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Contre les licenciements : la manifestation du 9 juin et ses suites

vendredi 22 juin 2001

Au moins vingt mille manifestants ont défilé le samedi 9 juin à Paris (en tout cas le double de la manifestation déjà réussie de Calais le 21 avril), à l’appel de syndicats d’entreprises touchées par des plans de licenciements dont avait pris l’initiative l’intersyndicale de LU-Ris Orangis, une de ces entreprises condamnées à la fermeture pour cause de profits pas assez gargantuesques pour les actionnaires.

L’appel des salariés et syndicats de LU/Danone (Ris-Orangis), de Marks & Spencer et AOM-Air Liberté, auquel se sont rapidement associés ceux d’autres entreprises menacées comme Valéo, Motorola, Péchiney..., ainsi que des syndicats, associations et partis politiques (dont le Parti communiste, Lutte Ouvrière et la Ligue communiste révolutionnaire), disait des choses simples :

Tous ensemble, le 9 juin à Paris, contre les licenciements et les suppressions d’emplois

La vague actuelle de plans de licenciements et de suppressions d’emplois exige une riposte d’envergure de l’ensemble des salariés.

De nombreuses mobilisations ont déjà eu lieu autour des travailleurs des entreprises touchées. Mais il faut faire monter d’un cran la mobilisation, faire converger toutes les initiatives vers une grande manifestation nationale qui pourra être le point de départ d’une mobilisation plus forte contre tous les licenciements.

Il s’agit désormais de réagir tous ensemble afin de ne pas être battus les uns après les autres.

Nous nous adressons aux dizaines de milliers de salariés sous la menace immédiate d’un plan de licenciements, ceux des grandes entreprises comme des petites ;

à tous ceux, plus nombreux encore, qui le seraient demain si nous laissons faire ;

à tous les travailleurs sans exception pour qui les charrettes de licenciements actuels signifieraient immanquablement une pression accrue sur les salaires et les conditions de vie et de travail.

Ce n’est que par une démonstration de force massive que nous imposerons, dans le secteur privé comme dans le secteur public, l’arrêt des licenciements et des suppressions d’emplois.

Cette manifestation n’était pas la première réaction aux annonces de licenciements ou fermetures d’entreprises qui, depuis la fin mars, dégringolaient en cascade.

La plupart des entreprises touchées avaient quasiment toutes connu leurs coups de colère, leurs jours de grève ou leurs débrayages, leurs manifestations dans les villes et régions, ou devant les sièges sociaux, à Paris voire à Londres. Chacune dans son coin, chacune à son rythme, chacune avec un retentissement fonction de sa taille. Les travailleurs de LU/Danone, Marks & Spencer, AOM-Air Liberté, Moulinex, Bosch, Péchiney, Valéo et autres entreprises aux effectifs conséquents et aux sites nombreux pouvaient au moins faire parler d’eux, à défaut de l’emporter, plus facilement que ceux des petites entreprises qui fournissent pourtant 85 % des licenciés.

En prenant l’initiative d’un appel pour une manifestation nationale unitaire contre les licenciements, les LU de Ris Orangis avaient pour projet de rassembler les entreprises qui ont un plan social en route, et s’appuyant sur celles-ci, de convaincre d’autres travailleurs ainsi que le maximum d’organisations syndicales, politiques et associations se réclamant du mouvement ouvrier ou de la gauche. Le but conscient était que la pelote grossisse. C’est pour cela que les LU se sont adressés, dès le début, à tout le monde, qu’ils ont cherché à joindre tout le monde et proposé une réunion à tout le monde.

Pas n’importe comment ni avec n’importe quelle perspective. La sensibilité d’extrême gauche connue d’une partie de l’équipe intersyndicale de LU-Ris Orangis n’est pas pour rien dans les choix faits et approuvés par les travailleurs de l’entreprise.

