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La réforme de l’assurance maladie va-t-elle passer comme une lettre à la poste ?

mardi 22 juin 2004

Douste-Blazy aura donc mis des semaines à sortir du bois. Et l’est-il vraiment d’ailleurs, puisque s’il a fait approuver son projet de loi par le conseil des ministres le 16 juin, il dit aussi se réserver la possibilité de « l’améliorer » lors de la discussion parlementaire qui doit commencer le 29 ?

Le ministre de la Santé devait d’abord révéler dès la mi-mai les mesures prévues pour sa « réforme » de la Sécurité sociale. Il en a bien en effet annoncé plusieurs lors de l’émission « 100 minutes pour convaincre ». Mais le tableau n’a alors été qu’ébauché. Et c’est au compte-goutte que les autres annonces ont ensuite été distillées.

De toute évidence pour ce nouveau gros chantier de démolition sociale, la tactique fut encore plus sournoise que pour les retraites. Le discrédit politique de l’équipe Raffarin, confirmé par les gifles reçues aux élections régionales puis européennes, oblige à quelques louvoiements...

Des mesures symboliques, des pressions bien réelles

La première mesure consiste à faire payer une franchise d’un euro par consultation médicale. Une somme que le gouvernement juge « symbolique », afin de « responsabiliser » les patients ou supprimer « le sentiment de gratuité de notre système de santé », selon le moraliste Raffarin. Cette franchise risque en fait d’ouvrir la voie à un véritable déremboursement des consultations, puisqu’une fois instaurée, rien de plus facile que de l’augmenter indéfiniment. L’exemple du forfait hospitalier est éloquent. A sa création en 1982 (par un ministre PCF), il devait lui aussi rester « symbolique ». Mais il a été alourdi régulièrement par les gouvernements successifs, pour atteindre récemment 13 euros par jour. Et la seconde mesure du plan Douste-Blazy est justement de le passer à 14 euros en 2005, 16 en 2006, 17 en 2007... Qui peut croire que la « franchise » ne va pas suivre le « forfait » ?

Autre volet : l’augmentation de la CSG. Il a d’abord été question de ne s’en prendre qu’aux retraités, pour lesquels cet impôt (mis en place lui aussi par la gauche) devrait croître de 0,4 % en passant de 6,2 à 6,6 %. De quoi leur soutirer 560 millions d’euros par an. Mais quelques jours plus tard, on apprenait que les actifs n’y échapperaient finalement pas, avec une hausse de l’assiette de leur CSG de 95 % à 97 % du salaire.

Ces dernières semaines, Douste-Blazy s’était surtout consacré à mener campagne pour nous persuader que la Sécu était malade... des abus et du gaspillage. Il entendait lutter contre ceux qu’il ose appeler « les gens malhonnêtes » - pas les patrons qui ne paient pas leurs cotisations, bien sûr, mais nous tous, assurés sociaux, dont le goût pervers pour les salles d’attente serait cause des mauvais comptes de la Sécu ! Puis, après les malades imaginaires, ce fut le tour des prétendus fainéants : « Si on s’aperçoit qu’un assuré est en arrêt maladie mais qu’il n’est pas malade, il passera devant une commission composée de médecins libéraux et de médecins conseils et, s’il est solvable, il devra rembourser les indemnités que l’assurance aura indûment versées ». [1]

Résultat, une énumération de mesures de flicage : création du « dossier médical personnel » qui pourrait conditionner le niveau du remboursement, désignation d’un médecin traitant par qui il faudra automatiquement passer pour là aussi être remboursé des consultations chez les spécialistes, preuve à apporter que la carte vitale est bien la vôtre, sanctions contre assurés et médecins qui « abuseraient » des arrêts maladie... L’efficacité de tout cela pour combler le trou creusé par les patrons reste sans doute à démontrer. Mais aucun doute sur le but du ministre de la Santé : faire que les assurés hésitent à se soigner par crainte de ne pas être remboursés.

Une tendance qui ne peut qu’être renforcée par les annonces du gouvernement portant sur des incitations fiscales à souscrire à des mutuelles ou assurances privées. Le cap est bien mis vers un système de santé de moins en moins égalitaire, de plus en plus tributaire des moyens de chacun de s’offrir une protection correcte ou non.

Encore et toujours sur le « trou » de la Sécu

Au patronat, en revanche, Douste-Blazy réserve un traitement homéopathique. La C3S (Contribution sociale de solidarité des sociétés) ne devrait être augmentée que de 0,03 %. Ce qui représenterait 760 millions d’euros, soit à peine plus que ce que le gouvernement veut voler au retraités avec la hausse de la CSG.

