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Congrès de la CGT : plus facile de changer de leader et de langage... que de changer de base !

lundi 1er mars 1999

Sous la houlette d’un nouveau secrétaire général, avec un bureau confédéral lui aussi largement renouvelé, la CGT aurait à ce 46e congrès réussi une mutation unanimement appréciée par la presse. A commencer par l’Humanité évidemment, qui a vu dans les débats de Strasbourg « un congrès qui déménage », et une CGT qui enfin « sort de sa coquille ».

Pour le journal Libération, la CGT aurait fait son « Vatican II » devant lui permettre de « réintégrer le jeu syndical dont elle était marginalisée par la CFDT ». Signe pour Libération de cette réintégration au « jeu syndical » : l’affirmation par Bernard Thibault qu’il faut savoir « prendre le stylo » pour parapher les accords avec le patronat. De même Le Monde estime que la CGT, « en signant certains accords très symboliques, comme celui du textile », alors que la différence avec celui qu’elle avait refusé de signer dans la métallurgie est en réalité « infime », a montré « sa volonté de rentrer dans le jeu social et de devenir, aux côtés de la CFDT, l’un des acteurs de la politique contractuelle ». Et il précise les raisons de sa satisfaction : « Que serait devenu le projet des 35 heures sans le renfort cégétiste ? Le gouvernement sait que la réforme à laquelle il tient tant aurait été très mal en point, pour ne pas dire balayée, si la centrale de Montreuil n’était venue voler à son secours ».

Le nouveau cours de la CGT, officialisé au congrès de Strasbourg, a valu à la confédération les félicitations de Notat, ainsi que l’ouverture des portes de la CES (Confédération Européenne des Syndicats).

Il lui a valu aussi les bons voeux du chef de file du patronat français, Ernest-Antoine Sellière président du Medef, qui s’est empressé de déclarer : « des thèmes de flexibilité sont abordés maintenant par la CGT, qui fait preuve d’un certain réalisme vis-à-vis des phénomènes de société dans le monde du travail... La CGT entreprend une approche nouvelle, je lui dis »bonne chance«  ».

De ce dernier compliment, Viannet et Thibault se seraient peut-être, vis-à-vis de leur base, volontiers passé. Mais ils l’ont bien mérité.

Car la « mutation » de la CGT a consisté à confirmer le rapprochement avec la politique collaborationniste de la direction de la CFDT ; l’acceptation de la politique de privatisation partielle ou totale des entreprises nationales ou publiques, que le texte d’orientation de la CGT justifie par un « besoin d’autonomie, afin de desserrer une tutelle de l’État qui s’est révélée, depuis 20 ans, désastreuse » ; le soutien à la loi Aubry et les signatures d’accords sur l’aménagement du temps de travail. Enfin la CGT est prête à examiner la réforme des retraites que prépare le gouvernement, c’est-à-dire une refonte des régimes par répartition et la création de fonds de pensions que la CFDT a déjà quasiment approuvée.

Bref le programme que la direction a fait adopter dans ce congrès est celui du soutien de la CGT à la politique gouvernementale actuelle. Le gouvernement a besoin de l’appui de la CGT pour les 35 heures, comme il en aura besoin pour s’en prendre au régime de retraites existant.

Viannet passe le relais, Thibault prend le stylo.

Le nouveau cours de la CGT a été confirmé au congrès par 83,8 % des voix, avec seulement 10,6 % de votes contre et 5,6 % d’abstentions. Thibault et Viannet ont réussi à faire acclamer Notat et le président de la Confédération Européenne des Syndicats aux cris de « tous ensemble, ouais ! ». Couvrant, il est vrai, quelques sifflets.

En revanche le paragraphe 256 de la résolution, proposant d’engager des actions de syndicalisation en commun avec d’autres syndicats, n’a été approuvé que par 53,3 % des votes (contre 39,4 %). Une grande partie des délégués au congrès se sont montrés réticents à mener des campagnes de recrutement en commun avec la CFDT avec comme objectif ensuite le partage des syndiqués ou des zones d’influence. Cette pratique avait pourtant été en partie amorcée ces derniers mois, à l’occasion des négociations sur les 35 heures, les Unions locales ayant été incitées à se répartir avec la CFDT les petites entreprises où il n’y a pas de syndicat, où l’un ou l’autre se chargerait de négocier l’aménagement du temps de travail par le biais des « mandatements ».

