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Sous prétexte de « démocratie contre l’autocratie », la reconfiguration du Monopoly impérialiste

mardi 31 mai 2022

Depuis les tout débuts de cette guerre, il est vite apparu que le conflit ne mettait pas seulement aux prises Ukrainiens et agresseurs russes. Les dirigeants des États-Unis, et à leur suite les dirigeants des pays d’Europe membres de l’Otan (c’est-à-dire presque tous, dont la Grande-Bretagne, la France et l’Allemagne), sont aussi montés au créneau, tout en se défendant d’être « cobelligérants ». Pas question pour eux, n’ont-ils cessé de répéter, d’intervention directe qui pourrait déclencher l’ire de Poutine et faire basculer la planète vers une nouvelle guerre mondiale – la menace nucléaire ayant d’ailleurs été brandie. On a pourtant assisté, au fil des semaines, à un crescendo d’ingérences dans la guerre : d’abord de Biden, puis à sa suite de Johnson en Grande-Bretagne, bon gré mal gré de Scholz en Allemagne et de Macron en France – assumant la présidence française du Conseil de l’Union européenne. Cette clique a apporté un soutien politique de plus en plus appuyé à Zelensky, dont la résistance a été présentée comme la pointe avancée de la lutte de la démocratie contre l’autocratie. Puis sont tombées des sanctions économiques prétendant pénaliser les fauteurs de guerre mais frappant davantage les classes populaires de Russie et par ricochet de bien d’autres pays du monde, du fait des interdépendances économiques, financières, logistiques – les paralysies liées à la guerre s’ajoutant aux effets de la crise du Covid. Des biens et avoirs d’oligarques russes ont été « gelés » – mais ni « spoliés » ni « saisis », force est restée au droit de propriété privée ! Et ce sont les classes populaires qui, en Russie, subissent l’inflation et les licenciements (en particulier dans les entreprises d’investisseurs occidentaux qui ont mis transitoirement la clé sous la porte).

Des appétits concurrents

Les sanctions économiques, entre autres d’embargo sur le gaz et le pétrole russes proposées aux instances de l’Union européenne, sont âprement controversées, car les intérêts des États-Unis s’opposent à ceux des principales puissances d’Europe – à commencer par l’Allemagne. Il est patent qu’on a affaire à des poupées russes d’appétits concurrents, qui s’expriment et s’alimentent à la faveur d’une première guerre engagée en 2014 dans l’est de l’Ukraine par des séparatistes soutenus par Poutine, qui avait déjà fait près de 15 000 morts, avant le déclenchement de la nouvelle. Ces guerres s’exacerbant dans un contexte d’après crise économique mondiale de 2008, où les grandes puissances impérialistes ont connu des rivalités commerciales plus dures, une intervention plus directe des États et plus d’autoritarisme, ce qui s’est accéléré avec le Covid. Par voie de conséquence, la conflictualité a monté entre elles : USA contre Chine, mais aussi USA contre Russie, ou aussi et jusqu’à un certain point USA contre Allemagne et France. Et vice-versa.

Sur le plan politique, cette évolution s’est accompagnée de poussées de populisme d’extrême droite à la Trump, qui, dès 2017, au service des producteurs de gaz liquéfié américain, déclenchait sa guerre économique contre le couple Allemagne-Russie (Schröder-Poutine) qui s’était acoquiné pour l’approvisionnement d’une partie de l’Europe en gaz russe. Un premier gazoduc, NordStream 1, reliait directement depuis 2012 les deux pays sous la Baltique (contournant donc les voies d’acheminement ukrainiennes), mais les USA mettaient leur veto à la mise en fonctionnement d’un Nord Stream 2 doublant le premier (bien qu’il ait coûté quelque dix milliards d’euros). Crise politique en Allemagne, coup dur aussi pour la Russie ! Bref de l’eau dans le gaz déjà avant la guerre ouverte déclenchée par Poutine. C’est dans ce contexte que cette guerre contre l’Ukraine a commencé, qui ne la rend évidemment pas plus juste : « Hors d’Ukraine les troupes russes ! »

De leur côté, à la faveur de la guerre, les USA ont poursuivi leur offensive pour « débrancher » l’Europe de la Russie, pour y vendre leur gaz et leurs armes, entre autres. La situation de l’Allemagne en est sérieusement affectée, car le gaz russe n’est pas seulement pour elle une source énergétique ; elle est aussi une matière première pour la chimie, un secteur de pointe directement menacé [1]. Inflation et récession sont à l’ordre du jour outre-Rhin, avec des conséquences y compris en France [2]. Et l’offensive continue aussi sur le plan politique, sous couvert de l’Otan, à laquelle maintenant la Finlande, comme la Suède et toujours l’Ukraine souhaitent adhérer. L’Ukraine… à laquelle la porte de l’UE reste fermée. Sans doute encore quelques égards de Scholz et Macron pour Poutine !

