Combien d’avions et de secouristes pour les affamés du Soudan ?
10 août 1998 Éditorial des bulletins L’Étincelle
Les attentats contre les ambassades américaines au Kenya et en Tanzanie ont brutalement ramené les feux de l’actualité sur l’Est du continent africain. Ces attentats très meurtriers sont aussi odieux qu’inutiles, et probablement téléguidés par des dictatures archi-réactionnaires qui veulent peut-être marchander des appuis, mais certainement pas mettre en cause les intérêts des pays impérialistes dans la région. Mais il y a également d’innombrables autres victimes, juste au nord du Kenya, qui ont moins suscité l’émotion de Clinton et ses pareils.
Les 1000 morts de faim par jour au Soudan, pays limitrophe du Kenya, n’ont suscité aucune réaction, aucun véritable secours de la part des gouvernements des grandes puissances.
La famine au Soudan nous est présentée comme la conséquence de la guerre entre le sud animiste ou chrétien et le nord arabe et musulman. L’acheminement de l’aide humanitaire serait ralenti par la dictature islamiste du nord qui utiliserait la famine comme une arme contre la rébellion du sud. Pourtant les deux parties viennent de signer une trêve. Alors on s’en prend à la pluie, qui empêcherait les avions de se poser !
La faute en serait à la « nature humaine », cause des conflits religieux ou ethniques, ou encore aux « éléments », à la pluie, comme dans d’autres cas à la sécheresse… Personne, donc, n’y pourrait grand chose.
Mais, au Kenya ou en Tanzanie, et c’est la moindre des choses, les Américains et leurs alliés ont déployé rapidement de grands moyens pour envoyer des secours d’urgence : des centaines de médecins, secouristes, « marines », enquêteurs du FBI… auxquels se sont même joints des soldats israéliens et une unité d’intervention française ! Comme quoi, quand on veut…
En fait, la plus grosse hypocrisie des dirigeants des pays riches est de faire semblant d’être surpris par la famine actuelle au sud-Soudan dont ils ont leur part de responsabilité. Celle-ci, venant après la famine de 1988 qui avait déjà fait 250 000 morts, était largement prévisible.
Les pays riches connaissent en effet bien le Soudan, ce pays très pauvre où la guerre civile dure depuis plus de quinze ans. Le gouvernement américain, peu gêné à l’époque par la nature islamiste du régime, a longtemps soutenu le Soudan contre les régimes pro-soviétiques de Somalie et d’Erythrée. Mais depuis la chute de ces régimes, le Soudan a été déclaré « Etat terroriste » en 1993 et écarté des programmes d’aide.
Les Etats Unis, par Ouganda ou Kenya interposés, ont alors choisi de soutenir les opposants au pouvoir islamiste, qui mènent une lutte de guérilla au sud du pays. La bourgeoisie française, elle, comme l’a révélé la livraison du terroriste « Carlos » par le Soudan à Pasqua en 1994, est plutôt liée à la dictature islamiste du Nord, par Tchad et Centrafrique interposés. A chacun son dictateur ou ses seigneurs de guerre !
En réalité, la seule politique d’« aide » que les pays riches pratiquent à l’égard des pays pauvres peut être résumée par la devise américaine « trade, not help » : du commerce, pas de l’aide ! Depuis quinze ans, cette politique dite d’« ajustement structurel » a entraîné un terrible appauvrissement de toute l’Afrique Noire, avec son cortège de guerres civiles, de famines et de massacres.
Les prêts du FMI et de la Banque Mondiale, quand ils ne servent pas à rembourser les dettes aux mêmes usuriers impérialistes, ne répondent pas aux besoins de la population : ils sont utilisés pour acheter biens, armes et services aux pays prêteurs et vont directement dans la poche des actionnaires occidentaux, en profitant au passage aux dictateurs locaux et à leurs bandes armées.
La famine n’est pas une fatalité. Selon le Programme Alimentaire Mondial, il suffirait de 230 millions de francs supplémentaires pour nourrir la population soudanaise jusqu’en avril 1999, autant dire une broutille pour des pays riches comme les Etats-Unis ou la France.
Comme si les gouvernements des pays riches ne savaient pas en quelques jours mettre en place des ponts aériens, débloquer des milliards et mobiliser des milliers d’hommes, dès qu’il s’agit d’une intervention destinée à protéger leurs intérêts. Il y a vraiment quelque chose de pourri dans le royaume planétaire des grands de ce monde.