Tout d’abord, montrer clairement du doigt non seulement les patrons mais aussi le gouvernement. Leur premier « Appel à l’organisation d’une journée de manifestation à l’échelle nationale », lancé le 25 avril, affirmait entre autres :

« Malgré nos multiples appels, nous, salariés de LU/Danone, et autres travailleurs confrontés aux licenciements, constatons que le gouvernement, hier Jospin rencontré à Marcoussi, aujourd’hui Guigou, ne veulent pas nous aider. Le gouvernement ne propose aucune mesure sérieuse susceptible de régler les problèmes des travailleurs de LU/Danone ou des autres entreprises en butte aux plans dits sociaux. »

Il faut rappeler que les réactions à la nouvelle avalanche de licenciements ont eu lieu sur fond de discussion en cours du projet de loi dit de « modernisation sociale » du gouvernement, incluant un passage sur les licenciements dits économiques. Ou plus exactement, cette discussion parlementaire routinière a pris un soudain relief, du fait de l’avalanche des plans de licenciements. L’indignation populaire soulevée par la politique patronale, a réveillé les députés socialistes et communistes qui tous autant qu’ils étaient, avaient « en première lecture » en janvier voté comme un seul homme la loi Guigou. Ils ont donc un peu rechigné lors de la seconde ! Surtout que le désaveu électoral essuyé entre temps par le PS et par le PC aux municipales et aux cantonales, accompagné de scores ici ou là spectaculaires pour l’extrême gauche, rendaient socialistes et communistes avides de « reprendre l’initiative sur le terrain social » selon leur formule !

Les LU ont tenu à mettre en avant une mesure radicale, intéressant tous les travailleurs, celle popularisée par Arlette Laguiller en 1995 mais qui dans le contexte trouvait un écho très concret : l’interdiction des licenciements. Les LU de Ris ont proposé aux participants à la première réunion du 3 mai à la Bourse du travail à Paris, une résolution mettant ainsi en avant « la nécessité d’une grande manifestation nationale à Paris contre tous les plans sociaux en cours ou en préparation et pour l’interdiction des licenciements ». C’est pour répondre au souci et à la nécessité de rassembler que cette revendication d’« interdiction des licenciements » qui ne faisait pas l’unanimité parmi les organisations appelantes, n’a pas figuré dans l’appel commun, signé par un grand nombre de syndicats locaux, d’associations et organisations politiques allant d’Attac, AC !, à la LCR et LO en passant par le PC et les Verts. Les unes et les autres de ces organisations se réservant bien sûr la possibilité de défendre leurs positions dans leurs appels propres et dans la manifestation. Mais on peut dire que le cortège du 9 juin, dans les rues de Paris, a fait la part belle à la revendication d’interdiction des licenciements, criée et affichée aussi bien par les LU/Danone et bien d’autres travailleurs et syndicats d’entreprises menacées de licenciement, que par des organisations politiques d’extrême gauche, Lutte Ouvrière ou la LCR.

Les LU de Ris ont également affirmé leur volonté de rassembler tous les travailleurs et toutes les organisations syndicales et ouvrières, dont les organisations politiques. Publiquement et à plusieurq reprises, en particulier lors des réunions de préparation de la manifestation du 9 juin, les porte-parole de l’intersyndicale de LU-Ris Orangis sont revenus sur la nécessité de s’adresser à tous et en particulier de ne pas opposer les syndicats aux partis politiques, plus précisément de ne pas privilégier les syndicats par rapport aux partis, comme certains militants syndicalistes de SUD, libertaires mais tout particulièrement cégétistes en la circonstance, en ont eu plus que la tentation. La proposition de réunir tous ceux qui étaient prêts à envisager une manifestation contre les licenciements à Paris était adressée à Robert Hue, comme à Arlette Laguiller, à Alain Krivine, à Bennahmias ou Hollande, Thibault, Blondel ou Notat. Les LU de Ris n’ont cessé de s’élever contre toute exclusive, mettant systématiquement les choses au point envers ceux de leurs partenaires qui pouvaient émettre des préjugés et des a priori anti-politiques (et pas seulement des craintes légitimes, et malheureusement confirmées ensuite, sur la réelle volonté du PCF de contrer les licenciements). Dès le 3 mai à la Bourse du travail de Paris, un représentant de l’intersyndicale de LU insistait sur cet aspect de la question en ces termes :

"Nous savons les conditions particulières dans lesquelles se situe notre appel. L’émiettement des mobilisations et des ripostes aux plans de restructuration s’est accompagné d’une grande division de nos organisations syndicales et politiques.

