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Rwanda : un génocide encouragé et couvert par la France

vendredi 14 mai 2004

L’opinion publique française commence à être informée, avec dix ans de retard, sur l’implication de la France dans le génocide rwandais de 1994. Mais cette seule information est loin d’éclairer toutes les responsabilités.

Les responsabilités françaises

On sait maintenant que c’est bien le gouvernement rwandais de l’époque qui a organisé le massacre, utilisant tous les moyens de l’Etat, avec l’aide et la bénédiction du président socialiste de la République française François Mitterrand que ses amitiés liaient à la famille du dictateur rwandais, Juvénal Habyarimana. Mais si Mitterrand, et la cellule spéciale de l’Elysée qu’il dirigeait, ont effectivement pris les décisions essentielles, c’est avec l’accord des ministres et conseillers de droite du gouvernement Balladur, des Juppé, Léotard et autres Villepin. Le Rwanda n’est pas une affreuse affaire échappée à leur contrôle mais une décision mûrement pesée par les dirigeants français de l’époque. D’ailleurs ceux-ci, droite et gauche confondues, refusent toujours de reconnaître leur implication et font donner diplomatie et médias pour maintenir le rideau de fumée. Les procès des représentants politiques, diplomatiques et militaires impliqués dans un génocide, c’est bon pour les Yougoslaves, voire les Rwandais eux-mêmes, pas pour ceux de l’impérialisme français.

Ceux-ci estimaient qu’une défaite du régime du dictateur Habyarimana revenait à voir le Rwanda, porte d’entrée vers le riche Zaïre, tomber dans l’escarcelle des USA. Pour l’empêcher il fallait une implication militaire et financière massive de la France aux côtés du gouvernement rwandais dans le conflit qui l’opposait aux forces armées de l’opposition réfugiée en Ouganda, le Front patriotique rwandais, à majorité tutsie. Très vite, le gouvernement français a couvert et même encouragé la tactique du gouvernement rwandais consistant à faire payer par des massacres de la population tutsie chaque avancée militaire du FPR. Ainsi l’offensive du FPR d’octobre 1990 repoussée avec l’aide des militaires français (opération dite Noroît) a été suivie de massacres de Tutsis au nord du pays, près de Bigogwe, à proximité du camp militaire français du DAMI.

A partir de 1990, le lieutenant-colonel français Chollet, est le véritable chef militaire des forces armées rwandaises. En 1992, Paul Dijoud, directeur des affaires africaines de l’Etat français, déclare à Paul Kagamé (dirigeant du FPR à l’époque et actuel chef d’Etat du Rwanda) : « si vous vous emparez du pays, vous ne retrouverez pas vos femmes et vos familles, parce que tous auront été massacrés ». [1] Le 1er septembre 1992, une lettre officielle de remerciement [2] au nom du président Mitterrand est envoyée à l’un des massacreurs connus, Jean Bosco Barayagwiza, leader du CDR qui vient d’organiser des massacres à Kibuye. Le 28 février 1993, le ministre de la coopération Marcel Debarge appelle, officiellement et au nom de la France, « tous les Hutus à s’unir contre le FPR » [3]. L’ex-spécialiste de la cellule spéciale de l’Elysée, Gérard Prunier, reconnaît : « c’est un appel à la guerre raciale ». Une semaine plus tard, le « Hutu Power », front uni des partis et des milices génocidaires, est né. Jean-Paul Gouteux [4]écrit : « Le mouvement Hutu Power n’a rien d’exotique. Il est occidental et moderne. Ce n’est pas l’expression d’un atavisme tribal enraciné dans l’Afrique profonde. (..) Des Français, hommes politiques, journalistes, ministres, universitaires ou chercheurs ont justifié la politique française au Rwanda à l’aide de considérations ethniques. » [5]

Les mécanismes du génocide

La responsabilité des dirigeants français est bien écrasante. Reste à comprendre pourquoi leurs protégés de la classe dirigeante rwandaise ont voulu ce génocide et comment ils ont trouvé dans la population des centaines de milliers d’exécutants.

Dans les années 1988-1991, une vague de mouvements populaires déstabilise la plupart des régimes africains et en renverse même plusieurs (par exemple, la dictature militaire de Moussa Traoré en 1991 au Mali). Le Rwanda en proie aux mêmes problèmes économiques et politiques, le poids de la dette extérieure et celui de la dictature, n’y échappe pas. Le 8 et le 15 janvier 1990, plus de 100 000 manifestants parcourent les rues de la capitale Kigali. Dans les deux années qui suivent le mouvement populaire contre le régime va aller sans cesse croissant. Il culmine en 1992 avec des manifestations monstres à Kigali et dans les grandes villes. Dans la capitale, c’est presque la moitié de la population qui descend dans la rue et conspue les militaires.

