout dans le bâtiment et dans la récolte des fruits et légumes (particulièrement dans le Sud). Les travailleurs doivent payer un « caporale » qui sert d’intermédiaire entre eux et leur patron. Dans cette nouvelle forme de caporalato digital, des livreurs à vélo milanais ont dit devoir payer entre 30 et 50 euros par mois pour avoir davantage de commandes. Et le procureur de Milan a ouvert dix enquêtes pour caporalato concernant Uber Eats.

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