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« En marche » ou sur routes, les cars Macron ?

jeudi 26 janvier 2017

Quelques mois avant l’élection présidentielle, Emmanuel Macron présente les atours du candidat à la mode, du jeune loup libéral. Mais avant de s’égosiller sur les estrades, il a laissé quelque trace de son passage au ministère de l’Économie : une loi, qui porte sa griffe et qui, avant même la loi Travail, aura fait dégainer à Valls l’article 49-3 (à l’insu de son plein gré, dit-il maintenant). Cette « loi Macron » a pris la forme d’un fourre-tout salué par le Medef, dont les articles phares sont « l’assouplissement » du travail du dimanche et l’ouverture à l’autocar des lignes nationales.

Rappelons que, jusque-là, le train et la SNCF exerçaient un monopole sur ce type de liaisons nationales. Une première étape avait été franchie en 2012, permettant à un pourcentage minoritaire des voyageurs par véhicule d’emprunter la portion française de lignes internationales (dont l’une des deux têtes se situait à l’étranger), par exemple de rejoindre Lyon depuis Paris, sur la ligne Londres-Milan. Mais, depuis août 2015, toutes les entreprises de transport peuvent ouvrir des lignes et... se livrent donc à la plus féroce concurrence.

Macron était fier de sa réforme, elle allait primo créer des emplois et deuxio renforcer la mobilité. Qu’en est-il ?

Prévisions délirantes d’emploi : quasiment enterrées

Jusqu’à 22 000 postes créés, annonçait-on. On arrive, en un peu plus d’un an, à péniblement 1 500, et ce, juste avant le premier rachat d’entreprise qui condamne au chômage 170 conducteurs embauchés par Megabus. Les entreprises traditionnelles de cars interurbains se montrent prudentes sur l’exploitation de ces nouvelles lignes. Dans le meilleur des cas, elles mettent un nombre réduit de conducteurs et de véhicules à disposition et restent en position de sous-traitantes. Et ce sont en fait cinq mastodontes du transport qui se sont positionnés ! Par une politique de prix très bas, ils ont cherché à appâter les clients, en espérant rentabiliser les lignes plus tard, et c’est à un phénomène de concentration du capital que nous assistons actuellement. Il ne reste plus que trois des cinq opérateurs [1] et ne doutons pas que, une fois les lignes pérennisées, ce sont les conditions de travail des conducteurs qui seront attaquées pour rentabiliser l’activité. Pour le moment, ce n’est pas le succès commercial dont on nous rebat les oreilles : on peine à atteindre les 50 % de remplissage. Sans oublier, même si elles sont plus difficiles à mesurer, les pertes d’emplois à la SNCF au prétexte de cette nouvelle concurrence (à ne pas confondre avec la perte d’argent pour la SNCF qui se crée sa propre concurrence par cars : tout bénéfice pour elle !).

Conditions de travail : le pire à craindre !

Là aussi, c’est le miroir aux alouettes. Historiquement, les PME du transport interurbain se sont développées sur trois axes : les lignes départementales, le transport scolaire et le tourisme. La nouvelle activité ouvre à davantage de conducteurs des conditions de travail « tourisme », qui étaient jusque-là réservées à une élite... ou à ceux qui avaient fait une croix sur leur vie de famille ! Pour des conducteurs de lignes départementales qui ont du mal à gagner plus de 1 600 euros net par mois, la promesse d’un coefficient plus élevé, de primes de découché, de conduite de nuit, de week-end et d’heures supplémentaires est attrayante (financièrement !). Mais beaucoup en reviennent déjà, comme bon nombre des futurs licenciés de Megabus : trop de contrainte et de fatigue pour quelques centaines d’euros de plus !

Car c’est la RSE (Réglementation sociale européenne) qui s’applique sur ce type de ligne, comme pour le transport de marchandises par camions : 2 fois 4 h 30 de conduite continues entrecoupées d’une seule pause de 45 minutes par jour ; possibilité (3 fois par semaine) de réduction du repos journalier à 9 heures (arrivée à 21 heures, on peut théoriquement repartir dès 6 heures), du repos hebdomadaire à 20 heures (arrivée vendredi à 21 heures, on peut repartir samedi à 17 heures) ; possibilité du double équipage (donc enchaînement de deux fois 9 heures continues par deux conducteurs). Au vu des distances à parcourir, le recours aux conditions extrêmes autorisées par la RSE n’est plus l’exception mais la règle. Le professionnalisme et l’hygiène de vie des conducteurs sont mis à rude épreuve pour éviter des accidents, qui en l’occurrence n’affectent pas des palettes de marchandise !

Le « déplacement à petit prix » pour les plus pauvres ?

Macron s’en est vanté mais il faut voir comment ! Rendre les trajets TGV moins chers (sans même parler de l’avion) ne fait pas partie des préoccupations de ces gens-là. Aux pauvres, les 6 heures pour un Lyon-Paris ! Le prétendu désenclavement des territoires ne résiste pas non plus à l’analyse car, pour le moment, les lignes les plus empruntées sont les liaisons entre les plus grandes villes (Paris, Lyon, Lille). Macron se targue d’un relatif succès commercial (5 millions de voyageurs environ depuis août 2015), mais les prix d’appel extrêmement bas pratiqués aujourd’hui ont vocation à augmenter, une fois le marché stabilisé entre quelques opérateurs privés qui seront en situation de quasi-monopole sur les lignes qu’ils se seront partagées. C’est la situation en Allemagne, pionnière en Europe (dès 2013) de cette libéralisation (voir encadré).

Macron déraille

La libéralisation du transport par car, à la sauce Macron, a le goût de la jungle et de l’anarchie capitalistes en matière économique. Comme si les routes d’Europe n’étaient pas déjà assez saturées et dangereuses. Car, le plus souvent, de nouvelles lignes de bus ne servent qu’à remplacer – désavantageusement – les lignes secondaires de train fermées à la pelle. S’agit-il de donner plus de souplesse aux transports en mariant de façon le plus rationnelle et utile possible rail et route ? Que non. Il s’agit juste d’offrir un nouveau marché aux entreprises de transport routier, tout en réduisant les services publics au détriment des travailleurs et des passagers.

Une réflexion générale serait nécessaire, sur l’organisation des déplacements et la répartition entre transports individuels et transports collectifs (par le développement des transports urbains évidement, qui éviteraient les heures d’embouteillage pour aller au boulot, ou entre les divers modes de transport), mais certainement pas pour imposer aux plus pauvres une journée de bus au lieu de quelques heures de train, ni pour les exposer davantage aux accidents de la route. Un vaste problème que seule une planification à grande échelle pourrait résoudre, débarrassée de la logique du profit maximum et de la concurrence entre intérêts privés. ■

15 janvier 2017, Philippe CAVEGLIA


[1Flixbus, le géant allemand qui vient de racheter Megabus (qui cessera toute activité en février prochain) ; Ouibus (ancien ID-bus), filiale SNCF qui vient de racheter le réseau Starshipper (déjà une association de PME historiques de l’interurbain) ; et enfin Isilines, filiale de l’énorme Transdev.

Mots-clés Emmanuel Macron , Société