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Des syndicats prêts à entériner la réforme

samedi 8 novembre 2003

Tous les syndicats étaient là, lundi 13 octobre, pour la mise en place par Raffarin du Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie auquel le gouvernement confie la mission de donner, d’ici Noël, un « diagnostic partagé » sur le mal qui rongerait l’assurance-maladie. Dans ce Haut conseil chacune des cinq confédération syndicale de salariés agréées, CGT, CFDT, FO, CFTC et CFE-CGC, dispose de deux représentants [1]. La CFDT y est même doublement représentée, puisqu’elle l’est aussi par Jean-Marie Spaeth, au titre de président de la Caisse d’assurance maladie, présidence que la CFDT a soufflé à FO depuis 1996, avec l’appui du Medef.

C’est pourtant la présence du Medef qui a été la plus remarquée. L’organisation patronale avait claqué, en 2001, la porte de tous les organismes de gestion de la Sécurité sociale. Interrogé sur cet apparent changement d’attitude, Seillière s’est empressé de répondre que « le Medef ne se désintéresse pas de l’assurance maladie », tout en rajoutant que « le paritarisme de gestion de l’assurance maladie » avait fait son temps, tout au moins dans la forme qu’il avait jusque là. Le départ du Medef des Conseils d’administration des caisses était un chantage, auquel Raffarin a obéi le petit doigt sur la couture du pantalon, et destiné à précipiter une réforme de l’assurance maladie conforme à ses souhaits. Qu’il prenne sa place dans tous les organismes de préparation de celle-ci est pour le moins logique, même si le Medef n’a pas besoin d’être physiquement là pour que le gouvernement fasse sa politique.

Ventre à terre…

Ce qui devrait paraître incongru, en revanche, c’est la précipitation des syndicats ouvriers à participer à tous les organismes de préparation de la réforme. Ne connaît-on pas d’entrée le but du gouvernement qui les y invite : réduire les dépenses de santé et les remboursements, ouvrir aux compagnies d’assurances privées le marché de l’assurance complémentaire ? Ne conviendrait-il pas plutôt de se précipiter pour organiser le combat contre cette future réforme… que Raffarin a déjà commencé à appliquer par petites touches avant même d’ouvrir les parlottes ?

La politique de Raffarin est de tenter d’associer les principaux syndicats à l’élaboration de l’ensemble de la réforme, pour négocier leur complicité. Il avait d’ailleurs cherché à le faire pour la réforme des retraites, même s’il n’avait eu en définitive que l’approbation de la CFDT.

Il a, dans ce jeu, un atout de poids : l’importance que représente pour les appareils syndicaux, tant sur le plan financier qu’en postes de permanents, la participation aux organismes de gestion des caisses de Sécurité sociale.

Les propositions syndicales

Alors, pour la préparation de la réforme de la Sécurité sociale annoncée, les trois principales confédérations syndicales ne se contentent pas de venir aux tables de négociations y faire entendre leurs voix. Ce qui pourrait encore se justifier. Elles y amènent leurs propres recettes et surtout leurs sébiles.

Principale gestionnaire de la caisse d’assurance maladie, la CFDT, tout en se disant opposée à une réduction des remboursements, propose carrément non pas de prendre dans la poche des patrons, mais dans celles des salariés et retraités par une augmentation de la CSG.

Marc Bondel, tout en rappelant qu’il avait clamé en 1995 que « la Sécurité sociale vaut bien une grève », affirme qu’en prenant sa place au Haut conseil, FO entend participer « activement au travail de reconstruction qui, nous ne le cachons nullement, sera difficile ». Dans sa contribution au débat, que tout syndicat a envoyée cet été au ministre de la santé à la demande de celui-ci, FO insiste notamment sur un renouveau nécessaire du paritarisme entre syndicats de salariés et représentants du patronat dans la gestion des caisses, pour tout « ce qui relève du financement du système de soins et qui repose encore majoritairement sur le produit des cotisations sociales », même si c’est l’Etat qui conduit la politique de santé, c’est-à-dire décide de l’essentiel. Et FO a sa petite idée pour associer, sans enlever aux syndicats agréés une part de gestion, d’autres intervenants, notamment « des représentants des régimes complémentaires (mutualité, prévoyance, assurance) » (les compagnies d’assurances elle-même donc !) : la création de Conseils consultatifs auprès des Conseils d’administration. Qui peut encore penser que ces propositions pourraient « bien valoir une grève » ?