Reste que la ligne confédérale est passée haut la main au congrès. Ce qui n’est pas une surprise, la direction ayant fait ce qu’il fallait. Elle ne courait certes pas de grands risques dans la mesure où une bonne partie des militants de la CGT, faute d’une autre politique leur paraissant crédible ou accessible, se fient aux orientations confédérales et se rangent à l’argument sur la nécessité d’adapter ses exigences aux difficultés de la situation économique et sociale. N’empêche que la direction avait quand même pris soin de sélectionner les participants au congrès, autrement qu’en les faisant élire dans les assemblées préparatoires sur la base de leurs positions. Il est vrai que de ce point de vue ce congrès n’est pas différent des précédents et que c’est une vieille habitude de procéder de la sorte. Mais dans la mesure où cette fois-ci il était de notoriété publique que la contestation à la ligne de la direction avait atteint un niveau inhabituel, les conséquences du mode de désignation des délégués au congrès par les sommets et non par la base revêtait une toute autre importance.

Les délégués ont en général été choisis en fonction de la composition que les instances dirigeantes voulaient imposer à ce congrès : renouvellement des congressistes, répartition des âges et de sexes, des catégories. Ces critères permettant ainsi de fabriquer un congrès en écartant le risque qu’il soit trop turbulent.

La direction confédérale se flatte ainsi d’avoir eu un congrès rajeuni et renouvelé, puisque 80 % des participants assistaient à leur premier congrès. La jeunesse n’a cependant pas toutes les vertus. C’est même une méthode bien connue des appareils politiques ou syndicaux de faire des promus pour avaliser plus facilement les virages, grâce à l’arrivée d’une génération n’ayant connu que le nouveau cours.

Cela dit, malgré le soin mis par l’appareil dirigeant de la CGT à préparer le congrès, celui-ci n’a pu empêcher totalement que les réticences à la ligne confédérale c’est-à-dire à l’alignement sur la politique de Jospin se soient malgré tout exprimées.

Les contestations se sont fait entendre d’abord dans les assemblées de base préparatoires au congrès, dans les réunions débats ou vidéoconférences organisées par la direction au niveau des unions locales ou départementales. Elles se sont retrouvées dans une partie des nombreuses motions envoyées par les sections ou syndicats au congrès ou dans les contributions à la discussion des sections ou des militants à la direction.

Elles portaient sur le rapprochement avec la CFDT : « Serons-nous le 4e syndicat réformiste ! ». Sur le retournement de la CGT sur l’Europe, accompagnant celui du PC, qui passe mal auprès de militants mobilisés pendant des années contre « l’Europe de Maastricht » accusée de tous les maux. Sur les privatisations d’entreprises publiques effectuées par le gouvernement Jospin, rebaptisées à l’occasion « ouverture du capital », et que la CGT justifie comme le PC, alors qu’avant elle faisait de la défense du service public et des nationalisations ses chevaux de bataille. Sur la politique de Gayssot qui avait en 1995 combattu au parlement la loi Pons, et qui, devenu ministre, n’a réalisé à la SNCF que « la réforme de la réforme ». Sur le syndicalisme dit « de proposition » : « si l’exemple en est la signature de l’accord sur les 35 heures dans le textile, alors nous ne pouvons qu’exprimer notre désaccord ». Et plus généralement sur la flexibilité et l’annualisation du temps de travail qui ont été acceptées dans les accords déjà signés, etc....

Ces réticences ou oppositions à la ligne confédérale se sont exprimées également dans l’enceinte du congrès. Le mécontentement de militants de la CGT est assez largement répandu pour qu’on ne puisse pas empêcher qu’une partie des délégués en soit l’expression.

Les contestations ne viennent pas que du petit nombre de militants cégétistes membres ou proches de l’extrême-gauche. Des oppositions à la ligne confédérale, il s’en trouve y compris parmi les cadres de la CGT. Certaines oppositions sont structurées et proviennent d’une partie de l’appareil, comme le courant Continuer la CGT. Elles recoupent probablement aussi en grande partie les oppositions à la ligne de Hue dans le Parti communiste. D’autres émanent de militants qui, spontanément ou indépendamment de tous liens avec d’autres, se sont sentis en désaccord avec la nouvelle orientation affichée. Cette opposition à la ligne confédérale est bien plus conséquente que toutes celles qui se sont exprimées jusque-là dans les précédents congrès.

