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Lutte contre les putschistes en Turquie

Prétexte à aggraver la répression

mercredi 5 octobre 2016

L’échec de la tentative de coup d’État perpétré le 15 juillet dernier par une partie de l’armée turque contre le président Erdogan a finalement permis à celui-ci de se présenter ensuite comme le champion de la démocratie. Du moins en Turquie ! En même temps, il effectue des purges massives, poursuit sa guerre déclenchée il y a un peu plus d’un an contre les Kurdes de Turquie, et durcit les lois contre les travailleurs.

Quant aux grandes puissances occidentales, elles semblent avoir hésité au moment même du putsch – le temps de savoir qui sortirait vainqueur – puis avoir tenu à manifester encore quelques distances, Hollande menaçant par exemple de priver la Turquie d’entrée dans l’Europe si Erdogan rétablissait la peine de mort. Mais tout cela, c’est fini, la bénédiction ‘démocratique’ officielle donnée au régime turc par les grandes puissances occidentales est arrivée le 24 août, par le biais de la visite à Ankara du vice-président américain, Joe Biden, qui s’est même excusé de ne pas être venu plus tôt, juste après le putsch, soutenir son allié Erdogan.

Mais c’est surtout en Turquie qu’Erdogan, chef du parti islamiste au pouvoir depuis 2002, tient à profiter du fiasco du coup d’État pour tenter de faire l’unité derrière lui, se posant en défenseur de la démocratie, lui qui avait été contesté par les occupations de la place Taksim en 2014 contre les grandes opérations immobilières et la corruption du régime, et qui avait subi un revers électoral au printemps 2015, au point de faire refaire les élections.

Bras de fer entre deux fractions rivales de l’appareil d’État

La version donnée par le régime d’un putsch qui aurait été défait par la mobilisation spontanée des masses populaires dans la nuit même du 15 juillet n’est qu’une image d’Épinal. Et il est bien commode pour ce même régime d’alimenter la version que le coup d’État raté aurait été l’œuvre de la seule secte des « gülenistes », les partisans d’une formation islamiste jadis alliée mais maintenant concurrente du parti d’Erdogan, et dirigée par le prêcheur Fethullah Gülen exilé aux USA. Cela permet à Erdogan de passer sous silence le fait que, malgré les purges successives qu’il a effectuées dans l’appareil d’État depuis son arrivée au pouvoir en 2002 – en premier lieu dans l’armée, pour en écarter les officiers « kémalistes » et y placer ses hommes – c’est une partie de cet appareil qui a tenté de le renverser.

Jusqu’à l’arrivée d’Erdogan au pouvoir, une bonne partie des cadres de l’armée turque faisaient partie de ces kémalistes, représentés par le parti CHP (Parti républicain du peuple), qui se dit laïc et héritier de Mustafa Kemal, le fondateur de la Turquie moderne au lendemain de la guerre de 1914-1918 (Mustafa Kemal était lui-même un militaire).

Quant à la Confrérie de Gülen, volontiers surnommée aujourd’hui « Organisation terroriste de Fethullah Gülen », elle avait, au temps de son alliance avec l’AKP, le parti d’Erdogan, profité des purges de ces années-là pour s’accaparer un bon nombre de places au sein de l’armée et parmi les cadres de l’appareil d’État. En faisant aujourd’hui de Gülen l’ennemi numéro 1 du régime, Erdogan, s’efforce de présenter les membres de son parti et lui-même comme des islamistes « modérés », des « démocrates » protégeant le peuple turc d’une dictature militaire et d’une secte extrémiste.

