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Mondialisation et capitalisme

vendredi 26 septembre 2003

Pour le mouvement altermondialisation, il ne semble pas y avoir l’ombre d’un doute : la « mondialisation néo-libérale » serait la marque distinctive de notre époque. C’est sur ce constat que se fondent ses critiques. Mais c’est sans doute aller un peu vite en besogne.

La « mondialisation » est d’abord un terme que les « libéraux », les chantres actuels du grand capital, ont popularisé en la présentant comme une extension des lois du marché à l’échelle mondiale. Les libéraux - mais sont-ils les seuls ? - parlent en effet volontiers d’« économie de marché » pour faire oublier que le capitalisme est d’abord structuré par des classes sociales. Quant au terme « néo-libéral », il est le plus souvent utilisé par les critiques réformistes de ladite économie de marché, manifestement obsédés par l’idée qu’on aurait affaire à une nouvelle période, caractérisée par le recul des Etats face à la dictature de ces mêmes « marchés ». Cette affirmation accrédite surtout l’idée qu’un retour à l’intervention des Etats - soucieux de l’intérêt général - pourrait ramener davantage de rationalité et d’équité. En réalité, le vocabulaire des uns et des autres n’est pas neutre et contribue à distiller de fausses idées sur la nature même des évolutions en cours.

La mondialisation au cœur du capitalisme

La mondialisation n’est pas un phénomène nouveau : c’est un processus inscrit dans la longue durée, que l’on peut sans doute faire commencer à l’époque des grandes découvertes au XVIe siècle, avec l’essor d’un capitalisme commercial incluant le pillage de continents entiers et la traite des esclaves venus d’Afrique. Mais c’est au XIXe siècle que l’étape décisive a eu lieu, avec la révolution industrielle. En révolutionnant les moyens de production, la bourgeoisie a transformé la mondialisation en un processus nécessaire au développement du capitalisme.

Les capitalistes sont certes motivés par le désir de s’enrichir, mais soumis à la concurrence, leur lutte pour le profit est avant tout une lutte pour accumuler sans cesse davantage de capital, et pour élargir sans cesse leurs débouchés. De là découle une contradiction plus fondamentale : en cherchant à faire du profit sur la base d’une accumulation toujours plus gigantesque de capitaux, la classe capitaliste est confrontée à ce que Marx appelait la « baisse tendancielle du taux de profit » : une tendance à la baisse de la rentabilité de ses investissements, facteur de crises et de dépression.

C’est ce qui permet de comprendre l’impérialisme comme étant une étape essentielle dans l’histoire du capitalisme : à l’issue d’une longue dépression à la fin du XIXe siècle, le capitalisme dans les principaux pays d’Europe et aux Etats-Unis s’est en effet profondément restructuré, en favorisant la concentration du capital et la constitution de monopoles, l’intervention permanente des Etats, la croissance des investissements à l’étranger et la quête de nouveaux débouchés, de nouveaux approvisionnements et de main d’œuvre bon marché afin de poursuivre cette accumulation à moindre frais et rétablir autant que faire se peut le taux de profit.

Incontestablement, le capitalisme d’aujourd’hui est comme à cette époque bien plus celui de l’impérialisme et des monopoles, que celui du libéralisme, fût-il « néo ». Ce qui ne veut pas dire non plus que rien n’aurait changé depuis un siècle.

Une forme exacerbée de mise en valeur du Capital

Du côté d’Attac, si la dénonciation de certains effets dévastateurs de l’évolution du capitalisme est juste sur bien des points, elle est rarement reliée à la compréhension du fonctionnement du capitalisme dans son ensemble.

Les partisans de l’altermondialisation dénoncent ainsi à juste titre le poids des grandes institutions financières avec leurs critères de rentabilité proprement usuraires ; l’ouverture croissante des frontières aux marchandises et aux capitaux (qu’il faut cependant relativiser si on compare à la fin du XIXe siècle) ; le rôle des Etats impérialistes et des institutions internationales pour forcer le passage en cas d’obstacle tout en protégeant leurs propres intérêts par un protectionnisme qui va à l’encontre du discours officiel sur la libéralisation des échanges (qui ne fonctionne par conséquent qu’à sens unique ! ) ; le rôle qu’a joué la crise de la dette pour accroître l’emprise de la bourgeoisie impérialiste sur des secteurs de l’économie mondiale qui tentaient de se développer - sans y parvenir - à l’ombre des Etats issus de la décolonisation ; le démantèlement systématique et concerté de toutes les protections sociales partout dans le monde au nom de la concurrence. Mais ces exemples montrent surtout la convergence et la logique réelle de ces politiques : une tentative pour rétablir le taux de profit après la crise des années 1970.

Aussi faudrait-il préciser également et même insister sur le fait qu’une telle tentative ne favorise pas que les Etats-Unis (et certainement pas la classe ouvrière de ce pays soumise à une véritable régression sociale !), en laissant entendre qu’il y aurait un modèle européen plus convenable. Bien plus, cette tentative menée conjointement par les bourgeoisies des autres pays impérialistes n’empêche pas non plus la bourgeoisie des pays dominés de s’enrichir avec quelques miettes, comme c’était déjà le cas dans le passé : ce qui interdit par conséquent de raisonner uniquement en terme de « Nord » et de « Sud » en oubliant qu’il y a des classes sociales dans ces pays [1]. Ce n’est pas non plus une tentative qui favoriserait uniquement les financiers adeptes de la spéculation, auxquels il faudrait opposer une bourgeoisie industrielle censée être plus vertueuse et qui chercherait désespérément à investir, car cette opposition est en réalité très artificielle.