Difficile de dire si au sein de l’appareil CGT, les défenseurs du maintien des références à la lutte de classe et opposants à l’alliance avec Notat et à l’entrée dans la CES, sont systématiquement tous moins bureaucrates ou moins réformistes que les défenseurs du « nouveau cours » de Viannet-Thibault. Mais une chose est sûre, c’est que si à la CGT « conservateurs » il y a, ce n’est certainement pas au sens où l’entend la presse qui a utilisé le qualificatif. Mais plutôt au sens où des syndicalistes qui se sont fait une raison à la conservation de la société bourgeoise, qui en font profession et qui oeuvrent à ce que la CGT et eux-mêmes trouvent dans cette société toujours mieux leur place. Car les prétendus « modernistes » jettent par-dessus bord les dernières références à la lutte de classe et au renversement du capitalisme pour davantage « s’intégrer au jeu syndical » en tant qu’« acteurs de la politique contractuelle ».

Une évolution parallèle à celle du Parti Communiste

Le réformisme de la CGT n’est certes pas nouveau. Pas plus que ne l’est le fait que la CGT soutienne une politique gouvernementale contre les travailleurs. Surtout quand le gouvernement est de gauche et surtout quand le PCF y participe. Il suffit de rappeler notamment 1936 et les « accords Matignon », à l’aide desquels la plus grande grève générale que la France ait jusque-là connue a été enterrée ; la CGT d’alors, réunifiée, était dirigée par les socialistes, certes, mais le PCF proclamait « il faut savoir terminer une grève ». L’esprit de « proposition » dominé par la politique du PCF a ensuite marqué l’immédiat après-guerre, cette période de 1944-47 où besoins de reconstruction de la bourgeoisie française obligent le PCF était au gouvernement, et pas seulement avec les socialistes mais aussi avec la droite. La grève était devenue dans la bouche des dirigeants de ce parti « l’arme des trusts ». Puis Mai 68 et les « accords de Grenelle » où à nouveau, après avoir joué un rôle décisif dans la généralisation de la grève, les appareils de la CGT et du PCF ont joué un rôle non moins décisif pour l’arrêter. Au mépris des intérêts généraux des travailleurs. Et enfin, depuis les débuts des années 80, avec la participation puis le soutien (peu importe qu’il se dise à l’occasion critique) à la politique des gouvernements de gauche qui, avec quelques intermèdes de gouvernements de droite, se sont succédés.

Aujourd’hui selon des journaux comme « Le Monde » qui s’en félicite l’une des dernières transformations de la CGT, serait à mettre à l’actif du secrétaire général sortant, Viannet, depuis le jour où il a décidé de quitter le bureau national du Parti communiste. La CGT selon ce quotidien serait devenue un syndicat indépendant, enfin « affranchi de la tutelle du PCF ». Si le journaliste voulait dire par là qu’elle est devenue plus dépendante de la politique de Jospin, ce serait vrai. A cette nuance près que le PCF aussi. Et ceci explique en grande partie cela. Car dans le nouveau bureau confédéral de la CGT, 12 de ses membres sur 17 sont au PCF, et Bernard Thibault est membre de son Comité National.

Mais pour les travailleurs, là n’est pas la question. Le problème c’est la politique suivie par ce Parti Communiste qui reste le parti ayant le plus d’influence et le plus de militants dans la classe ouvrière et en conséquence l’orientation que des dirigeants comme Viannet et Thibault donnent à l’action syndicale. Pendant des décennies la bourgeoisie a considéré le PCF comme un parti à part, pas fiable du point de vue de ses intérêts, du fait de ses liens avec l’URSS et de la base ouvrière qu’il recrutait en se référant au communisme. En dépit même de ses reniements et de son réformisme affiché. C’est pourquoi la bourgeoisie n’a eu recours à ses services que dans des périodes exceptionnelles.

Les liens de la CGT avec le PCF lui ont de ce fait offert la possibilité de montrer un visage moins collaborationniste, davantage « lutte de classes » que les syndicats dominés par des directions social-démocrates, comme en Allemagne ou en Grande Bretagne. Bien des travailleurs qui ont adhéré à la CGT l’ont fait parce que c’était cette image qu’ils avaient d’elle. Mais aujourd’hui c’est précisément ce qui pose un problème pour Thibault !

