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L’« esprit de mai » a repris des couleurs !

26 juin 2003

Ce n’est pas encore le calme plat. Le week-end dernier, des manifestants ont contraint le duo Raffarin-Sarkozy à représenter l’autorité de l’Etat juchés sur des chaises en plastique de l’aéroport de Bastia. Les ministres, très casaniers ces derniers mois, restent prudents quand ils mettent le nez dehors. Mais le gouvernement respire : pour le moment, il a gagné. Le mouvement de grève de l’Education nationale, qui avait commencé à prendre dans plusieurs autres secteurs, ne s’est finalement pas généralisé.

Du coup les troupes gouvernementales doivent faire des efforts pour se contenir. Raffarin répète qu’il fait « le choix de l’apaisement social », pendant que Sarkozy appelle à « ne pas humilier la minorité » ! Mais leurs actes montrent l’inverse. Dans l’Education nationale, à La Poste ou à la SNCF, les retenues sur salaire pour grève menacent d’être plus dures qu’elles ont jamais été. Après avoir eu une attitude provocante lors des dernières manifestations, la police ne perd pas une occasion de se montrer (la dernière en date étant l’héroïque assaut de la ferme de José Bové). Histoire sans doute d’épater l’électorat de droite, de tenter de dissuader « la rue » de recommencer de sitôt. Mais aussi revanche pour la peur infligée. Parce que si le nouveau 95 n’aura pas été pour ce printemps 2003, le gouvernement a quand même senti le vent du boulet.

Pour éviter le sort de Juppé, Raffarin aura pu compter sur beaucoup de complicités plus ou moins actives. A commencer par celles des directions syndicales. Les effets de la concurrence que se livrent CFDT et CGT depuis quelques années pour le poste d’interlocuteur privilégié des gouvernements ont été manifestes. Après la très forte mobilisation du 13 mai, Chérèque a tenu à peine 48 heures avant d’approuver officiellement la réforme Fillon. La CGT a dû adopter une tactique faisant la preuve de sa représentativité : réservant sa signature, elle a tenu la dragée mi-haute au gouvernement, Thibault répétant inlassablement qu’il fallait rouvrir les négociations. Elle montrait qu’en échange, tout en étant capable d’entretenir un certain niveau d’agitation, elle était capable de garder le mouvement sous contrôle, notamment dans le secteur clé des transports, où tout le monde savait que l’extension se jouait. A ceux qui lui reprochaient les reports interminables des journées d’actions, elle répondait que la grève générale ne se décrète pas. Certes, mais elle se prépare ! Or non seulement les dirigeants cégétistes n’ont affiché aucune détermination à aller à l’épreuve de force, mais à plusieurs reprises, au lendemain des 13 et 25 mai et des journées d’action de début juin ils se sont opposés à la grève à la RATP ou à la SNCF.

Le résultat de ces calculs n’est pas si clair. D’un côté, la centrale de Thibault a réussi une démonstration de force, en montrant qu’elle détenait, en tout cas plus qu’aucune autre, la clé du mouvement. Elle a aussi redonné un gage massif de sa « responsabilité » envers le gouvernement, ce pour quoi Fillon lui a d’ailleurs rendu hommage. D’un autre côté, la CGT n’a rien obtenu en échange, pas même la réouverture de négociations bidons qui lui auraient permis de justifier ses civilités… A moins que ce soit partie remise et que Thibault ait obtenu un crédit pour de prochaines négociations, par exemple sur les attaques contre la Sécu prévues pour l’automne.

Pourtant, malgré les directions syndicales, le mouvement a su s’organiser. Dans l’Education nationale surtout, la mobilisation exceptionnellement longue et puissante a démarré hors du cadre syndical, pour se structurer en un réseau très large d’assemblées générales, mais aussi en quelques zones du territoire, de comités de grèves et de coordinations de secteurs, de villes, de régions. Dans la construction et l’animation de ces structures d’auto-organisation, dans leur recherche d’une politique d’extension de la lutte, de mise sur pied d’assemblées inter-professionnelles, de prise de contact avec les entreprises du public comme du privé, les militants révolutionnaires ont joué un rôle essentiel. C’est aussi une leçon du mouvement. Certes, il y a eu des nuances entre les politiques des différentes tendances d’extrême gauche, dont les militants n’ont pas toujours fait les mêmes choix face aux pressions syndicalistes. Certes, cette influence n’a pas franchement débordé le cadre de l’Education nationale, en tout cas a été dans les autres secteurs publics qui se joints un temps au mouvement (cheminots, RATP, Poste, équipement, impôts…) plus ponctuelle et n’a pas été assez déterminante en regard du contrôle que les bureaucraties syndicales y exerçaient. Il n’empêche que les révolutionnaires ont permis au mouvement d’accroître significativement ses possibilités. Cela leur donne de nouvelles opportunités pour l’avenir, leur permet d’envisager les prochaines luttes avec un nouveau crédit et de ménager d’autres issues aux futures épreuves de force.

Un avenir peut-être pas si lointain. Même si elle ne l’a pas emporté, la lutte de ces derniers mois a dissipé les brumes du consensus chiraquien. Raffarin n’est pas prêt de vanter à nouveau l’« esprit de mai » qu’il évoquait imprudemment pour le premier anniversaire de son arrivée au pouvoir. Le mouvement a sorti la question des retraites des faux débats sur la démographie pour la remettre à sa place : au cœur de la lutte des classes, pour le partage des richesses. Vu les projets gouvernementaux, la colère de ces dernières semaines aura de toute façon bien des raisons de ressurgir dans les mois qui viennent.

Benoît MARCHAND

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