Comment parer à l’effondrement de la Russie : réformes ou révolution ?
31 août 1998 Éditorial des bulletins L’Étincelle
Le monde capitaliste observe avec inquiétude la catastrophe qui menace la Russie. La crise russe s’ajoute en effet à l’effondrement des monnaies et des bourses asiatiques, et a déclenché à son tour la chute des bourses sud-américaines puis, dans une moindre mesure, celles des Etats-Unis, du Japon et de l’Europe.
Du coup les commentateurs occidentaux n’ont pas de mots assez durs pour les gouvernants russes, et en premier lieu Eltsine. Ce sont eux qui sont chargés de toute la responsabilité du désastre. Pour n’avoir pas su faire les réformes nécessaires, paraît-il.
Oui, les gouvernants russes, et tous ceux qui ont quelque pouvoir économique ou politique, portent sans doute une lourde responsabilité. Mais certainement pas celle de n’avoir pas su faire passer la Russie dans l’économie de marché, c’est-à-dire rétablir le capitalisme et la société bourgeoise.
C’est tout le contraire. La Russie est dans une situation catastrophique parce qu’elle s’est noyée dans le monde capitaliste. Parce que les gouvernements successifs ont levé toutes les barrières qui auraient pu s’opposer à la course à l’enrichissement et à la propriété ; ont laissé toute liberté au développement des affaires ; ont donné les entreprises pratiquement pour rien par des privatisations qui n’avaient donc même pas le prétexte de renflouer le budget de l’Etat.
Rien d’étonnant : Eltsine, ses ministres et ses alliés politiques ne sont pas seulement les représentants de la nouvelle bourgeoisie russe, ils en font intégralement partie. Ils ont tous participé à la curée qui a transformé les ex-bureaucrates soviétiques en capitalistes, à l’exemple de Tchernomyrdine, premier ministre pendant des années et à nouveau candidat à ce poste, l’un des plus gros actionnaires de Gazprom, le plus gros des trusts russes.
Mais encore plus que Eltsine, Tchernomyrdine et consort, le véritable responsable de la catastrophe russe c’est le capitalisme mondial. Les premiers responsables de la crise de ces dernières semaines, ce sont les investisseurs internationaux qui ont retiré les milliards de dollars qu’ils avaient un court moment portés en Russie dans l’espoir de profiter des taux d’intérêt énormes versés par un Etat pris à la gorge. Et qui les ont retiré aux premiers signes de l’écroulement des prix du pétrole et des matières premières, lui-même conséquence de la crise asiatique. Par exemple, les banques allemandes ou françaises qui ont spéculé sur le fait que, en manque d’argent et sommé par le FMI de ne pas faire tourner la planche à billets, la Russie a dû ainsi emprunter quelque 400 milliards de francs au taux de 40 % sur trois mois.
Ce pillage sans scrupule de l’économie russe par les capitalistes tout autant occidentaux que russes, ce sont évidemment les travailleurs et la population qui le paient. Les effectifs de l’industrie ont déjà fondu d’un quart passant de 20 millions en 1991 à 15 en 1996. Le chômage touche officiellement 9 % de la population. Et de nombreux travailleurs, à l’exemple des mineurs, s’ils ne sont pas licenciés, ne perçoivent plus de salaire depuis des mois.
Le FMI, les gouvernements occidentaux, tous les représentants des capitalistes, appellent de leurs voeux en Russie un pouvoir fort, un gouvernement qui serait capable de faire rentrer les impôts, de faire des lois qui seraient respectées. En clair, de mettre de l’ordre dans l’exploitation des travailleurs, c’est-à-dire de la renforcer. S’ils s’interrogent, c’est qui soutenir pour succéder à l’ivrogne Eltsine, devenu gâteux, pourtant leur homme jusqu’ici : un nouveau dictateur, un général Lebed par exemple ? Ou une union nationale de tous les partis, des ex-staliniens jusqu’aux ultra-nationalistes de Jirinovski, l’ami de Le Pen ?
Mais le seul pouvoir fort dont la classe ouvrière a besoin, en Russie comme ailleurs, c’est le sien. C’est le seul qui ne sévira pas contre elle. C’est le seul qui, sous le contrôle et la direction des travailleurs, pourra construire une société communiste qui n’aura rien à voir avec sa sinistre caricature stalinienne... ni avec le régime bourgeois qui lui a succédé.