Comme son évolution passée, l’évolution actuelle de la CGT est parallèle à celle du PCF. Jusqu’à la copie quasi conforme du vocabulaire d’un Robert Hue qui veut que son parti soit « force de proposition » dans le gouvernement, tandis que Viannet et Thibault parlent de « syndicalisme de proposition ». Et le rabibochage Thibault-Notat dans une même politique de collaboration avec le gouvernement est le pendant de l’alliance PC-PS dans la « gauche plurielle ».

Mais la situation du PCF a changé : il est grandement affaibli (sa politique de soutien au Parti Socialiste n’y est pas pour rien), sa social-démocratisation est quasi achevée, et l’URSS n’existe plus. Il en est de ce fait moins gênant aux yeux de ses alliés électoraux du Parti Socialiste, et Robert Hue ne cesse de répéter qu’il espère bien que cette fois la participation de son parti au gouvernement ne sera pas qu’éphémère ; même si cela dépend plus des choix de Jospin que des siens.

La nature des liens du PCF avec la CGT, dont il oriente toujours la politique s’en trouve elle aussi modifiée. La plus grande partie des dirigeants de la CGT sont membres du PCF mais ils encadrent une organisation de 650 000 membres, qui a ses propres intérêts, ses propres perspectives d’avenir à protéger, indépendamment de l’avenir du PCF. Les dirigeants CGT n’ont aucune raison de ne pas se ménager la plus grande autonomie possible.

La volonté de la CGT d’être admise à la CES peut se regarder sous ce même angle. Elle n’est pas seulement liée au retournement du PCF sur le problème de l’Europe. Cela fait déjà des années, en 1975 et 1979, que la CGT en avait fait la demande. Et elle l’avait renouvelée en 1995 après avoir formellement quitté ce qui restait de la FSM (la Fédération Mondiale des Syndicats, que la CGT avait contribué à créer et qui regroupait les syndicats proches des partis communistes et les syndicats des pays de l’Est).

Pour ne pas rester isolés en Europe ? Parce que les travailleurs doivent être de plus en plus capables d’étendre leurs luttes face à des trusts qui organisent leur production à cette échelle et à une offensive patronale qui est la même d’un pays à l’autre ? Mais pour s’engager réellement dans une telle voie il faudrait aussi combattre les orientations des syndicats les plus réformistes qui au contraire freinent les luttes ouvrières, et non s’aligner sur leur politique pour montrer patte blanche.

L’entrée dans la CES a évidemment pour la bureaucratie syndicale de la CGT un autre objectif : l’espoir d’un accès plus facile aux postes qu’offrent aux appareils syndicaux les diverses commissions européennes ou les Comités de groupe européens.

De l’abandon de la lutte de classe... au syndicalisme de proposition et de soutien au gouvernement.

Ce n’est pas au congrès qui vient de se tenir, mais au précédant, le 45e congrès, en 1995, que la CGT avait jeté officiellement par-dessus bord ses dernières références à la lutte de classe et à « la suppression de l’exploitation capitaliste, notamment par la socialisation des moyens de production » en les faisant disparaître de ses statuts, au nom de la « modernisation » du syndicat. Cela avait déjà suscité des remous dans les rangs de la CGT.

Le changement programmé n’avait pas eu le succès ni la publicité souhaités par la direction confédérale. Le congrès, fixé pour la semaine du 3 au 8 décembre, avait été presque complètement occulté par la grève des cheminots et des services publics dans laquelle la direction et les militants de la CGT avaient mis leur poids ! La « modernisation » de la CGT avait été en quelque sorte ajournée, ou tout au moins s’était estompée pour cause « d’archaïsme » gréviste ! Cette grève, les dirigeants de la CGT, les mêmes qui avaient fait de l’abandon des notions de lutte de classe leur cheval de bataille, l’avaient effectivement voulue, ainsi que la direction de FO, ne serait-ce que parce qu’elle pouvait leur permettre de s’imposer au gouvernement de droite comme les interlocuteurs incontournables de toute négociation. La CGT, bien plus que FO, y avait joué le rôle dirigeant, pendant que la CFDT soutenait le plan Juppé.

La droite était au pouvoir, la CGT et le PC dans l’opposition.

Rappelons cependant que ce fut la direction de la CGT qui, le jeudi 14 décembre, en sortant d’une dernière négociation avec le ministre des transports Pons, lança le mot d’ordre d’arrêt de la grève sans consulter personne, et en tout cas pas les assemblées de cheminots. Bernard Thibault savait déjà « prendre le stylo » derrière le dos des travailleurs, en usurpant au profit de sa politique leur combativité et leur lutte.

