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Le temps des assassins

mardi 25 février 2003

Toujours aussi pince-sans-rire, ce Chirac : lors du 22e sommet franco-africain des 20 et 21 février, il a fait la leçon aux dizaines de chefs d’Etats et de gouvernements africains réunis autour de lui : « Il est fini, le temps de l’impunité. »

C’était donner le la de ce sommet, un véritable festival de l’humour noir. Les invités se sont studieusement penché sur les problèmes de la paix, de la sécurité des populations, de la « bonne gouvernance », de la corruption, de la démocratie… On a vu briller des experts particulièrement qualifiés en ces matières : le Congolais Denis Sassou N’Guesso, revenu au pouvoir en 1997 par un coup d’Etat qui a fait des dizaines de milliers de morts, le Tchadien Idriss Déby et le Centrafricain Ange-Félix Patassé, qui ont transformé les caisses de l’Etat en patrimoine de leur clan, ou encore le général Eyadéma, dictateur du Togo depuis 35 ans !

Pour remercier leur hôte, tous ces braves gens se sont fendus d’un beau communiqué commun, qui soutient la position du grand chef Chirac à l’ONU : « Il y a une alternative à la guerre. » Bien sûr, il s’agit de l’Irak, car pour l’Afrique, c’est une autre affaire : la moitié du continent africain est ravagée par des guerres civiles ou entre Etats, et la majorité des invités de Chirac sont de véritables seigneurs de guerre, avec bien du sang sur les mains.

Les bons et les mauvais dictateurs

Alors pourquoi Chirac, si à l’aise parmi tous ces dictateurs patentés, amis de la France, a-t-il agité devant certains le spectre de poursuites devant des tribunaux internationaux ? Qu’a donc fait de si terrible le dictateur du Zimbabwé Robert Mugabe, par exemple, qui a eu droit à un accueil ostensiblement froid du président français et qui s’est vu reprocher par lui « la situation actuelle dans son pays » ?

Ses exactions ne datent pas de hier. Mais il fut longtemps soutenu par les grandes puissances occidentales, à commencer par l’ancienne puissance coloniale anglaise, parce qu’il leur a donné bien des gages en arrivant au pouvoir en 1980. Il respecta les intérêts des sociétés occidentales, notamment les grandes propriétés agricoles possédées par la petite minorité blanche, et quand la crise économique frappa durement le Zimbabwé, il la fit payer intégralement aux classes populaires, en plein accord avec le FMI, en amputant les budgets de la santé et de l’éducation, en laissant flamber les prix des biens de première nécessité, et en licenciant le quart des fonctionnaires.

Cette politique réactionnaire provoqua une puissante vague de grèves des ouvriers et des fonctionnaires, en 1996 et 1997. Mugabe tenta alors de contenir la contestation… en la détournant contre les fermiers blancs. Il annonça son intention de liquider les séquelles du colonialisme en les expropriant et en distribuant leurs terres aux paysans pauvres et aux chômeurs, tout en lançant ses nervis contre l’opposition pour développer un climat de terreur.

Loin de redistribuer réellement les terres aux pauvres, et surtout de leur donner les moyens, financiers et techniques, de les exploiter, Mugabe a donné les propriétés les plus prospères à ses proches. Mais sa démagogie, qui se donne des airs d’anticolonialisme, est une provocation de trop pour les puissances impérialistes, et d’abord la Grande-Bretagne. Tony Blair a donc orchestré depuis trois ans une campagne de sanctions contre Mugabe, qui n’est plus en odeur de sainteté depuis qu’il ne se contente plus de martyriser son peuple, mais qu’il fait mine de s’attaquer à des intérêts occidentaux. Chirac reprend bien sûr à son compte ces reproches… tout en profitant sans doute du froid entre Londres et Mugabe pour placer ses pions, en l’invitant à Paris contre l’avis de Blair !

Autre mauvais élève : Laurent Gbabgo, qui a refusé de faire le déplacement à Paris. Chirac l’a attaqué directement, dans une réunion à huis clos : « Les escadrons de la mort (à Abidjan) sont une réalité (…) et tout cela pourrait se terminer devant les tribunaux internationaux. » Pourtant l’Etat français a soutenu Gbabgo dès son arrivée au pouvoir, alors même qu’il usait de la démagogie ethniste la plus infâme : la gendarmerie et les nervis de son parti, le FPI, ont massacré des centaines d’habitants des bidonvilles d’Abidjan, coupables seulement d’être pauvres et issus d’ethnies du nord du pays, ou d’être Burkinabés ou Maliens. En septembre dernier, c’est l’armée française qui a sauvé Gbabgo, en empêchant les rebelles de prendre la capitale Yamoussoukro et de foncer vers Abidjan, alors que les « escadrons de la mort » au service du dictateur multipliaient à nouveau les assassinats d’opposants et les descentes meurtrières dans les bidonvilles.

Mais pour empêcher l’éclatement de la Côte d’Ivoire et protéger les intérêts des trusts français, Chirac souhaite aujourd’hui imposer sa propre solution politique, négociée à Marcoussis, et contraindre Gbabgo à céder une grande partie de son pouvoir. Celui-ci se rebiffe, dénonce le colonialisme français, fait descendre des dizaines de milliers de ses partisans dans la rue, pour faire pression sur la France. Voilà pourquoi Chirac aujourd’hui agite devant lui l’épouvantail du Tribunal Pénal International, au nom des droits de l’homme !

Ce qui fait toute la différence entre les bons et les mauvais dictateurs, c’est le degré de leur docilité à l’égard de l’impérialisme, pas le nombre de leurs victimes.

Bernard RUDELLI