Chez LU/Danone, les salariés ne se satisfont pas de cette situation. Ils nous le disent, et nous demandent de tout faire pour contribuer à dépasser ces divisions. C’est pourquoi nous avons participé, par exemple, à la manifestation du 21 avril à Calais, car nous avons considéré que cette initiative permettait aux salariés de faire un pas positif aux côtés des autres salariés de Danone et tous ceux qui se sentent concernés. (...) Nous considérons aussi que nous devons participer en solidarité avec les initiatives des Marks & Spencer à la manifestation de Londres du 17 mai, comme à celle des Moulinex le 19 mai, ainsi qu’à la journée d’action confédérale de la CGT et semble-t-il de FO (en fait FO n’a pas appelé - NDR), le 22 mai..."

Les salariés de LU-Ris Orangis avaient participé en effet nombreux, le 21 avril précédent, à la manifestation à Calais organisée par le Parti communiste, dont d’autres ont contribué au succès, dont Lutte Ouvrière. A la fin de cette manifestation, Robert Hue avait affirmé la nécessité que ce rassemblement ait un prolongement. Hue « s’adresserait dans les prochains jours aux forces sociales, politiques et associatives, pour une nouvelle initiative dans ce sens pourquoi pas à Paris dans les prochaines semaines ? , et dont nous pourrions décider ensemble du contenu et de la forme, dans le respect des choix de chacune et de chacun. »

C’était de bonne augure, si une suite était donnée.

Il ne s’agissait pas seulement de l’attendre. Et les travailleurs en lutte de LU pouvaient contribuer à faire que cette suite ait lieu et soit la plus large possible.

Après discussion et décision en assemblée générale dès le retour de la manifestation de Calais et encouragés par son succès, les LU de Ris ont choisi de prendre l’initiative d’inviter tous les travailleurs menacés, syndicats, partis et associations à une rencontre le 3 mai. Dans le même temps, le PC invitait également partis, syndicats et associations à discuter d’une suite, le 11 mai.

L’abondance d’initiatives ne fut pas nuisible en la circonstance, puisque les uns et les autres se sont retrouvés le 3 mai à la Bourse du travail à Paris. Dont le Parti communiste apparemment satisfait de ne pas être seul à vouloir envisager et organiser une suite, et ainsi rassembler peut-être plus largement qu’à sa seule initiative.

Les grandes absentes, les confédérations syndicales...

La réussite de la manifestation du 9 juin dépendait des réponses de tous. De ce point de vue, même si cette manifestation a marqué un véritable pas en avant, l’objectif n’a atteint que partiellement son but. Le Parti communiste, l’ensemble de l’extrême gauche, Attac, la FSU, la CNT, les Sud, le G10..., certaines sections d’entreprises, unions et fédérations CFDT, FO et CGT ont répondu à l’appel. Mais le vrai échec de la tentative a été l’incapacité à ébranler les principales confédérations syndicales, en particulier la CGT dont la participation réelle était indispensable pour le succès, dans le climat présent, d’une grande manifestation nationale unitaire sur un sujet comme les licenciements. On aurait pu et dû voir au moins 100 000 personnes dans la rue. C’est d’ailleurs exactement pour cette raison que Thibault, qui comme Notat ou Blondel est d’abord préoccupé par ses tractations d’appareil avec Jospin (plus qu’avec Hue maintenant), n’a pas marché au-delà de gestes symboliques sans portée. La confédération a refusé d’appeler. La confédération s’est contentée d’annoncer l’envoi d’une délégation le 9 juin.