La différence aujourd’hui c’est que le Parti socialiste est à la barre, avec la participation du Parti communiste, et que la gauche au pouvoir est chargée de mener les mesures anti-ouvrières du patronat : privatisations, réductions d’effectifs, précarisation, chômage, flexibilité, réduction des coûts salariaux et des retraites, intensification et pénibilité extrême du travail... Alors la direction de la CGT est sur le pont avec la CFDT (dans une moindre mesure FO) : la gauche gouvernementale a besoin d’elle.

D’emblée, la direction de la CGT avait applaudi à la loi Aubry et lancé la campagne en faveur d’accords sur les 35 heures, en particulier par un journal spécial exposant la loi, distribué dans toutes les entreprises. Viannet l’avait même qualifiée de plus importante conquête des salariés depuis 1936 ! Mais des réticences il y en avait aussi beaucoup ; à la base d’abord, c’est à dire auprès des travailleurs du rang. Et aussi, en conséquence, à tous les niveaux de l’appareil, y compris dans certaines instances dirigeantes. Après le coup d’envoi de l’accord sur la métallurgie que la CGT avait refusé de signer, jurant ses grands dieux de se battre pour de « bons accords » la machine à négociation a été lancée. L’appareil de la CGT s’y est employé, au plus haut niveau, épaulé par toute une campagne du PC, avec une rubrique quotidienne dans l’Humanité.

Cette orientation s’est traduite notamment par la signature de l’accord textile, fort peu différent de celui sur la métallurgie, puis par celle de l’accord EDF. Le signataire de l’accord textile au nom de la CGT, Christian Larose, un « moderniste » dirait la presse était chargé de présider à la tribune du congrès le débat sur les 35 heures. Il s’y illustra par la façon démagogique dont il défendit son accord, au nom du réalisme, prétendant que les syndicalistes du textile ont d’autres problèmes que ceux de la fonction publique : « Pendant qu’ils géraient les évolutions de carrière et les augmentations salariales, nous subissions, nous, les licenciements massifs et les délocalisations. Aujourd’hui ils espèrent avoir les 35 heures sans perte de salaire et sans flexibilité. Faut pas rêver ! »

Selon les statistiques récentes du Ministère du Travail, sur les quelques 2 019 accords signés avant le 3 février dernier, la CFDT arrive certes en tête, avec 957 accords paraphés, mais la CGT arrive en second avec 423 accords signés, devant FO (340) et la CFTC (309).

Au fur et à mesure que les contenus des premiers accords ont été connus, les illusions sur les 35 heures sont devenues plus difficiles à entretenir. Et malgré la volonté affichée par la direction de la CGT de « prendre le stylo », elle s’est trouvée contrainte, pour ne pas perdre son influence, de le manier moins vite que ses homologues de la CFDT.

L’accord sur les 35 heures à la Poste illustre la prudence dont les dirigeants CGT ont été amenés à faire preuve pour ménager leur base : la Fédération CGT des PTT a préféré couper la poire en deux. CGT et SUD ont refusé de signer l’accord, paraphé par CFDT, FO, CFTC et CGC. Il faut dire qu’au cours de ces dernières semaines dans plusieurs bureaux de poste, « pilotes de l’application des 35 heures », les postiers avaient fait grève contre l’aggravation des conditions de travail ainsi imposées. Et l’accord prévoit de remplacer les 20 000 fonctionnaires partant en retraite dans les deux années à venir par seulement 6 000 emplois de fonctionnaires, complétés, seulement provisoirement peut-être par moins de 14 000 contractuels. Mais en même temps qu’elle refusait de signer, la fédération CGT, tenait à souligner les points positifs, mais insuffisants de l’accord et se disait prête à « investir toutes les portes ouvertes » dans le deuxième round, celui des négociations locales sur les modalités d’application de l’accord, en développant les convergences d’action... avec les signataires. Esprit de négociation, quand tu nous tiens !

A Peugeot, ce sont les ouvriers qui ont débrayé à l’appel de la CGT de l’entreprise contre le projet des 35 heures de la direction de PSA. Les six autres syndicats du groupe, CFDT, FO, CGC, CSL, CFTC et CAT, ont été contraints en conséquence de rengainer brusquement leur stylo et d’envoyer la direction revoir sa copie. Celle-ci n’a cependant pas eu à rajouter grand-chose (une prime de 140 F par samedi travaillé) pour que ces mêmes syndicats décident d’accepter la nouvelle mouture de l’accord, malgré une consultation organisée à l’usine Peugeot de Sochaux par la CGT montrant que 85 % des ouvriers étaient contre la signature.