La CGT est sur la même longueur dans un quatre-pages spécial sur la défense de la Sécu et intitulé « L’urgence d’une réforme de progrès ». Certes elle dénonce toute réduction des remboursements, le transfert d’une partie de ceux-ci aux organismes complémentaires et la voie ouverte aux assurances privées. Mais, si elle critique les dégrèvements de charges patronales, dont le montant dépasse largement le « trou » de la Sécu, c’est à cause des ses effets « pervers ». « Ce système pénalise l’emploi, les qualifications et leur reconnaissance dans les salaires ». La proposition CGT est, afin de favoriser l’emploi et par là l’augmentation du nombre de cotisants, de taxer pour la Sécu les revenus financiers. Pourquoi pas ? Mais c’est aussi d’« inverser cette logique pour promouvoir le travail, l’emploi et les qualifications, c’est-à-dire pour inciter les entreprises à créer des emplois qualifiés et à augmenter les salaires ». Et c’est là qu’on retomberait dans la réduction des charges des entreprises qui prétendent augmenter leurs effectifs… la principale cause du problème actuel justement !

Quelle démocratie ?

En fait la CGT revendique surtout la « démocratisation » de la Sécurité sociale : une « démocratie plus participative des assurés sociaux » qui « doivent pouvoir s’exprimer sur les grands choix » et une démocratisation de la gestion des caisses de Sécurité sociale par « une représentation majoritaire des salariés », c’est-à-dire des syndicats, dans les Conseils d’administration des caisses. Par l’élection de ces représentants par les salariés la CGT, aujourd’hui la dernière roue du carrosse, retrouverait en effet dans les C.A. une place proportionnelle à son influence dans les élections professionnelles. D’autant plus si ces Conseils d’administration détenaient plus de pouvoir qu’aujourd’hui, notamment celui de nommer les directeurs de caisses, nominations qui dépendent actuellement du ministère. Et parallèlement à FO qui a ses Conseils consultatifs à mettre sur le tapis, la CGT, elle, préconise un « Conseil National de la Sécurité sociale […] associant à l’ensemble des partenaires sociaux traditionnels, le mouvement associatif, les différents acteurs de la protection sociale ». Tiens, donc les assurances privées ne seraient pas totalement écartées ?

Ces attitudes ne sont guère nouvelles. Ce sont les mêmes qu’ont eu les confédérations syndicales lorsque se sont ouvertes, l’an dernier, les négociations gouvernement-patronat-syndicats sur la réforme des retraites. Malheureusement pour tous ceux-là, il y a eu un os : d’abord à EDF-GDF où les salariés ont rejeté l’accord que la CFDT et la CGT leur demandaient d’approuver ; ensuite avec le mouvement de grèves de mai-juin, en bonne part contre la volonté des centrales syndicales.

Comme quoi les salariés ne se sentent pas toujours liés par les renoncements des chefs syndicaux. La « démocratisation », ils la comprennent autrement : dans les luttes. Heureusement !

Olivier BELIN


[1Le Haut-conseil pour l’avenir de l’assurance maladie compte neuf représentants des organisations syndicales, six représentants du patronat (dont un ancien dirigeant du syndicat des trusts pharmaceutiques), cinq de l’État, six députés et sénateurs, cinq représentants des professionnels libéraux, cinq des établissements de santé (dont un pour les cliniques privées), trois des caisses d’assurance maladie, trois des usagers, un de la Mutualité, un des sociétés d’assurances, un des institutions de prévoyances et huit « personnes qualifiées ».

Mots-clés Politique , Sécurité sociale , Syndicats