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« Débouché politique » ou préoccupations électorales ?

Quelle politique pour les révolutionnaires ?

mercredi 29 juin 2016

Au sein des organisations qui se disent à « la gauche de la gauche », et jusqu’à certaines tendances du NPA, revient souvent cette idée qu’il faudrait au mouvement actuel contre la loi El Khomri un « débouché politique ».

Pas besoin de dictionnaire politique très élaboré pour comprendre ce qu’entend par là un Mélenchon, tout occupé à promouvoir sa propre personne à l’approche de l’élection présidentielle de 2017. L’ancien candidat à la présidentielle de 2012 d’un Front de gauche qui a volé en éclats se veut incontournable et avait organisé son premier meeting de campagne, à Paris place Stalingrad, le 5 juin dernier, alors que le PC était encore en congrès. Aux dires des organisateurs, le meeting a rassemblé 10 000 personnes. Pas forcément de quoi impressionner les dirigeants du PC : le public n’était finalement pas plus nombreux que celui ayant assisté au meeting de Nathalie Arthaud le dimanche 15 mai à la fête de Lutte ouvrière  ! Chose qui devrait aussi faire réfléchir tous ceux que ne satisfait pas une candidature des révolutionnaires sur leur propre programme et qui cherchent désespérément un candidat ou une candidate en dehors de leurs rangs – il paraît que ça fait moins partisan...

À côté de Mélenchon ou dans sa mouvance, il y a ceux qui ont parrainé les Nuit debout – François Ruffin, Frédéric Lordon – qui, eux aussi, proposent de semblables « débouchés politiques » : sortie de l’Europe, nouvelle constitution, capitalisme à visage humain en guise de « mesure de transition » (voir le numéro 105 de Convergences révolutionnaires).

En réalité, tous rêvent d’Indignados à la française. Pas forcément du puissant mouvement populaire qui avait secoué toute l’Espagne – et s’était traduit par une importante vague de grèves – mais de son avatar politicien Podemos qui a assuré le succès électoral de son principal dirigeant, Pablo Iglesias. Ils ne voient dans le mouvement contre la loi Travail qu’un tremplin qui, à proximité des élections de 2017, serait susceptible de les lancer à gauche, face à un Parti socialiste qui, selon toute vraisemblance, connaîtra un effondrement électoral.

Un mouvement dès le départ politique... sans rien à voir avec les batailles électorales

Il ne s’agit donc certainement pas de reprendre à notre compte le refrain du « débouché politique », encore moins de parler de « rupture avec les institutions de la Ve République », ou avec celles de l’Union européenne « qui interdisent toute politique en rupture avec l’austérité », comme le font toutes ces composantes de la gauche de la gauche. Formules que l’on retrouve y compris dans un récent texte national de la direction du NPA, présenté par l’un de ses courants. Aussi antidémocratiques que soient les institutions de la Ve République ou celles de l’UE, taillées sur mesure pour les bourgeoisies européennes, ce n’est pas le problème. Toutes les bourgeoisies, qu’elles soient ou non européennes, imposent l’austérité aux classes populaires : c’est la politique de la bourgeoisie qu’il convient donc de dénoncer, qu’elle s’impose par le truchement d’institutions nationales, européennes ou de traités internationaux quelconques.

S’opposer à la politique voulue par la bourgeoisie constitue bien une perspective politique et c’est justement cela qui est à l’origine du mouvement contre la loi Travail ! « Et dire que ce sont des socialistes qui nous font ça ! » s’étranglaient de nombreux travailleurs révoltés. C’est cette indignation qui a assuré le succès de la pétition en ligne contre la loi Travail, la mobilisation de la jeunesse, l’appel à la manifestation du 9 mars, toutes choses qui ont fait paniquer le gouvernement – qui, du coup, avait repoussé en toute hâte la présentation de son projet du 9 mars au 23 mars –, et provoqué le réveil des organisations syndicales qui s’apprêtaient à attendre le 31. Rejet d’une loi ouvertement patronale, sentiment de colère qu’elle soit avancée par un gouvernement se disant socialiste : ce n’est peut-être pas la conscience de la nécessité de la révolution mais, après des années de bla-bla sur le monde de « l’entreprise » qui serait le creuset de l’intérêt général, c’est en tout cas l’affirmation de la lutte de classe et de la nécessité de s’en prendre au patronat et aux lois qui le favorisent. Ce qui est, il faut bien le dire, infiniment plus « politique » que s’interroger pour savoir quel politicien, de Hollande, Valls ou Macron à Mélenchon, sera capable de faire prendre des vessies pour des lanternes aux travailleurs à l’occasion des prochaines élections !