La confédération CGT, qui a participé aux rencontres organisées par les LU à la Bourse du travail à Paris, a fait mine de tergiverser mais n’a pas voulu mobiliser, comme elle l’avait fait il n’y a pas si longtemps à Nice en décembre où elle avait amené à elle seule près de 20 000 personnes ou plus récemment avec les autres confédérations pour les retraites en janvier. Evidemment, c’était un autre choix politique de s’en prendre à Jospin pour lui demander l’interdiction des licenciements, sous peine de mesures coercitives contre le patronat, que de partir en guerre contre le seul Medef pour les retraites ou contre les moulins à vent des institutions européennes, pour une prétendue meilleure « charte sociale européenne » !

La confédération n’a fait qu’avancer des faux-fuyants. Elle qui, à la différence de FO et de la CFDT, avait mis formellement les licenciements en tête de ses préoccupations, s’en est tenue à sa propre pétition, sa propre journée d’action du 22 mai prévue de longue date le jour de l’ouverture du débat parlementaire mais pour laquelle elle n’a pas mobilisé non plus, ses propres revendications faites d’un galimatias bien obscur pour le commun des travailleurs et même des adhérents. La CGT a prétendu vouloir de « nouveaux droits sociaux » pour les travailleurs mais il s’agit surtout de nouveaux avantages, pour ne pas dire privilèges, pour les bureaucraties des syndicats et des comités d’entreprise. Rien en fait qui aille plus loin que ce que Guigou a fait mine de céder à Hue. Le renforcement d’un prétendu « droit d’alerte » par un prétendu « droit de veto suspensif », c’est-à-dire un droit de retarder les échéances mais précisément pas de veto ! Le droit d’informer les syndicats « avant toute décision de l’employeur » et la saisine obligatoire, pour avis, d’une obscure commission départementale pour l’emploi et la formation, c’est-à-dire davantage de séances autour de tapis verts pour les représentants syndicaux, mais pas un licenciement en moins !

De façon intempestive, la confédération CGT a refusé d’appeler à la manifestation du PC à Calais (lequel avait d’ailleurs ses propres militants très implantés à LU-Calais), sous prétexte d’indépendance syndicale à l’égard des partis politiques. Ladite indépendance à l’égard de Hue dissimule en fait la dépendance à l’égard de Jospin et de sa politique gouvernementale si ce n’est à l’égard des patrons dont Jospin préserve les intérêts fondamentaux.

Bernard Thibault et la CGT : courroie de transmission privilégiée... de Jospin ?

La politique des hautes sphères de la CGT a évolué à grande vitesse, depuis son congrès de décembre 1998, où la CGT a réservé les honneurs au syndicalisme de concertation plutôt qu’au syndicalisme de contestation professé jusque-là, au rapprochement avec la CFDT et à l’indépendance à l’égard de tout parti politique (Plus question que les dirigeants de la confédération se recrutent parmi les membres de la direction du PC). Chez les cheminots, un de ses fiefs, la CGT a perdu des militants et des voix aux élections professionnelles, pour avoir en mai 99 saboté un mouvement de grève, et avoir réédité la chose lors des grèves du printemps dernier où son attitude a été jugée par Jospin « extrêmement responsable ». Ailleurs, sa même politique, pour être moins spectaculaire, est efficace, dans la gestion et le savant émiettement des conflits suscités un peu partout par la mise en place des 35 heures. Ou face au PARE, où tout en faisant mine de s’opposer au Medef à la différence de la CFDT, la CGT a évité de s’opposer au gouvernement qui a pourtant fait adopter la réforme au parlement.

La confédération a confirmé son allégeance à Jospin en n’appelant pas à la manifestation du 9 juin alors que son appel pouvait précisément faire basculer les choses et entraîner bien d’autres à sa suite. Ne serait-ce que les dizaines de milliers de militants qu’elle peut encore mobiliser, comme elle l’a montré à Nice. D’autant qu’un certain nombre de ses propres syndicats appelaient. Mais elle s’est efforcée de ne rien faire qui puisse contribuer à donner une dimension nationale, générale, aux luttes des travailleurs licenciés, et qui puisse faire pencher le rapport de forces en faveur de la classe ouvrière.