Les leaders démocrates du mouvement sont alors appelés à participer au gouvernement. Dans le mouvement d’opposition à la dictature, il y a à la fois des Hutus et des Tutsis. Mais si le régime militaire a momentanément reculé, remisé le parti unique et appelé certains opposants à la direction du gouvernement, ce n’est que partie remise. Pris entre deux feux, entre FPR à l’extérieur et révolte populaire à l’intérieur, les dirigeants partent à la recherche d’une solution de type fasciste.

Pour retrouver une base populaire, ils se tournent vers les déclassés de la capitale et les pauvres des campagnes et se fondent pour cela sur le préjugé si fréquemment employé en Afrique : l’ethnisme. Des médias qui appellent ouvertement au génocide des Tutsis, comme la « radio des mille collines » affirment que Tutsi est synonyme de pro-FPR et prétendent que si les Hutus ne tuent pas les Tutsis, c’est eux qui seront tués.

Et pour lier à eux une partie de la population ils l’obligent à se mouiller à leurs côtés. Tous ceux qui auront tué ne pourront plus ensuite prendre parti pour le FPR qui les accuserait de crime. D’où de premiers massacres, dès 1990, puis en 1993, dans lesquels des Hutus sont poussés à tuer des Tutsis. D’où aussi la formation de milices de pauvres embrigadés et formés à tuer.

Les massacres

Cette « stratégie », largement encouragée par des dirigeants politiques et militaires français , est adoptée à partir du moment où, sous la pression des USA, le président Habyarimana est contraint de signer les accords d’Arusha. Dans ces accords qui prévoient le partage du pouvoir entre la dictature, l’opposition intérieure et le FPR, la classe dirigeante rwandaise comme les dirigeants français voient la fin de leur domination du pays. L’ambassade de France au Rwanda affirme « les accords d’Arusha ne sont ni bons ni inéluctables  » [6]. C’est un appui au clan le plus radical dit « Akazu » ou clan zéro qui, autour de la femme du président, prépare le génocide. Le plan en a été préparé dès 1992 (époque où des ambassadeurs et des personnels de l’ONU en ont transmis l’information tant à la Belgique qu’au Canada), lorsque le mouvement populaire est devenu menaçant. L’assassinat d’Habyarimana, quels que soient ceux qui l’ont commis (Kagamé est maintenant accusé de l’avoir fomenté, ce qui est peut-être vrai mais qui ne change rien à l’infamie des responsables du génocide), en donne le signal au soir du 6 avril.

Le premier acte des bandes de tueurs a consisté à assassiner les Hutus dits « modérés », c’est-à-dire tous ceux qui, d’une manière ou d’une autre s’étaient opposés à la dictature ou encore avaient pris une part dans la révolte contre la misère. Le massacre a alors atteint en quelques jours le génocide, visant à l’extermination de tous les Tutsis ainsi que de tous les Hutus qui refusaient d’y participer.

En plein génocide, les dirigeants rwandais, et pas des sous-fifres, sont reçus officiellement à Paris [7]. Jean Bosco Barayagwiza chef du parti extrémiste hutu, le CDR, et de la radio des mille collines, et Jérôme Bicamumpaka ministre des affaires étrangères du gouvernement génocidaire, dit intérimaire, sont accueillis le 27 avril 1994 à l’Elysée, à Matignon et au quai d’Orsay. Cela fait 21 jours que le massacre bat son plein. L’Etat français continue à les armer et à les financer. Il leur maintiendra son soutien dans les mois et les années qui suivront.

Il n’est sans doute pas surprenant, ni nouveau, de voir dans un pays pauvre et arriéré africain un pouvoir avoir recours aux méthodes qui furent celles de pouvoirs fascistes européens (on peut même craindre de le voir se reproduire à l’avenir, en Côte d’Ivoire par exemple, où le gouvernement semble parfois regarder de ce côté). Et il n’est pas plus étonnant de voir la France « démocratique » lui apporter son soutien. Jadis dictature féroce dans tout son empire colonial, aujourd’hui soutien des dictateurs, souvent tout aussi féroces, qui maintiennent en retour l’ordre impérialiste.

Robert PARIS


[1Cité par Le Figaro du 23 novembre 1997 et par Patrick de Saint Exupéry dans « L’inavouable »

[2cité par Jean-Paul Gouteux dans « La nuit rwandaise »

[3cité par Gérard Prunier dans « Rwanda, le génocide »

[4docteur en entomologie médicale, employé par la coopération en Afrique et qui a dénoncé le génocide rwandais et la responsabilité française, notamment dans « Un génocide secret d’Etat » et « La nuit rwandaise »

[5Mitterrand parle d’un « gouvernement représentant à Kigali une ethnie majoritaire à 80%. »

[6cité par Jean-Paul Gouteux dans « La nuit rwandaise »

[7Cité notamment par Mehdi Ba dans « Rwanda, un génocide français » et par Patrick de Saint Exupéry dans « L’inavouable ».

Mots-clés Monde , Rwanda
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