Purges tout azimut

On imagine aisément l’hostilité de la population turque vis-à-vis des putschistes de juillet. Surtout quand on se rappelle la répression de toute opposition politique et du mouvement ouvrier qui avait suivi le dernier coup d’État des militaires, en septembre 1980. Alors que le pays connaissait une importante vague de grèves ouvrières, l’armée turque avait profité de manœuvres militaires de l’OTAN dans le pays pour faire occuper le centre des grandes villes par ses chars et porter au pouvoir un conseil militaire, sous l’œil bienveillant des USA. L’état de siège avait été proclamé, l’assemblée dissoute ; un bon nombre d’hommes politiques avaient été arrêtés et la répression s’était abattue sur les organisations syndicales, cependant que des « piquets de surveillance » étaient installés devant un bon nombre d’entreprises. 400 militants furent abattus, des centaines d’autres torturés à mort ; 600 000 personnes furent placées en garde à vue et 85 000 emprisonnées. C’était en 1980.

Mais, dans l’affrontement du 15 juillet dernier entre deux forces rivales pour le pouvoir, l’ennemi de notre ennemi n’est en rien notre ami. Et la participation, cet été, de l’ensemble des partis, y compris des partis jusque-là d’opposition à Erdogan, aux manifestations de soutien à celui-ci au nom de la « défense de la démocratie » ne peut que se retourner contre eux et contre la population, à qui ces partis ont prêché un certain ralliement au pouvoir au nom du « moindre mal ».

Erdogan se sert de ce soutien. Mais, sous couvert de protéger un prétendu fragile régime démocratique turc, il se livre à une purge en règle de l’appareil d’État qui vise non seulement les membres de la Confrérie Gülen, mais aussi tous les opposants politiques réels ou supposés. Les purges s’étendent désormais bien au-delà des rangs de l’armée, de la police et la justice, ou des cercles patronaux proches de Gülen. Au point que, selon la presse, on s’inquièterait dans l’entourage même du président des difficultés qu’il y aura dans les prochains temps à trouver suffisamment de monde pour remplacer ces cadres purgés. D’ailleurs, le CHP, le parti kémaliste considéré comme de centre gauche, ayant fait amende honorable auprès du régime d’Erdogan au nom de l’unité nationale, ce dernier serait aller rechercher un certain nombre d’officiers et de généraux kémalistes écartés dans les purges précédentes pour remplacer les officiers gülenistes aujourd’hui arrêtés.

Mais par son ampleur, la purge actuelle n’est visiblement pas un simple règlement de comptes entre Erdogan et ses concurrents. Elle frappe bien plus largement des opposants au régime, actuels ou potentiels, dans l’enseignement, la presse, parmi les syndicalistes…

Poursuite des attaques contre les travailleurs et de la guerre au Kurdistan

Au mois de mars dernier, Erdogan avait envoyé sa police contre les ouvriers de l’usine Renault de Bursa qui protestaient contre le licenciement de plusieurs dizaines d’entre eux pour fait de grève (ils avaient lutté pour leurs salaires). En mai, une nouvelle législation du travail autorisait le recours sans limite des patrons à l’intérim. Et, en cette rentrée de septembre, le nouveau visage de « sauveur de la démocratie » qu’entend se donner Erdogan ne l’empêche pas de préparer encore de nouvelles lois anti-ouvrières contre les indemnités de licenciements ou les retraites.

La tentative de putsch du 15 juillet exprimait manifestement une certaine faiblesse du régime d’Erdogan qui, même s’il montrait ses muscles face à la population, en particulier kurde, était loin de contrôler son propre appareil d’État. Il profite de l’échec du putsch, et de l’unité politicienne qu’il a pu réaliser cet été derrière lui, pour rattraper le temps perdu et passer à la vitesse supérieure encore pour les épurations massives et les mesures d’exception, l’état d’urgence, les pouvoirs spéciaux accordés au gouvernement par-dessus la tête du parlement. Mais cette répression elle-même, étendue à de larges couches de la société, le prolongement de la guerre contre les populations kurdes de Turquie, les nouvelles mesures anti-ouvrières, pourraient bien être les germes de la future révolte.

22 septembre 2016, Herman KRUSE

Mots-clés Monde , Turquie
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