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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 26, mars-avril 2003

Côte d’Ivoire : le panier de crabes

23 mars 2003 Convergences Monde

Du 15 au 24 janvier, dans la banlieue parisienne, à Marcoussis, la France a réuni les protagonistes de la crise ivoirienne et les a pratiquement forcés à s’entendre sur un compromis. Ils étaient tous là, les partis politiques -le FPI, le parti gouvernemental, représenté par son secrétaire général et premier ministre d’alors, le RDR d’Allassane Ouattara, considéré comme le principal opposant à Gbagbo, le PDCI, l’ancien parti unique dirigé par l’ex-dictateur Henri Konan Bédié, le PIT de Francis Wodié ou l’UDPCI de feu le général Robert Guéi- mais aussi les mouvements rebelles baptisés pour la circonstance « forces nouvelles », MPCI et son secrétaire général Guillaume Soro, MPIGO et MPJ.

Les accords de Marcoussis

Au terme de 9 jours de discussions, ces politiciens ont dû donner leur accord sur un certain nombre de points. Un gouvernement d’union nationale, « composé de façon équilibrée » et qui comprendrait tout le monde, serait formé. Ce gouvernement devrait être dirigé par un premier ministre « de consensus », irrévocable, doté de toutes les prérogatives de l’exécutif, autonome donc par rapport au président de la république. Sa mission serait de regrouper et de désarmer les différentes forces militaires du pays pour former une nouvelle armée où s’intégreraient les rebelles, d’expurger la constitution des articles xénophobes basés sur l’ivoirité, de résoudre pacifiquement la question du code foncier en tenant compte des droits et des intérêts de toutes les couches de la population, d’accorder la nationalité ivoirienne aux populations injustement accusées d’être « étrangères » alors qu’elles se sont établies dans le pays depuis des décennies et, à terme, de préparer des élections libres. Pour ce faire un nouveau code électoral serait promulgué permettant d’être candidat à condition d’être « né de mère ou de père ivoirien d’origine » et non des deux comme aujourd’hui.

Un comité de suivi composé des représentants de l’Onu, de l’Union africaine, de la Cedeao (Communauté des Etats de l’Afrique de l’Ouest), de l’Union européenne notamment devait être mis sur pied pour veiller à l’application desdits accords qui auraient auraient dépouillé en quelque sorte l’actuel dictateur Gbagbo de tout pouvoir réel jusqu’aux élections de 2005.

Pour habiller ces accords d’une caution internationale et éviter qu’ils n’apparaissent pour ce qu’ils étaient, le fait de la seule volonté de l’impérialisme français, la France réunissait dans la foulée, à Paris toujours, les chefs d’Etat de la Cedeao, ainsi que ceux du Gabon, Omar Bongo, et de l’Afrique du Sud, Thabo Mbéki, également président de l’Union africaine, Kofi Annan, le secrétaire général de l’Onu, les bailleurs des fonds de la Côte d’Ivoire et le président ivoirien. Devant ce beau monde, ce dernier signa le protocole qui venait d’être conclu. Et il nomma un premier ministre « de consensus », en la personne de Seydou Diarra. Il semblerait même qu’il ait accepté que les ministères de la Défense et de l’Intérieur reviennent aux rebelles. En tout cas, quand Guillaume Soro, le secrétaire général du MPCI, déclara que ces deux postes avaient été attribués au MPCI avec l’accord de Gbagbo, le camp de celui-ci n’émit aucune protestation.