Pas question donc de mettre le capital à contribution. Dans sa propagande incessante sur « le trou », le gouvernement ne parle que de hausse des coûts de la santé, sans évoquer le problème des recettes. S’il y a pourtant une explication aux 11 milliards de déficit (13 de prévus en 2004 ?) dans les comptes de l’assurance maladie, c’est bien celle du manque de rentrées. Les exonérations de cotisations patronales ont été multipliées par six entre 1993 et 2003, pour atteindre 20 milliards d’euros l’an passé (un cadeau fiscal à comparer aux 760 misérables millions de hausse de la C3S !). Certes, l’Etat compense en partie ce déficit. Mais en partie seulement : il manque 10 % en moyenne. Ce qui fait qu’en 2002 par exemple, la somme des exonérations non compensées et des impayés patronaux représentait l’intégralité du déficit.

Et puis, le chômage et le retard des salaires sur les profits depuis des décennies représentent autant de ressources en moins pour la Sécurité sociale. Il suffirait de 100 000 chômeurs de moins pour rapporter 1,3 milliard d’euros. Et de 1 % d’augmentation des salaires pour regonfler les caisses de 2,5 milliards.

Rappelons à ce propos que la part du produit intérieur brut revenant aux salaires est passée de 69 % à 59 % entre 1984 et aujourd’hui. Restaurer ne serait-ce que l’ancienne répartition ferait donc bien plus que combler le déficit actuel de l’assurance maladie. Mais les attaques du gouvernement contre la Sécu s’inscrivent au contraire, comme celles contre l’assurance vieillesse, dans une politique sur le long terme d’aggravation du taux d’exploitation des travailleurs.

Un front syndical... bien dégarni

Chérèque déclarait vouloir « faire évoluer le gouvernement sur trois points : l’accès à la médecine libérale partout sur le territoire, le financement qui ne doit pas reposer sur les générations futures, et une aide de l’Etat pour que chacun puisse avoir accès à une mutuelle ». Pas de quoi fâcher Douste... et d’ailleurs les dernières déclarations du ministre de la Santé répondent comme par miracle aux trois voeux du dirigeant CFDT. Les autres secrétaires généraux ont eu des phrases un peu plus combatives, Mailly (pour FO) allant jusqu’à parler de « grève générale interprofessionnelle ». Mais ce radicalisme à froid ne coûte pas cher, quand on ne fait rien par ailleurs pour construire le mouvement.

L’organisation de manifestations de protestation s’est faite encore plus tardivement que pour les retraites. Les manifestations du 5 juin dernier ont rassemblé toutes les confédérations. Mais ce front syndical est une blague. La direction de la CFDT n’a même pas pris la peine de venir à la manifestation à laquelle elle appelait le 5 juin. Celles des autres confédérations n’ont fait aucun effort pour mobiliser vraiment. Et encore moins pour lui donner une suite. Et pas plus FO, malgré ses allusions à la grève générale, que la CGT ou la FSU qui parlent de 15 jours en 15 jours de journées d’action nationales.

En fait toutes les confédérations syndicales négocient, secrètement ou non, depuis des mois, avec le gouvernement. Loin d’elles donc la volonté de préparer la seule riposte possible : un mouvement d’ensemble.

Douste-Blazy pouvait bien les remercier, le 6 juin dernier, « de la qualité et de la sincérité des échanges qui ont eu lieu ». Merci donc, et au revoir : le même jour le ministre de la Santé déclarait qu’« après la démocratie sociale » (c’est-à-dire les bavardages avec les bureaucrates syndicaux !), c’était l’heure de « la démocratie parlementaire ».

Le calendrier du gouvernement prévoit en effet de faire voter la réforme en juillet. Malgré les récentes déclarations de Thibault pour la CGT, il n’est donc pas vrai qu’« on a encore du temps ». C’est dans les jours qui viennent qu’une grande manifestation nationale aurait dû être appelée. Sans parler de la grève générale interprofessionnelle chère à FO.

Le Parlement aux ordres va sans doute adopter le projet concocté par Douste-Blazy. Mais nous n’avons aucune raison de nous sentir tenus par la décision de députés qui représentent les intérêts de la classe ennemie. Démobilisés au printemps par nos organisations syndicales ou empêchés de réagir cet été par la dispersion traditionnelle des congés ? Peut-être. Mais c’est alors une raison supplémentaire de nous préparer pour l’automne. Jamais trop tard pour engager le combat contre l’injustice.

19 juin 2004

Benoît MARCHAND


[1Un rapport publié en octobre 2003 par l’Inspection générale des finances (IGF) et l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) fait état d’une augmentation de 46 % des dépenses d’indemnités journalières dues aux arrêts maladie des travailleurs du privé, entre 1997 et 2002. Mais pour le directeur de la CNAM, la fraude (selon quels critères ?) représenterait 6 % seulement des indemnités. Le rapport de l’IGF et l’IGAS lui-même attribue l’essentiel de cette hausse au vieillissement moyen des salariés. Le Syndicat national de la médecine du travail ajoute pour sa part l’aggravation des conditions de travail. Commentaire d’une ouvrière de la sous-traitance automobile : « Cela me fait mal au coeur quand j’entends M. Douste-Blazy vouloir faire la chasse aux absentéistes. Qu’il vienne ici, je lui choisirai un bon poste ! »

Mots-clés Politique , Sécurité sociale
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