La guerre, ses fauteurs et ses profiteurs

Poutine n’est pas le seul à dénoncer la « guerre par procuration » à laquelle les USA participeraient en approvisionnant en armes l’Ukraine, et en armes de plus en plus lourdes. Biden lui-même s’en vante même s’il tient à ne pas être pris la main dans le sac d’une intervention directe. Le président américain a signé le lundi 9 mai une Ukraine Democracy Defense Lend-Lease Act, ou « loi de prêt-bail pour la défense de la démocratie ukrainienne ». Une grosse pub en a été faite devant les caméras et le New York Times du 9 mai a présenté cet acte comme dans la lignée d’un autre : « 81 ans après que la version originale eut contribué à ouvrir la voie à la Seconde Guerre mondiale […] il pousse effectivement les États-Unis encore plus loin dans une autre guerre en Europe… » Renvoi à cette époque où les dirigeants US ont prêté des milliards, surtout aux Britanniques en guerre contre l’Allemagne nazie. Financer la guerre (avec retour sur investissement) à partir de mars 1941, neuf mois avant d’y entrer eux-mêmes – et continuer à en financer les alliés, dont l’URSS, jusqu’à 1945 en se posant ainsi en maîtres du monde –, voilà la lignée dans laquelle s’inscrit Biden. Cette allusion appuyée n’est certainement pas innocente de sa part et renvoie à une époque marquante de suprématie impérialiste américaine – une période aussi de préparatifs d’une guerre qui allait devenir mondiale. Cela nous dit quoi, pour la période qui s’ouvre ?

Biden avait proposé 33 milliards de dollars supplémentaires d’aide militaire et humanitaire à l’Ukraine (le gros morceau pour le militaire et coup de pouce à la production d’armements US) ; ses amis démocrates du Congrès en voulaient 7 milliards de plus. La Chambre des représentants vient de voter par 368 voix contre 57 un programme d’aide de 39,8 milliards de dollars, ce qui porterait l’engagement financier des États-Unis à un total de 53 milliards de dollars. Le Sénat doit encore se prononcer sur cette proposition.

Du côté européen, l’armement et le surarmement vont bon train aussi. Les Verts d’Allemagne qui gouvernent avec le SPD et les Libéraux, ont été le fer de lance d’une augmentation récente, spectaculaire et historique, du budget militaire.

Les enjeux de l’implication des États-Unis Il est certain que l’implication américaine va croissant, l’administration expédiant des équipements militaires de plus en plus sophistiqués, mettant à disposition des systèmes de renseignement de plus en plus performants. Il s’agit formellement d’aider les Ukrainiens, au-delà surtout d’affaiblir la Russie. Mais jusqu’où ne pas provoquer trop loin Poutine ? L’opacité n’est pas du seul côté russe dans cette guerre. Elle est aussi du côté américain. Les enjeux dépassent la guerre déclenchée par Poutine contre l’Ukraine. Il est ouvertement question d’ambition des USA à reconfigurer en leur faveur les zones d’influence dans le monde, dans les domaines énergétique, militaire, agro-alimentaire (Russie et Ukraine étant les greniers à blé d’une partie du monde et leur fermeture pour cause de guerre risquant d’affamer une partie de la planète – ce qui est aussi un sujet brûlant d’actualité liée à cette guerre). Reconfigurer face à la Russie, au reste de l’Europe, au reste du monde aussi, dont la Chine… si ses dirigeants voulaient s’en prendre à Taïwan ou trop braver les USA dans le Pacifique. Mais casser une multitude d’interdépendances qui se sont tissées dans une économie mondialisée à outrance, voilà qui n’est pas sans risques. Sans effets boomerang. Et les USA ont-ils les moyens de redevenir le seul et unique gendarme impérialiste incontesté du monde ?

On touche aujourd’hui du doigt l’extrême dangerosité de la planète impérialiste, prise dans les serres des fauteurs et profiteurs de guerre. Celle que la Russie mène en Ukraine ruine la production et le commerce de céréales que ces deux pays fournissent pour les deux tiers à des pays pauvres, entre autres pour la nourriture de base qu’est le pain et menace près de 1,7 milliard d’individus de graves pénuries. De nombreux experts alertent sur les risques d’une immense crise alimentaire [3]. Des émeutes de la faim sont en perspective, voire des révolutions, qu’ils n’auraient pas volées. Il est urgent que les travailleurs se dressent contre leurs exploiteurs et affameurs.

15 mai 2022, Michelle Verdier


[1« L’Allemagne mal préparée à se passer de gaz russe, La fin des importations aurait de lourdes conséquences industrielles et macroéconomiques pour le pays », Le Monde du 16 avril 2022, p. 20.

[2« Une récession allemande pèserait lourdement sur la France, l’arrêt des approvisionnements en gaz russe du pays serait également dommageable, par effet de contagion, pour les exportateurs tricolores », Le Monde du 15 avril 2022.

[3« Tempête sur le marché du blé, Le spectre de la famine », par Akram Belkaïd, Le Monde diplomatique, mai 2022.

Mots-clés Guerre en Ukraine , Impérialisme , Monde , Ukraine