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« Dépôt de sac » des conducteurs à Paris Saint-Lazare : on s’en souviendra !

7 juillet 2022 Article Entreprises

(Photo : Gare Saint-Lazare, jeudi 30 juin. Pendant deux jours, « le mouvement social inopiné » sature les écrans d’information.)

Les sales coups de la direction de la SNCF se sont heurtés à un mur mercredi et jeudi dernier sur la région de Paris-Saint-Lazare. Et quel mur ! Une grande majorité de conducteurs Transilien de la région « Paris-Saint-Lazare » ont arrêté le travail : un « dépôt de sac » massif qui a fini par faire lâcher la direction sur certaines revendications.

Le climat se réchauffait…

Juin avait déjà été un mois de lutte bien rempli : une journée de grève le 13, puis deux journées consécutives le 23 et le 24 avec chaque fois environ 70 % de grévistes. Et un noyau dur de conducteurs réunis en AG à plusieurs dizaines pour s’organiser et décider démocratiquement des suites.

Dans ces assemblées générales, les grévistes avaient mis en avant, puis voté, leurs revendications ayant surtout trait à la dégradation de leurs conditions de travail. Car, depuis plusieurs mois, beaucoup de conducteurs se voient modifier leur journée de travail au dernier moment, conséquence du déploiement d’un nouveau logiciel informatique [1]. Avec tous les désagréments que cela entraîne en termes d’organisation de sa vie privée et sociale ! Et ne voilà-t-il pas que la direction se prend de vouloir diminuer pour les conducteurs les possibilités de partir en congé sur les mois de juillet et août. Au fond, que des manières de pallier le sous-effectif chronique… sans embaucher.

Les GM allumèrent une première mèche…

Autre attaque d’ampleur : la volonté de la direction de supprimer dans les mois à venir « les feuilles » où les « gestionnaires de moyens » (GM) s’occupaient jusqu’alors de mettre sur pied puis de potentiellement modifier les journées de travail des conducteurs en lien avec ces derniers. Une restructuration qui aura notamment pour conséquence de priver les conducteurs de tout interlocuteur Immédiat.

Dès le 22 juin, la grande majorité des GM de la région se sont donc lancés dans une grève reconductible pour s’opposer à cette réorganisation : vingt grévistes – sur vingt-et-un salariés directement concernés – déterminés à se faire entendre et obligeant les chefs à se mettre au boulot à leur place.

Et tout explosa

Dans ce contexte inflammable, les conducteurs reçoivent lundi 27 juin, au dernier moment donc, la programmation de leurs journées de travail pour l’été. Bilan : très peu de visibilité, des erreurs à la pelle et des conditions de travail encore dégradées. Et le lendemain, lors des négociations prévues suite aux trois premières journées de grève, la direction arrive les mains dans les poches… Sa proposition ? Des bouteilles d’eau en cas de forte chaleur et une prime de 250 euros (!) à la fin de l’été, assortie qui plus est d’une myriade de conditions.

Ces dernières provocations sont celles de trop. Le mercredi matin, les premiers conducteurs qui devaient commencer leur service vers 4 heures du matin décident de ne pas conduire leur train. Les messages circulent sur les boucles What’sApp : « Aujourd’hui, on ne conduit pas. » Un « droit de retrait » collectif qui se propage très rapidement. Le trafic se trouve à l’arrêt ou presque sur les lignes L, J et sur la partie « ouest » du RER A exploitée par la SNCF.

Un mouvement fort et militant

Les obstacles sont majeurs devant le mouvement. Les prises de service ont lieu de manière échelonnée sur toute la journée et ce tant à Achères qu’à Mantes, Saint-Lazare ou Versailles… Comment organiser un débrayage dans ces conditions et concilier la présence nécessaire auprès des collègues avec le fait de se réunir collectivement ? Les conducteurs trouvent la parade : des piquets informels s’organisent sur les quais et dans les salles de repos à Mantes-la-Jolie, à Achères, à Saint-Lazare. Inlassablement, les raisons du mouvement sont expliquées aux nouveaux arrivants qui décident dès lors de conduire ou non leur train. Et, à intervalles très réguliers, les conducteurs se réunissent les plus nombreux possible pour discuter et décider de la poursuite du mouvement ou non. L’ambiance est joyeuse et déterminée : on est loin de la grève « à la maison » et ça paye.

