Éditorial des bulletins d’entreprise du RSO (Allemagne) du 24 février 2021
Frontex : La protection des frontières de l’UE, de fait la guerre aux migrants
L’agence de protection des frontières et des côtes de l’UE (Union européenne), Frontex, se paie un scandale après l’autre. Il est régulièrement question de violations des droits de l’homme aux frontières extérieures de l’UE. À cela s’ajoutent les révélations de données internes par l’émission ZDF [1] Magazin Royale de Jan Böhmermann [2].
Grosses affaires pour l’industrie de l’armement
Les révélations montrent entre autres comment Frontex est au service du lobby européen de l’armement, pour prétexter ensuite « ne pas s’en rappeler » devant le Parlement européen. Pour l’industrie de l’armement, Frontex est le client parfait, puisque cette « agence », créée à la base pour coordonner et soutenir la protection des frontières des différents États, ne cesse de se renforcer et de s’élargir depuis des années. Le budget de Frontex est passé de 330 millions d’euros en 2019 à 460 millions l’année dernière, et doit encore tripler pour atteindre 1,3 milliard dans les prochaines années. Cet argent doit servir à embaucher 10 000 policiers – des soldats propres à Frontex, pour être plus précis – et à acheter du matériel militaire à grande échelle. Ce qui est particulièrement explosif est l’intérêt porté par Frontex aux logiciels de reconnaissance faciale et à d’autres procédés biométriques, hautement controversés à l’intérieur de l’UE pour des raisons de protection des données. Visiblement, il s’agit de les tester sur des migrants pour les rendre progressivement « présentables ».
« Pushbacks » illégaux au lieu de sauvetages en mer
Les « pushbacks » désignent cette pratique qui consiste à repousser des réfugiés, des eaux européennes vers le large. Une pratique qui piétine leur droit à demander l’asile en Europe. Souvent, les bateaux sont détruits, ou rendus impossibles à manœuvrer, puis abandonnés à leur sort. En 2013, Frontex avait déjà dû officiellement reconnaître que ses unités avaient participé à ce genre de méthodes illégales. L’ONG Mare Liberum (Mer libre) a informé : entre mars et décembre 2020 seulement, des pushbacks concernant 10 000 réfugiés ont sévi, dont de nombreuses femmes et enfants. Les chiffres réels se situent probablement bien au-dessus.
Le calcul du pushback est cynique : il consiste à pousser effectivement les réfugiés qui sont repérés vers les côtes de pays hors-UE (comme la Turquie ou la Libye), ce qui revient à les naufrager et à grossir le nombre des migrants noyés dans la Méditerranée. Depuis 2014, selon les chiffres officiels, plus de 21 000 personnes auraient ainsi perdu la vie.
L’UE porte la responsabilité directe de ces morts, parce que Frontex a comme seul objectif de repousser les migrants, et non de secourir leurs embarcations précaires. Souvent, les pushbacks sont confiés aux garde-côtes de pays de l’UE comme la Grèce. Frontex détourne le regard… voire observe avec intérêt. La police fédérale allemande fournit la plus grande partie des troupes de Frontex. Dans le cadre des dernières révélations, un policier qui avait servi pour Frontex racontait à la télé comment les pushbacks étaient considérés comme indispensables en interne, pour conclure : « J’ai honte de faire partie d’un système qui prive des gens de tout droit, au lieu de défendre la justice. »
À bas l’Europe-forteresse !
Tous ces scandales et violations des droits de l’homme ne sont pas le résultat d’une mauvaise gestion de Frontex, mais du rôle politique de cette agence. Ce sont les gouvernements européens, l’allemand en tête, qui transforment l’Europe en forteresse. La « protection des frontières extérieures » pour laquelle est maintenant crée une armée suréquipée, n’assure pas la défense contre on ne sait quelle invasion malveillante ; elle incarne le repli méprisant et inhumain contre celles et ceux qui fuient les guerres, la faim et la misère. Des drames dont, pour couronner le tout, est responsable la politique d’exploitation des multinationales européennes. Une nouvelle commission d’« enquête » sur les violations de droits de l’homme par Frontex, n’y changera strictement rien.
Alors que les marchandises et les capitaux, voire des usines et des chaînes de valeurs entières profitent d’une « liberté de circulation » partout au monde, et que les patrons ne se privent pas de déplacer à leur guise la production dans des régions à bas coûts, les gouvernants veulent faire cyniquement croire qu’en verrouillant les frontières européennes ils protègeraient « notre richesse ». Pour protéger nos intérêts de travailleurs, nous n’avons pas besoin de barbelés ni de frontières, au contraire nous devons développer notre force collective.
[1] Une des grandes chaînes de télé allemandes.
[2] Humoriste allemand renommé, qui s’est fait connaître à l’international quand le président turc Erdogan l’a poursuivi en justice pour un poème qu’il estimait insultant en 2016, et qui anime une émission de « journalisme d’investigation humoristique » sur le modèle de Last Week Tonight de John Oliver.
Mots-clés : Europe