Quant à la fédération CGT du bâtiment, elle vient de refuser de signer l’accord concernant l’artisanat du bâtiment, accepté par CFDT, FO et CFTC. Le journal les Echos déplore que les dirigeants de cette fédération, qui avaient déjà volontairement traîné des pieds pendant près de six mois, aient violé l’orientation du congrès en refusant de signer. « Victoire des conservateurs sur les partisans du changement dans une fédération où les deux camps sont au coude-à-coude » déplore le quotidien. Il est vrai que la confédération, comme le journal l’Humanité, avaient eu des paroles louangeuses pour cet accord et incité à sa signature dès qu’il avait été publié.

Dans une interview au journal de la CGT, l’Hebdo du 19 février, à la question « ne risque-t-il pas d’y avoir des poches de résistance à la CGT ? », Thibault a répondu : les débats ayant eu lieu et les décisions étant prises, « la vie va nous contraindre à ne pas perdre de temps pour la mise en oeuvre de l’orientation définie par les délégués ». Mais la direction de la CGT pourrait avoir à compter avec une partie de sa base militante, et avec les réactions des travailleurs.

Des fausses barbes, pour faire passer le nouveau look

L’alignement sur un gouvernement qui défend l’intérêt des patrons, est le fond de la politique actuelle de la CGT. Mais prétextes et justifications de toutes sortes sont alignés pour masquer ce fond peu avouable.

Les dirigeants de la CGT utilisent en particulier l’argument de la baisse des effectifs : la CGT ne compterait plus aujourd’hui que 650 000 membres alors que la CFDT, jadis largement minoritaire, pourrait se vanter d’être devenue le premier syndicat de France regroupant 750 000 syndiqués. La CGT devrait donc changer. Ce sont les salariés, argumentait Thibault dans son discours introductif du congrès, qui veulent une CGT en évolution : s’ils n’affluent pas dans nos rangs c’est qu’ils ont des doutes « sur notre capacité à répondre aux défis d’aujourd’hui provoqués par les mutations brutales dans tous les domaines de la société. [...] Sauf à considérer que les salariés ne seraient pas pleinement responsables de leur jugement, il nous faut tenir compte de leurs messages ».

La baisse de la syndicalisation est un phénomène général, et la CGT qui déclarait plus de 2,3 millions de syndiqués dans les années 70, et encore 1,9 million en 1981, a vu ses effectifs chuter (1,2 million en 1985, 800 000 en 1989, pour tomber à 650 000 officiellement en 1994). Certes, le phénomène est spectaculaire et incontestable. On peut aligner des explications multiples : crainte du chômage et de la répression ; fermetures et réductions d’effectifs touchant les grandes entreprises qui étaient les plus syndicalisées ; départ à la retraite d’équipes militantes non renouvelées (mais pourquoi ?) ; mais aussi pour une bonne part déception et découragement de nombre de travailleurs et militants devant la politique des appareils syndicaux et politiques dits « de gauche » pendant leurs passages au pouvoir.

Reste à trouver les remèdes.

La CGT reste une force « à part ». Une force qui peut probablement encore compter dans l’avenir, beaucoup ou pas, selon les choix de ses militants. Mais une force qu’il n’est pas possible d’enterrer si facilement. C’est bien pourquoi le gouvernement fait tout pour l’avoir plutôt avec lui que contre lui. C’est bien pourquoi Jospin et ses amis patrons, ont besoin de la neutraliser, de la chloroformer, de la banaliser, de rendre son appareil aussi inodore et sans saveur que celui de la CFDT. En espérant ensuite que l’appareil sera capable de neutraliser la base et le gros des travailleurs qui lui font encore confiance.

Aujourd’hui les dirigeants de la CGT prétendent, pour faire accepter aux militants la « mue » de la CGT, que c’est en faisant de la CGT un syndicat de négociation, de participation à toutes les commissions économiques françaises ou européennes, ou en s’orientant davantage vers les cadres ou techniciens, qu’ils requinqueront les effectifs du syndicat. Outre que cela reste à prouver, ils contribuent de cette façon à démoraliser ou faire fuir de la CGT des militants combatifs, parmi ceux qui de fait la font vivre jusque-là, sans attirer pour autant ceux qui regardent du côté de la politique de la CFDT qui, tant qu’à faire, peuvent la trouver plus directement chez Notat.

