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Catalogne : Quand les anticapitalistes soutiennent la droite au nom de l’indépendance

jeudi 11 février 2016

Le suspense aura duré jusqu’au dernier moment. Un jour de plus, et il aurait fallu convoquer de nouvelles élections en Catalogne. Le 10 janvier dernier, le parlement catalan élisait finalement un nouveau président à la tête de la Généralité, Carles Puigdemont [1] (CDC), au terme d’un accord entre la CUP (Candidature d’unité populaire, extrême gauche indépendantiste) et Junts pel Sí (Ensemble pour le Oui – à l’indépendance). Cette liste indépendantiste, Junts pel Sí, regroupait le parti libéral Convergence démocratique de Catalogne (CDC) d’Artur Mas (le précédent Président de la Généralité de Catalogne depuis 2010), nouvellement converti à l’indépendantisme, et la Gauche républicaine de Catalogne (ERC), ainsi que des associations de la société civile et de nombreuses personnalités. Retour sur trois mois de crise politique et sur l’ultime revirement de la CUP.

Dans le précédent numéro de Convergences [2] nous présentions les résultats des dernières élections au Parlement catalan, en septembre 2015. Des élections polarisées autour de la question de l’indépendance de la Catalogne. Si les indépendantistes avaient remporté les élections, Junts pel Sí, la liste arrivée en tête, n’avait pas obtenu la majorité absolue qu’elle escomptait. Pour former un gouvernement qui aille dans le sens du « processus pour l’indépendance » promis, Junts pel Sí devrait donc compter sur les dix députés anticapitalistes et indépendantistes de la CUP.

Les déclarations de la CUP de septembre 2015…

La CUP, justement, avait fait campagne sur deux axes soit disant « irréductibles » : l’indépendantisme radical d’une part, et un programme d’urgence sociale d’autre part, qui incluait notamment l’interdiction des expulsions locatives, l’interdiction des licenciements, la fin des coupes budgétaires dans les services publics et des privatisations, le non-paiement de la dette... Au lendemain des élections, les porte-paroles de la CUP déclaraient que jamais ils ne soutiendraient une nouvelle investiture d’Artur Mas à la présidence de la Catalogne, dénonçant son implication dans les coupes budgétaires, les privatisations, la corruption et la répression. Il faut croire que ces principes s’arrêtaient à la personne d’Artur Mas, car devant la pression de nouvelles élections qui ne seraient pas forcément plus favorables aux indépendantistes, la CUP n’a eu aucun scrupule à donner ses voix à Puigdemont... un des barons de la CDC et homme de confiance d’Artur Mas. Comment les « anticapitalistes » de la CUP en sont-ils arrivés à soutenir si rapidement le candidat de la vieille oligarchie catalane qui cherche à se rénover en surfant sur l’indépendantisme en vogue ?

…consultation des militants, puis décision des dirigeants…

Fin décembre, la consultation des quelque 3 000 militants de la CUP avait d’abord exprimé le rejet du soutien à la formation de Mas. Après trois tours de scrutin interne, et à force de pression de la part des dirigeants, les militants finissaient par exprimer une égalité inédite : 1 515 voix pour soutenir le candidat de Junts pel Sí, 1 515 voix contre. C’est la direction politique de la CUP qui a eu le dernier mot. Le 9 janvier dernier, elle publiait un accord abject qui l’attache pieds et poings liés au parti de la droite catalane. Une véritable liquidation. Après une autoflagellation pour avoir risqué de mettre en péril le processus par ses tergiversations, la CUP s’engage dans ce document non seulement à voter pour le candidat de Junts pel Sí, mais carrément à offrir deux de ses dix députés à ce groupe parlementaire, en les soumettant totalement à sa discipline. Pour le reste, elle s’engage à ne jamais voter contre « la stabilité du processus d’indépendance ». Quand il s’agira de voter le budget ou d’autres mesures antisociales et que Junts pel Sí ne manquera pas de rappeler que c’est indispensable pour aller dans le sens du « processus », que feront les députés de la CUP ?

… et feu la question sociale !

La CUP a eu beau répéter ces dernières années qu’elle ne pouvait dissocier question nationale et question sociale, il a suffi de peu pour qu’elle raye d’un trait ses préoccupations sociales en se soumettant à la politique de la bourgeoisie catalane déguisée en championne de l’indépendantisme. Tout au plus, la CUP sera la caution de gauche de la politique du nouveau gouvernement catalan. Mais qu’elle soit estampillée « 100 % catalane » ou non, Puigdemont mènera la même politique anti-ouvrière que Mas avant lui, la même politique que Rajoy à Madrid ou que les socialistes et leurs alliés.

28 janvier 2016, Sabine BELTRAND


[1Maire de Gérone depuis 2007 et député au parlement catalan pour la CDC (Convergence démocratique de Catalogne), le parti d’Artur Mas, depuis 2006, Carles Puigdemont fait partie de ceux qui ont impulsé le tournant de la CDC vers l’indépendantisme.

[2Voir l’article « Catalogne : sur la voie de l’indépendance, vraiment ? », Convergences révolutionnaires n°102, novembre-décembre 2015.

Mots-clés Catalogne , Monde