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Les capitalistes allemands, et quelques autres, à la conquête de l’Est

jeudi 26 janvier 2017

À partir de 1989, les grandes entreprises d’Europe de l’Ouest, notamment allemandes, se sont massivement établies dans les pays de l’ancien bloc de l’Est qui s’ouvraient brutalement aux capitaux occidentaux. L’intégration rapide de ces pays à l’Union européenne (13 pays entre 2004 et 2013) a été à la fois l’occasion d’éliminer les barrières douanières et de soustraire ces États à l’influence russe.

Après 1989 : l’Allemagne première en piste

Depuis les années 1970, les capitalistes de l’ouest lorgnent sur les perspectives de profit dans les pays de l’Est, attirés par le faible coût de la main-d’œuvre, sa qualification et la proximité avec les marchés européens. Avec la réunification, les trusts de RFA commencent à piller méthodiquement l’économie de RDA : entreprises vendues aux enchères et travailleurs licenciés en masse. Dès la chute du Mur de Berlin, la RFA propose d’élargir la Communauté européenne vers l’Est. La fin de l’URSS en décembre 1991 accélère le processus.

Tout l’ex-bloc de l’Est est concerné. Les entreprises d’État polonaises, tchèques, hongroises ou slovaques sont bradées par leurs gouvernements. Les capitalistes allemands entament leur implantation à coups de millions de Deutsche Marks et réorganisent leur production. Ils rachètent à bas coût les usines et profitent d’une main-d’œuvre qualifiée et bon marché pour fabriquer des pièces détachées, expédiées ensuite en Allemagne pour y être assemblées sur des produits étiquetés Made in Germany ! Pour faciliter les investissements et la circulation des marchandises, l’Allemagne milite pour une adhésion rapide de ces pays à l’UE. L’influence économique des entreprises allemandes (mais pas que) est favorisée par la « mutualisation » des coûts des programmes « d’aide » qui visent, en grande partie, à mettre à niveau les infrastructures de ces pays.

Les constructeurs automobiles sont particulièrement intéressés par les privatisations et modifient leur système productif : Volkswagen s’implante à Bratislava (Slovaquie) dès 1991 et rachète le constructeur national tchèque Škoda la même année, tandis que le groupe Audi se dote d’une usine de moteurs à Györ en Hongrie en 1993. Les véhicules sont soit écoulés sur les marchés locaux, soit « exportés » en Allemagne pour y être achevés.

Mais, au-delà de l’industrie, c’est toute l’économie des pays de l’Est qui est à saisir. Le secteur de la sécurité sociale est lui aussi brutalement privatisé et les assurances allemandes en profitent…

Le pré carré des multinationales allemandes

L’ouverture à l’Est permet également aux capitalistes allemands de conquérir des marchés pour l’exportation. Dès 1995, le gouvernement allemand proclame qu’il exporte désormais davantage vers les pays de l’Est que vers les USA. Aujourd’hui, environ 25 % des produits vendus en Pologne, en Hongrie ou en Slovaquie viennent d’Allemagne. Et il ne s’agit pas seulement des grands trusts de la chimie ou de l’automobile. L’Allemagne est célèbre pour ses PME qui exportent des machines-outils, des appareils électriques ou de la mécanique de précision, et organisent une valse ininterrompue des camions qui, eux, franchissent sans problème toutes les frontières.

Les réformes mises en place dans les années 1990 et les conditions d’adhésion à l’UE ont contribué à la modernisation à marche forcée des économies de l’Est, pour subvenir aux besoins des entreprises occidentales plutôt qu’à ceux des populations. Peu à peu, les salaires ont augmenté et la qualification de la main-d’œuvre aussi. Les trusts allemands se sont mis à y déplacer aussi des services. Siemens embauche par exemple 600 personnes dans son centre de recherche à Wroclaw (Pologne) et a externalisé sa comptabilité à Prague et à Bratislava. Le groupe de logistique DHL et la compagnie aérienne Lufthansa ont aussi leurs services informatiques en République tchèque, tout comme la Deutsche Börse et des multinationales américaines, françaises, canadiennes…

Une zone d’influence partagée et repartagée

Au début des années 2000, constatant les progrès des groupes allemands, les grands patrons français s’y sont précipités à leur tour. PSA produit des véhicules en Slovaquie et Renault a acheté en 1999 le constructeur roumain Dacia pour prendre des parts du marché local, tandis que la Société Générale, Orange ou Téléperformance délocalisaient leurs centres d’appel en Roumanie, où la main-d’œuvre est bon marché, bien formée et exceptionnellement francophone !

Des multinationales américaines se sont aussi installées à l’Est. En 2005, le géant Ebay achète pour 2,6 milliards d’euros la petite startup estonienne Skype, toujours installée à Talinn, mais rachetée 8,5 milliards en 2011 par Microsoft... En Pologne, General Motors possède une usine automobile à Gliwice, à 40km de celle Fiat à Tychy.

Si les salaires augmentent progressivement, l’Europe de l’Est reste un eldorado pour les capitalistes. Des entreprises textiles chinoises ou turques y investissent aussi pour alimenter en flux tendu les marchés d’Europe de l’Ouest.

Les institutions élargies de l’UE et la manne de ses crédits ont offert un cadre aux entreprises occidentales – et quelques autres. Mais quand celui-ci n’y suffisait pas, en particulier face à la concurrence de la Russie dans les pays voisins n’appartenant pas à l’UE, ou pas encore (à commencer par l’Ukraine), les capitalistes européens y ont ajouté des finesses diplomatiques, en particulier cette « Politique européenne de voisinage », une sorte de soft power… qui peut parfois être bien rude et aller jusqu’à la guerre en Ukraine. Cette dernière ne s’explique pas seulement par les velléités expansionnistes poutiniennes, mais aussi par l’ardeur des impérialistes de l’UE à avancer toujours plus loin vers l’est les pions de leurs multinationales.

Et puis il s’agit aussi de gaz et de nucléaire. Bouygues a mené à bien la construction d’un sarcophage géant à Tchernobyl. En Hongrie, l’agence atomique russe Rosatom a empoché en 2014 un contrat de 12 milliards d’euros minimum pour la construction de deux nouveaux réacteurs dans la centrale nucléaire de Paks, au sud du pays. Fâché par cet accord entre Orbán et Poutine dans sa zone d’influence, le groupe français Areva avait obtenu que l’UE tente de bloquer le projet en lançant notamment une enquête sur la validité du prêt accordé par l’agence russe pour financer le chantier… Début 2017, l’UE a fini par céder, mais au même moment, la Commission européenne dédommageait Areva en autorisant son refinancement par l’État français… 

Hugo WEIL

Mots-clés Allemagne , Europe , Europe de l’Est , Monde