Quant aux Etats, mieux vaudrait souligner qu’ils sont totalement dévoués à ces intérêts des classes possédantes, et certainement pas à leur corps défendant. Il faudrait également insister sur la place considérable qui est la leur dans l’économie, agissant comme toujours en socialisant les pertes sans pouvoir pour autant prévenir les crises, sans oublier leur rôle proprement militaire afin de se partager et repartager des zones d’influence comme au Moyen Orient ou en Afrique.

Au bout du compte, si les critiques formulées par le mouvement altermondialiste sont les bienvenues, il faut aussi dire que le capitalisme à notre époque n’a finalement que peu de choses à voir avec l’illusion doucereuse d’une « mondialisation libérale » qu’il serait facile de dompter, grâce à des Etats censés être au service des citoyens et de l’intérêt général, comme le prétend ou le laisse entendre - c’est selon - l’abondante littérature d’Attac. Il y a manifestement une contradiction au sein de ce mouvement, pour des raisons politiques et idéologiques, à ne surtout pas aller jusqu’au bout d’une analyse qui devrait amener à remettre en cause l’existence même du capitalisme par les méthodes de la lutte de classe.

L’impérialisme au XXIe siècle

Il est incontestable que la deuxième moitié du XXe siècle a vu s’atténuer les rivalités entre impérialismes, cause des deux guerres mondiales, mais il est aussi incontestable qu’elles n’ont pas disparu : les pays d’Afrique en savent quelque chose aujourd’hui - transformés en véritables champs de bataille - même si la propagande officielle gomme volontairement cette responsabilité en ne s’intéressant qu’aux seules rivalités inter-ethniques ! Car s’il n’y a plus pour l’instant la même opposition frontale pouvant déboucher sur un conflit généralisé entre impérialismes rivaux, si les zones d’influence sont désormais moins rigides depuis la décolonisation, on assiste quand même à une sorte de guérilla permanente entre les bourgeoisies impérialistes, qu’elles mènent cyniquement par alliés interposés, et qui s’est manifestement avivée avec la fin de la guerre froide.

Le fait sans doute déterminant à l’échelle de l’économie mondiale est qu’il existe pour l’instant des perspectives de croissance et de profits suffisantes pour qu’aucune fraction de la bourgeoisie impérialiste puisse s’estimer profondément lésée dans le partage du marché mondial entre grandes « multinationales » (qui portent mal leur nom dans la mesure où le capital de ces grands groupes sauf exception appartient à des capitalistes nationaux attachés au service que peut encore leur procurer un Etat particulier). Mais toute régression brutale pourrait faire resurgir les vieux démons d’une confrontation plus directe entre bourgeoisies rivales. Or l’instabilité du système est évidente, à commencer par son système financier.

Quant à la capacité du capitalisme à développer sur le long terme les forces productives, c’est-à-dire les moyens d’élargir durablement les capacités de production, il semble que les tendances à l’œuvre restent très contradictoires.

Manifestement, l’impérialisme, ce « stade suprême » du capitalisme, comme disait Lénine, n’exclut pas des phases de croissance, non seulement de la production mais des forces productives : le capitalisme n’est pas à bout de souffle, même si ses tendances parasitaires prennent de plus en plus le dessus. Par contre, il continue à n’engendrer qu’un développement toujours plus inégal, en marginalisant complètement des pans entiers de l’humanité. Il offre encore des opportunités aux capitalistes de rétablir dans une certaine mesure leurs taux de profit, y compris en trouvant de nouveaux débouchés, favorisant ici l’émergence d’une « classe moyenne » de 100 ou 200 millions de consommateurs en Inde ou en Chine par exemple, tout en profitant d’une main d’œuvre bon marché. Mais dans les mêmes pays, des centaines de millions de pauvres restent dénués de tout, sans aucune possibilité de s’en sortir, et c’est un frein à plus long terme pour développer réellement les forces productives.

Mais il faut également insister sur d’autres tendances : la croissance de la classe ouvrière à l’échelle du monde, c’est à dire la mondialisation de l’exploitation et potentiellement de ses luttes ; les nouveaux rythmes et modalités de l’accumulation du capital, du moins par rapport aux décennies d’après guerre, qui remettent en cause un certain « compromis salarial » dans les métropoles impérialistes. C’est au bout du compte le « risque » de révolution qui reste à l’horizon du capitalisme, tandis que les guerres inter-impérialistes, y compris mondiales, comme solution de dernier recours ne sont jamais écartées tant les risques d’effondrement économique restent présents.

A l’époque de la mondialisation impérialiste, l’alternative entre révolution socialiste et barbarie capitaliste reste bien le terme en fonction duquel il faudrait construire son engagement politique.

Raoul GLABER


[1Ainsi l’Argentine est en cessation de paiement, mais les sommes judicieusement placées par la bourgeoisie argentine dans les banques européennes et américaines sont équivalentes à la dette extérieure de ce pays et lui permettent d’échapper aux conséquences de la crise comme aux conséquences de la subordination croissante de l’économie « nationale » aux intérêts impérialistes

Mots-clés Capitalisme , Monde , Mondialisation