Pour les révolutionnaires : d’abord proposer une politique aux travailleurs correspondant aux besoins du mouvement

Dans la situation actuelle, obliger le gouvernement à retirer sa loi constituerait une victoire politique parce qu’elle contribuerait à modifier le rapport de forces entre la classe ouvrière et la bourgeoisie. Les luttes importantes de la classe ouvrière font tomber les masques – comme on a pu le voir avec le soutien appuyé du Front national à une aggravation de la loi Travail, montrant ainsi dans quel camp social il se trouve. Une victoire du mouvement contre la loi Travail pourrait être le point de départ de luttes remettant en cause les reculs imposés ces dernières années par la bourgeoisie. C’est bien pourquoi, maintenant qu’il l’a proposée, le gouvernement s’arcboute sur sa loi et est prêt à la faire passer en force, non seulement à coup de 49-3, mais par la force tout court en donnant ses flics et ses juges.

Le rôle des organisations révolutionnaires dans un tel mouvement n’est donc pas d’entonner le refrain sur la nécessité d’on ne sait quel « débouché politique » qui, dans la situation actuelle, ne peut être vu que comme un débouché électoral. Pas plus, d’ailleurs, que de mettre en avant des mots d’ordre pseudo-radicaux comme « l’idée qu’il faut dégager ce gouvernement ». Dans le contexte actuel, le remplacer par quoi, par qui ? À l’issue de nouvelles élections ?

Peut-être est-on en train d’assister à la fin du mouvement contre la loi Travail – encore que celle-ci a déjà été annoncée de si nombreuses fois depuis trois mois qu’il résiste et dure qu’il va peut-être nous réserver encore de bonnes surprises ! Mais si, à ce jour, il n’a pas abouti, ce n’est pas par manque de contenu politique – celui-ci, le retrait d’une loi gouvernementale, était précisément présent dès le début – mais parce que ses participants n’en sont pas encore arrivés à la conviction qu’il leur faudra s’organiser eux-mêmes, pas forcément contre les appareils syndicaux mais, en tout cas, indépendamment d’eux.

Des minorités actives et déterminées se sont rencontrées, que ce soit dans les manifestations, autour des Nuit debout de certaines villes, dans des comités de mobilisation voire dans des comités de grève. Ce ne sont peut-être que des minorités mais elles sont composées de gens qui, sans être hostiles aux syndicats, n’ont pas attendu leurs consignes pour se mobiliser et même s’organiser. Des gens qui ont perdu tout ou partie de leurs illusions dans la gauche et dans les élections et à qui il ne faudrait pas essayer d’en donner de nouvelles.

Dans ce mouvement, il s’agissait pour les révolutionnaires de défendre la nécessité de la convergence des luttes de la classe ouvrière, d’une grève qui s’étende jusqu’à devenir générale. Ainsi que la nécessité pour les travailleurs de créer des organes démocratiques de lutte, instruments indispensables pour y parvenir.

À défaut d’être un « débouché politique », c’est... une politique !

Une « nouvelle gauche » pour 2017 n’est pas notre point de mire

Il est clair que nous avons aussi d’autres choses à proposer aux travailleurs. Mais qui ne constituent pas forcément une politique pour ce mouvement. Et c’est bien parce qu’il nous faut faire le lien entre la politique que nous y défendons et le reste de nos idées que nous tenons à ce que le NPA présente Philippe Poutou aux prochaines présidentielles. Il ne s’agit pas tant d’un débouché politique que de la nécessité de faire entendre largement la voix des travailleurs révolutionnaires, de profiter de la campagne électorale pour proposer une politique à la classe ouvrière, une politique pour ses luttes. Une politique qui ne prétende pas qu’il suffira d’un changement de la Constitution pour dompter les capitalistes, une politique qui, sous prétexte de dénoncer les institutions européennes, ne fasse pas la part belle au nationalisme de Mélenchon ou du Parti communiste. Une politique internationaliste qui montre que l’Europe, ce sont les luttes contre les attaques aux droits des travailleurs qui se succèdent et se ressemblent d’un pays à l’autre, montrant la nécessité d’unifier les luttes de la classe ouvrière d’Europe face à des patrons eux-mêmes unis.

Cela n’a rien à voir avec une politique électorale, même si les élections présidentielles peuvent être une tribune pour défendre une politique de classe. Rien à voir non plus avec ces recherches d’alliance des révolutionnaires avec des composantes considérées comme plus ou moins radicales de la gauche réformiste. La force de nos idées, c’est quand les travailleurs s’en emparent. Des luttes comme celle que nous connaissons sont des occasions pour ce débouché politique-là.

19 juin 2016, Jean-Jacques FRANQUIER

Mots-clés Front de gauche , Jean-Luc Mélenchon , Loi Travail , NPA , Nuit debout , Politique
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