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Travailleurs détachés, quand les capitalistes profitent des frontières

jeudi 26 janvier 2017

Depuis quelques mois, la question des « travailleurs détachés », envoyés par une entreprise d’un pays de l’Union européenne dans un autre, alimente toutes les phobies et démagogies. Tout le monde en joue dans cette campagne électorale : à gauche, à droite, à l’extrême droite. Mélenchon a même prétendu que le travailleur détaché « vole leur pain aux travailleurs qui se trouvent sur place ».

Et le gouvernement fait le chef d’orchestre, évidemment, et veut rendre obligatoire une « carte d’identification professionnelle » pour tout salarié travaillant sur un chantier du BTP. Deux millions de cartes devraient être éditées prochainement, avec données informatisées concernant le salarié et l’entreprise. Inaugurant au tout début janvier, avec sa ministre El Khomri, la nouvelle carte dans une entreprise de Bretagne, le premier ministre Cazeneuve la vantait comme « un progrès pour la protection des salariés et pour la défense de notre modèle social ». Sauf que ceux qu’on va fliquer, ce ne sont pas les patrons voyous mais les salariés. Les patrons français du bâtiment ne s’y trompent pas, eux qui se sont dits satisfaits de la mesure.

Des travailleurs détachés… de leurs droits

Les entreprises européennes peuvent faire appel à ces travailleurs détachés depuis 1996, possibilité facilitée en 2006 par la directive dite « Bolkestein » (du nom du commissaire européen qui l’a rédigée). Leur patron est tenu de les payer au salaire minimum du pays où ils travaillent (si toutefois un salaire minimum y existe), mais versent les cotisations sociales dans leur pays d’origine, où elles sont bien souvent inférieures. En Allemagne où jusqu’à très récemment il n’existait pas de salaire minimum (et désormais avec conditions restrictives), des salariés de l’est de l’Europe ont été embauchés dans les abattoirs à des niveaux de rémunération extrêmement bas. En France, où le Smic est obligatoire, les salariés détachés sont embauchés au plus bas de l’échelle, pour des tâches qui requièrent parfois un certain niveau de qualification professionnelle. Sans compter les heures supplémentaires non déclarées, manière de contourner l’obligation légale du Smic, que les patrons imposent très souvent à ces travailleurs qui ne sont pas en super position pour revendiquer. Dans le bâtiment ou l’agriculture, nombre d’entre eux travaillent 50 ou 60 heures par semaine payées 35. Et les hébergements fournis sont souvent indignes.

Et bonjour les fraudes patronales !

Déjà dénoncé par un rapport parlementaire de 2013 : le travailleur détaché en France peut être… français ! Plusieurs agences d’intérim luxembourgeoises et belges recrutent des travailleurs français. Ils sont chargés d’une mission en France, et deviennent ainsi des travailleurs détachés. Au nombre de 18 850, ils représentent 8 % de la main-d’œuvre détachée déclarée et sont pour la plupart des travailleurs transfrontaliers, résidant notamment en Lorraine. Ils ne bénéficient plus du même système de protection sociale et n’ont droit ni au chômage ni à la retraite en France. Les cotisations sociales appliquées sont celles du Luxembourg ou de la Belgique, très basses.

Sous prétexte d’éviter la concurrence, on baisse le coût du travail pour les patrons

Nombre de politiciens crient au « dumping social ». Cazeneuve épinglait en décembre les « fraudes au détachement » et réclamait la révision de la directive Bolkenstein. Mais les effectifs des inspecteurs du Travail ne cessent de se réduire, rendant impossible le contrôle de ces pratiques. Et si la Commission européenne est sensée proposer une réforme de la directive Bolkenstein améliorant la protection sociale de ces salariés, on n’a rien vu venir.

D’un côté, le gouvernement va donc affubler d’une nouvelle carte tous les salariés du bâtiment (y compris les « sans-papiers », nombreux sur les chantiers, qui devront avoir un papier de plus). Pour mieux les fliquer et les intimider, pas pour les empêcher de se faire exploiter ! De l’autre, il a concédé au patronat des mesures et lois qui baissent encore ce que les capitalistes appellent le « coût du travail », de telle sorte qu’en juillet dernier, la rapporteure générale du Budget, la députée socialiste Valérie Rabault, pouvait se vanter que l’embauche d’un salarié français payé au Smic coûtait désormais moins cher que celle d’un Polonais ou d’un Portugais détaché en France [1].

Non à l’Europe des frontières

L’Europe est le continent le plus morcelé, avec autant de réglementations différentes... et d’occasions de se livrer au petit jeu marginal du « dumping social ». Autant de divisions entre travailleurs qui font le bonheur des capitalistes.

La façon d’en finir serait d’ouvrir les frontières et d’abord d’aligner par le haut les salaires et les droits sociaux.

Un combat que seuls peuvent mener les travailleurs eux-mêmes. Certains militants, sur les chantiers navals de Saint-Nazaire ou de l’EPR à Flamanville, prennent contact avec des travailleurs détachés soumis à une véritable surexploitation. Des actions en justice ont été entreprises, mais une tout autre perspective serait d’entamer un combat commun, qui tisserait des liens entre salariés de toute provenance.

Lydie GRIMAL


Combien sont-ils, détachés ?

En 2013, on compte environ 1,3 million de travailleurs détachés en Europe, principalement employés en Allemagne, aux Pays-Bas et en France. En France, ils sont 286 000 déclarés, principalement dans les secteurs du BTP (43 %), de l’intérim (23 %), de l’industrie (15 %) et de l’agriculture (5 %). Presque tous (86 %) sont ouvriers.

Ces salariés viennent souvent d’Europe de l’Est, mais aussi du Portugal, d’Espagne, d’Italie et de Grèce. Depuis la crise de 2008, ces pays sont redevenus des pays d’émigration. Il est significatif que le Portugal soit aujourd’hui le premier pourvoyeur de travailleurs détachés en France, devant la Pologne.

À l’inverse, 140 000 salariés français sont détachés dans les pays voisins (Belgique, Allemagne, Royaume-Uni, Espagne).

L.G.


[1En raison du crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE), basé sur la masse salariale, et des allègements « Fillon » des cotisations patronales sur les bas salaires, renforcés par le pacte de responsabilité de Hollande en 2013. « Les cotisations patronales ne sont désormais plus que de 10 % du montant du salaire brut pour un salaire au Smic », affirme-t-elle.

Mots-clés Europe , Politique
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