Un pas de plus dans la collaboration de classe, mais tout le monde ne marche pas.

Le 46e congrès de la CGT n’est cependant pas vraiment celui de la « mutation » de la CGT comme l’a écrit la presse. Il marque seulement un pas supplémentaire de la direction CGT dans le sens de la collaboration de classe et de son intégration dans les rouages de la société bourgeoise. Cela ne va pas, fort heureusement, sans poser de questions à un certain nombre de militants cégétistes.

Le nouveau « syndicalisme citoyen », les phrases creuses sur les « nouvelles solidarités », sur la « conjugaison des droits sociaux et citoyens » peuvent passer la rampe d’un congrès. Surtout si on y rajoute quelques coups de chapeau qui n’engagent à rien aux comités de chômeurs et aux autres acteurs du « mouvement social » (expression plus floue que « luttes de la classe ouvrière »).

Le choix de Thibault, encore auréolé de son rôle de leader de la grève de 1995, comme successeur de Viannet a pu faire illusion au congrès, et donner le change auprès d’un certain nombre de militants combatifs, y compris parmi ceux que la lecture du texte d’orientation avait défrisés, les réconforter et leur faire avaler le nouveau cours.

Mais la difficulté pour Thibault c’est que la politique du gouvernement Jospin passe de plus en plus mal auprès d’une fraction de la classe ouvrière, et le soutien qu’il lui apporte est de plus en plus mal accepté par de nombreux militants cégétistes

Les 10 % de voix contre au congrès sont symptomatiques, mais ils ne permettent pas de mesurer l’importance du mécontentement dans les rangs des militants CGT face à l’orientation de la confédération. Ils sont surtout révélateurs de la composition du congrès, mais qu’en est-il de la réalité ? Thibault l’a néanmoins jugé suffisant pour changer le texte proposé au congrès et y intégrer quelques-uns des amendements proposés par divers syndicats. C’est ainsi que la revendication CGT du SMIC à 8 500 F qui avait été remplacée dans le texte initial par une vague formule sur la « revalorisation du SMIC », a fait sa réapparition. A propos des 35 heures qualifiées « d’avancée importante », le congrès a rajouté la revendication d’une augmentation du SMIC horaire de 11,4 % afin de maintenir le montant mensuel du salaire minimum, ainsi que celles de l’abaissement de la durée maximale hebdomadaire du travail de 46 à 42 heures et de l’interdiction des forfaits tous horaires pour les cadres. Concernant les emplois Aubry, il a été rajouté au texte, à côté de louanges de ces emplois-jeunes « ouvrant l’espoir de milliers de jeunes » quelques critiques sur l’introduction par ce biais « des emplois privés à l’intérieur du secteur public » et sur l’absence de garantie d’emploi pour les jeunes à la fin de leur contrat. Et la lutte pour la régularisation des sans-papiers, dans laquelle un certain nombre de militants CGT se sont impliqués a, elle aussi, eu droit de cité dans la plate-forme confédérale par le rajout d’un paragraphe rappelant la lutte contre les lois Pasqua et Debré,... mais oubliant la loi Chevènement.

Et pour satisfaire ceux qui voudraient bien que la CGT ne se contente pas que de manier le stylo, Thibault annonçait à la tribune du congrès la préparation d’une « initiative interprofessionnelle coordonnée et unitaire ». Point trop n’en fallait tout de même : aux quelques délégués qui parlaient déjà d’en faire une grande journée de grève et manifestation sur le chômage, les retraites ou les emplois précaires, ou de préparer une action d’envergure « comme à l’hiver 1995 », le nouveau secrétaire général de la CGT remettait les pieds sur terre : « Ce n’est pas, a priori, l’objectif que l’on vise ».

La CGT ne veut surtout pas gêner le gouvernement. Elle ne semble même pas chaude pour appeler à une journée nationale de grève et manifestations unitaire puisque c’est désormais la ligne ! qui pourrait permettre au mécontentement de s’exprimer spectaculairement et risquerait, au cas où elle serait un succès, d’encourager à préparer une suite.