Les palinodies de Gbagbo… et des autres

Pourtant, près de deux mois après la signature des accords, le gouvernement dit de réconciliation peine toujours à voir le jour. Et pour cause ! Dès son retour à Abidjan, le dictateur ivoirien faisait marche arrière. Il présentait les accords qu’il avait signés comme de simples « propositions » et refusait de céder ses prérogatives et d’admettre les représentants des rebelles dans un quelconque gouvernement. Dans le même temps, il lâchait ses partisans les plus xénophobes dans la rue, pour aller manifester devant certains symboles des intérêts français dans le pays, l’ambassade, le siège d’Air France, la base militaire où sont stationnés des milliers de soldats français, des établissements scolaires français. En réponse, et pour avertir le dictateur ivoirien que les militaires français n’étaient nullement là pour le soutenir inconditionnellement s’il n’acceptait pas un compromis voulu par Paris, la France organisait le rapatriement d’une partie de ses ressortissants. De leur côté, les rebelles, ne jurant plus alors que par leur amitié avec la France, menacaient de reprendre les hostilités et de descendre sur Abidjan. Et les autres partis ivoiriens, notamment le PDCI, le RDR et le PIT, faisaient chorus pour réclamer l’application des accords, à l’unisson des dirigeants de la Cedeao, de l’Union africaine, de l’Onu et de l’Union européenne.

Devant ces pressions, Gbagbo finit par accepter l’entrée des rebelles au gouvernement tout en continuant à leur refuser les ministères qui leur avaient été initialement destinés. De leur côté les rebelles mettaient eux aussi de l’eau dans leur vin. Ce qui les intéressait, disaient-ils, c’était « l’esprit des accords », c’est-à-dire la formation d’un gouvernement piloté par un premier ministre irrévocable, doté de toutes les prérogatives, et non la question des postes ministériels.

Rebelote donc lors du dernier sommet France-Afrique, toujours à Paris, les 20 et 21 Février dernier, en l’absence de Gbagbo, mais en présence de Seydou Diarra : les dirigeants des principaux partis politiques et ceux des mouvements rebelles retombaient d’accord sur la formation d’un gouvernement « de réconciliation nationale ». Gouvernement que le dictateur ivoirien rejeta pourtant pour en composer un autre de son cru dominé par les siens. Nouvelle colère donc des opposants, RDR comme mouvements rebelles, qui exigèrent à nouveau l’application stricte des « accords de Marcoussis », y compris le respect de la distribution prévue des postes ministériels.

Une nouvelle tentative de conciliation, tenue au Ghana, sous l’égide du dictateur local, Kufuor, président en exercice de la Cedeao, vient d’accoucher d’un nouveau compromis. Laborieux au point de n’avoir pu décider des deux ministères clés et de confier le soin de leur trouver des titulaires à un conseil regroupant tous les partis. La fin de la pièce ? On peut en douter : lors de la première réunion du nouveau gouvernement, à Yamossoukro, un certain nombre de sièges sont restés vides, les représentants de certains partis ayant préféré s’abstenir.

Les embarras de Paris

La comédie jouée par les différents valets ivoiriens de l’impérialisme français, tombant dans les bras les uns des autres un jour, pour se menacer le lendemain, puis s’embrasser à nouveau le surlendemain, est malheureusement une tragédie pour des milliers d’Ivoiriens, déplacés, expulsés, pillés et massacrés par les uns ou les autres de ces dictateurs ou aspirants dictateurs, dont aucun ne représente les intérêts des travailleurs ou des pauvres, mais tous aspirent à recevoir l’onction de l’ancien colonisateur et toujours actuel exploiteur français.

Et si celui-ci, dont l’intervention militaire n’a nullement pour objectif de protéger la population des affres d’une guerre généralisée, hésite toujours à prendre parti et en reste encore à chercher un compromis, c’est que parmi les clans en présence il npas évident de trouver celui qui s’imposera finalement aux autres. Et donc de miser à coup sûr sur celui qui à l’avenir pourra restaurer et préserver l’ordre social qui permet à des groupes capitalistes français, les Bouygues ou les Bolloré, de s’enrichir de façon scandaleuse de l’exploitation des masses populaires ivoiriennes. C’est d’ailleurs bien parce qu’il sait qu’il est sur la sellette comme les autres que Gbagbo utilise parfois le chantage des manifestations anti-françaises, un moyen paradoxal de chercher à… s’attirer les bonnes grâces de Paris.

13 mars 2003

Bienvenu CESAIRE

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