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Les dirigeants syndicaux et le conflit de la SNCM : L’art et la manière de couler une grève

19 octobre 2005

Le conflit à la SNCM a marqué l’actualité sociale de la rentrée. On a vu, pendant 24 jours des travailleurs combatifs se mobiliser contre le coup de force que tentait de Villepin, malgré les tentatives répétées du gouvernement de mater le conflit.

Lorsque le gouvernement avait annoncé le désengagement total de l’Etat de la SNCM, avec un plan social où on parlait de 600 licenciements (sur 2400 salariés), la réaction du personnel ne s’était pas fait attendre : la grève démarrait le lendemain. La détermination pendant la première semaine de grève explique que le 27 septembre le gouvernement effectuait un léger recul en annonçant le maintien de l’Etat comme actionnaire minoritaire et 400 suppressions d’emplois sans licenciements secs. Mais déjà la CGT en rabattait sur les revendications : « Nous pourrons discuter d’une ouverture du capital au privé, très minoritaire » affirme alors Jean-Paul Israël, de la CGT-Marins. Un recul suivi par d’autres, la CGT insistant par la suite sur la demande de 51 % de parts pour l’Etat.

Ces concessions sur les revendications s’effectuaient alors que le mouvement marquait des points. Ceux de la SNCM n’étaient plus seuls : fin septembre, le personnel du port autonome de Marseille s’était mis en grève. Certes, en même temps qu’il reculait quelque peu, de Villepin mania la trique en faisant donner le GIGN contre le Pascal Paoli, passé sous contrôle des grévistes. Mais ce mauvais coup ne les désarçonna pas, il contribua plutôt à mettre le conflit sous les feux de l’actualité et à susciter l’émotion et la solidarité parmi les travailleurs du pays.

L’affaire devenant nationale, on vit Thibault s’impliquer personnellement... en se rendant à Matignon, à sa demande, pour négocier par-dessus la tête des grévistes. Puis il adresse le dimanche 9 octobre, avant que les ministres Perben et Breton se rendent à nouveau à Marseille pour une rencontre avec les syndicats, une lettre à de Villepin soulignant que ceux-ci « ont accepté la perspective d’une présence de capitaux privés et l’hypothèse d’un plan social... ». La revendication que l’Etat reste présent à 51 % dans le capital n’y figure pas. « L’avenir de la SNCM ne se résume pas fondamentalement à la question de la part de capital de l’Etat actionnaire », dira Jean-Christophe Le Duigou, secrétaire confédéral de la CGT.

Lors de la journée d’action du 4 octobre à Marseille, on put mesurer la réelle sympathie envers les grévistes de la SNCM. A Marseille les traminots, eux aussi menacés, ont poursuivi la grève à partir du 4. N’était-il pas possible à partir de cette journée d’action d’étendre le mouvement ? Pas possible de s’adresser aux cheminots, salariés d’EDF ou autres, sur la liste des prochaines victimes des privatisations et licenciements, qui préfèreraient faire front ensemble plutôt que se battre séparément ?

Savoir s’il y aurait eu du répondant à une telle tentative, nul ne peut certes l’affirmer. Ce qui est sûr, c’est qu’une extension aurait vraiment fait peur au gouvernement. Et ce qui l’est également, c’est que telle n’était pas la volonté des confédérations syndicales.

Les négociations chères à Thibault n’ont rien donné de très différent de ce qu’annonçait de Villepin fin septembre. La grève est demeurée forte, même si quelques fléchissements ont eu lieu les derniers jours, avec la fin de la grève du port autonome de Marseille. C’est dans cette situation que la CGT, se posant en syndicat « responsable » a décidé de consulter les grévistes.

Le jeudi 13 octobre, à l’assemblée générale, le choix proposé était entre un bulletin de vote « Non à la reprise du travail = dépôt de bilan », et « Oui à la reprise du travail pour éviter un dépôt de bilan ». Le message était sans ambiguïté : poursuivre la grève, c’est mettre l’entreprise en faillite et faire 2400 chômeurs. Ce chantage-là, on l’avait entendu depuis des semaines, de la bouche de Villepin, des autorités ou des médias alarmés par la soi-disant gravité de la santé financière de la SNCM. Il y avait urgence, nous disait-on, et une seule solution était possible : la privatisation et les licenciements. Ces arguments fallacieux, les grévistes de la SNCM les connaissaient bien, ils n’y avaient pas cédé pendant plus de trois semaines. Mais cette fois-ci, c’était la CGT elle-même qui tenait ce discours aux salariés. En affirmant que la continuation menait au dépôt de bilan, la CGT montrait qu’elle n’était plus disposée à poursuivre le combat, et elle portait ainsi un coup fatal à la grève. Même si, hypocritement, le secrétaire local du syndicat CGT des marins, refusait aux grévistes toute indication de vote.

On a certes entendu le Syndicat des travailleurs corses dénoncer l’attitude de la CGT. Mais sans offrir la moindre alternative aux travailleurs, ne voulant depuis le début se préoccuper que des intérêts prétendument spécifiques des travailleurs corses. Si sa revendication de régionalisation de la SNCM était mise en place, elle ne garantirait rien contre la privatisation ni contre des suppressions d’emplois. Dans les derniers jours de la grève, le STC n’a rien proposé. Il n’a poussé des hauts cris contre la CGT... qu’une fois la reprise votée.

Le conflit de la SNCM montre une fois de plus que les travailleurs ne peuvent pas compter sur les directions syndicales pour organiser une véritable riposte à l’offensive patronale et gouvernementale. C’est aux travailleurs eux-mêmes qu’il revient alors de pousser à l’extension la plus large possible de chacun de leurs combats. Ils ne doivent pas remettre la direction de leurs luttes aux appareils syndicaux s’ils ne veulent pas être menés en bateau, puis vaincus. La réelle démocratie dans la grève est indispensable, et elle consiste à élire et contrôler la direction de la lutte par les grévistes eux-mêmes et pendant toute la durée du conflit.

Michel CHARVET

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