La nécessité d’une autre politique pour la classe ouvrière, avec les militants syndicaux qui restent fidèles à leurs idéaux lutte de classe

La difficulté aujourd’hui, c’est que devant les nouveaux reniements, ou ce qui apparaît comme des retournements de la confédération et de la direction CGT, la confiance d’un certain nombre de militants se trouve ébranlée, et pas forcément dans un sens positif. Certains sont tentés de déchirer leur carte ou de ne pas la renouveler. D’autres de se tourner vers d’autres syndicats, comme l’ont fait vers SUD-rail quelques militants cégétistes cheminots de Marseille après les luttes du début de l’année.

Les révolutionnaires ont autre chose à proposer. Car la CGT ne se résume ni à sa direction qui se rapproche de Notat, ni même à ce congrès qui vote la confiance à Thibault. En dépit des dirigeants des confédérations syndicales, et même contre eux, il est nécessaire de faire vivre dans les entreprises une activité syndicale qui se situe résolument sur le terrain de la lutte de classe. Il est certes possible de le faire en militant dans d’autres syndicats que la CGT, et parfois il n’y a pas le choix non plus. Mais croire ou laisser croire que ce serait en général plus facile ou plus fructueux d’aller ailleurs, serait semer des illusions. Le réformisme et le bureaucratisme, malheureusement, ne sont pas le monopole de la seule CGT et toutes les boutiques syndicales les cultivent à leur façon.

Ce congrès de la CGT au moins a montré une chose : c’est que ce syndicat compte aujourd’hui un grand nombre de militants actifs qui, voulant oeuvrer à ce que la classe ouvrière se défende, sont désorientés par la politique de leur organisation et même en opposition avec elle. Certains d’entre eux, également au Parti Communiste et aussi déçus de la politique de leurs dirigeants. D’autres encore, avaient quitté le PCF pour se réfugier dans la seule activité syndicale, espérant que là au moins, ils pourraient rester sur le terrain des luttes et non des alliances gouvernementales.

Aux militants ouvriers combatifs et il en existe de nombreux à la CGT, probablement plus que dans tous les autres syndicats les militants révolutionnaires ont à proposer de défendre ensemble une autre politique pour la classe ouvrière que celle des Hue, Thibault ou Notat. Une politique d’opposition résolue au patronat et au gouvernement de gauche.

Des militants ouvriers qui enragent du soutien des directions syndicales à la politique anti-ouvrière de Jospin et Aubry, il en existe un peu partout dans le pays. A la CGT bien sûr, mais aussi dans les autres syndicats ou même sans appartenance syndicale. Ils peuvent se connaître, se coordonner, s’épauler pour faire que les luttes qui surgissent ne restent pas isolées les unes des autres, pour dénoncer la politique du gouvernement, expliquer les arnaques qui se cachent derrière cette opération dite « d’aménagement du temps de travail », et les nouvelles attaques qui se préparent, sur les retraites notamment. Ils peuvent propager l’idée de la nécessité d’une lutte d’ensemble, et la préparer. Ils peuvent en résumé se prendre par la main pour commencer à mettre en oeuvre eux-mêmes les tâches qu’une direction syndicale digne de ce nom devrait selon eux accomplir dans la situation d’aujourd’hui.

Car la classe ouvrière se doit de riposter à l’offensive menée contre elle. Elle le fait en partie déjà localement, malgré les politiques confédérales, lorsqu’elle réagit à Peugeot, dans des bureaux de postes ou ailleurs contre la flexibilité et l’aggravation des conditions de travail qu’on veut lui imposer avec la bénédiction et la signature de bonzes syndicaux.

Elle devra passer à son tour à l’offensive pour interdire les licenciements, imposer des embauches dans les services publics au lieu de cadeaux aux patrons, exiger l’embauche en fixe des travailleurs précaires, revendiquer une augmentation générale des salaires. Ce « Tous ensemble » que Thibault ne lance plus que pour faire acclamer Notat, il faut le préparer pour de vrai, à la base. Cette « initiative unitaire » dont il a fait la vague promesse du haut de la tribune du congrès pour lanterner les travailleurs combatifs, mieux vaut ne pas l’attendre de lui, si on ne veut pas qu’elle se résume seulement (si tant est qu’elle ait vraiment lieu) à des débrayages à la carte, ou à une journée d’action sans lendemain, ou à un 1er mai unitaire, avec les leaders de la gauche au pouvoir et ceux des syndicats bras-dessus, bras-dessous en tête du cortège.

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