Très rapidement, la direction cherche à mettre la pression sur les conducteurs en mettant en avant le caractère « illégal » du mouvement du fait de l’absence de déclarations individuelles d’intention de grève (« D2i ») : ces dernières ont été rendues obligatoires en 2007 et obligent chaque gréviste à se déclarer au minimum 48 heures avant sa prise de service. Certains chefs tournent dans les couloirs et déposent des « mises en demeure » de reprendre le travail aux conducteurs isolés qu’ils trouvent. Et la direction annonce très rapidement qu’aucune négociation n’est possible avant la reprise du travail. Mais, derrière cette posture de fermeté, elle n’en mène en réalité pas large. Car ses menaces n’empêchent pas le mouvement de continuer à s’étendre. Les conducteurs font face en toute connaissance de cause et renvoient à la direction ses propres entorses plus que régulières en matière de droit du travail : la « légalité » a bon dos ! Avec surtout la conscience que seul le rapport de force collectif sera à même d’obtenir satisfaction et de s’opposer à toute tentative de sanction pendant ou après le mouvement.

Chose peu courante : le « dépôt de sac » passe la nuit sans problème et continue le jeudi matin. Si les trains roulent un peu plus – et encore, le service reste très dégradé – c’est seulement parce que la direction a rameuté le ban et l’arrière-ban pour chercher à remplacer les conducteurs de Saint-Lazare. Des chefs vont jusqu’à organiser sur les quais leurs propres « piquets » de… reprise du travail !

À l’assemblée générale du jeudi matin, la détermination est intacte. Le mouvement s’assume de plus en plus comme une grève qui a vocation à durer tant qu’on n’a pas obtenu satisfaction. À l’ordre du jour, la volonté de se rendre visible et de s’adresser à l’extérieur : aux conducteurs des « grandes lignes » normandes qui transitent par Saint-Lazare ; aux conducteurs Transilien à Paris-Est, Paris-Nord, gare de Lyon, etc. ; aux conducteurs RATP du RER A ; aux autres métiers de la SNCF (contrôleurs, commercial, etc.). Dans les discussions avec ces travailleurs, la solidarité prime et les raisons du mouvement font directement écho aux conditions de travail vécues par toutes et tous. Certes, pas jusqu’à étendre dans l’immédiat le « dépôt de sac »… mais l’idée chemine dans les têtes.

Dans l’après-midi, la direction qui se voulait jusqu’alors si inflexible change de ton devant la détermination des conducteurs à poursuivre leur mouvement et cède sur plusieurs aspects : respect de l’accord de l’agent en cas de modification de service, versement de primes dont le montant total avoisine les 1000 euros, suspension des « protocoles congés » jusqu’en 2023. Le dépôt de sac prend dès lors fin mais la vigilance collective reste de mise quant au respect de ces « promesses », la direction de l’établissement n’étant pas à une entourloupe près. De même sur l’absence de sanctions disciplinaires ou financières concernant les conducteurs ayant participé au mouvement. Et bien des revendications, tant sur les salaires que sur les conditions de travail, nécessiteront de nouvelles luttes dans les temps à venir.

Le mouvement aurait également gagné à élire directement l’équipe de « négociateurs » avec la direction. Car cette dernière, rompue au « dialogue social », a finalement accepté de ne discuter qu’avec des représentants syndicaux. L’élection d’une telle délégation de conducteurs, syndiqués ou non, aurait notamment permis aux grévistes de garder un contrôle plus direct et effectif sur la décision de mettre fin au mouvement (même si cette décision semblait correspondre dans les faits à l’état d’esprit de la majorité des conducteurs).

Se préparer pour les suites !

Ce dépôt de sac marquera à coup sûr l’ambiance dans les mois à venir. Il a contribué à souder les conducteurs entre eux qui ont au quotidien rarement l’occasion de se croiser en raison de la nature solitaire de leur travail. Il s’est également démarqué par une forte implication militante des conducteurs, syndiqués ou non, et son caractère explosif sortant drastiquement des clous de la « grève carrée » où la reprise du travail est programmée avant même la grève. Des points marqués pour la suite… à Paris Saint-Lazare et sûrement au-delà. Lundi 4 juillet, ce sont les conducteurs de Paris-Est qui se sont lancés dans « une grève surprise » avec des déclarations d’intention de grève déposées en masse vendredi soir juste avant le week-end. Mardi 5, au tour des conducteurs de Paris-Nord de « déposer le sac ». Et vendredi 8, les conducteurs normands de la région de Paris-Saint-Lazare iront aussi de leur mouvement. À quand l’agrégation de toutes ces colères ?

Correspondants


[1L’article sur la grève du 13 juin détaille ces attaques : https://lanticapitaliste.org/actual...

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