On peut s’interroger sur cette évolution. Voilà certes longtemps que la CGT, qui regroupe encore en France le plus grand nombre de militants qui ne manquent pas de traditions de lutte, pour le meilleur et pour le pire certes, n’est plus un facteur de subversion sociale ! Voilà des décennies que ses dirigeants mobilisent, et de façon parfois spectaculaire comme en 1995 contre Juppé, essentiellement pour marchander leur influence auprès des patrons et gouvernements plutôt que pour permettre aux travailleurs de défendre leurs intérêts généraux. Mais les temps et la CGT changent pourtant. La confédération de Thibault, qui cherche à s’éloigner d’un PC toujours plus affaibli par le discrédit de la politique gouvernementale, adopte désormais ouvertement le profil de la bureaucratie privilégiant les « recours contractuels », se voulant en phase avec la social-démocratie. Et ce que la CGT peut perdre en militants et adhérents, elle espère probablement le voir compensé par l’aide politique et matérielle de l’Etat : il est précisément question d’un projet de loi sur le financement des syndicats, que les socialistes Emmanuelli et Le Garrec présenteraient au parlement en octobre.

Le gouvernement Jospin cherche à faire des syndicats et tout particulièrement de la CGT, des alliés, sur le terrain social où il a bien besoin d’anesthésistes, à la rescousse de sa politique anti-ouvrière. La grande presse palabre sur ces orientations du premier ministre, sur le fait que les syndicats pourraient se révéler une assise plus solide que les alliés capricieux de la gauche plurielle. Et de recevoir Blondel, Notat ou Thibault pour des dîners ou déjeuners à Matignon. En prévision des échéances électorales de 2002 où il va falloir faire des voix ! Le Monde du 30 mai relate que l’entourage de Jospin trouve « normal qu’il contracte avant plutôt qu’après une victoire aux présidentielles », normal qu’il soit en quête d’une « DGB » (la centrale syndicale allemande) sur laquelle s’appuyer (et à laquelle offrir en échange un poste de ministre du travail, comme l’a fait Schröder ?). Si la CFDT se targue d’être la plus proche, à tous points de vue, de la centrale syndicale allemande, c’est en France la CGT qui garde de loin le plus de poids dans les luttes et la classe ouvrière et qu’il est utile pour Jospin d’associer à sa politique. Les dernières municipales ont montré que Jospin n’était pas en si bonne situation pour les présidentielle et législatives à venir. Rien d’étonnant qu’il cherche tous azimuts des appuis, et des monnaies d’échange ! Et si la CGT, en prime, brade la combativité de ses militants, c’est vraiment tout bon !

Les confédérations FO et CFDT ont été tout aussi absentes que la CGT le 9 juin. Blondel ne s’est manifesté à aucun rassemblement contre les licenciements, ni le 21 avril à Calais, ni le 22 mai avec la CGT, ni le 9 juin. Il ne semble pas préoccupé par la lutte contre les licenciements. Il ne propose rien, si ce n’est de vagues mesures pour alléger leurs effets : « la mise en place d’une taxe sur les profits non réinvestis afin d’alimenter un fonds de redéploiement et de ré-industrialisation » ou « un réel suivi du plan social, garantie d’un véritable reclassement ». On sait pourtant que des centaines de milliers de chômeurs sont des victimes d’un prétendu « véritable reclassement » !

Pour ce qui est de la CFDT, seuls des syndicats ou des structures oppositionnelles ont appelé à manifester, la fédération des transports FGTE ou la métallurgie parisienne. Mais aucune présence confédérale. Et Nicole Notat s’est payé le luxe de critiquer la loi Guigou, dénonçant son « effet pervers » consistant à « risquer d’entraver l’anticipation des difficultés économiques ». Très exactement la thèse des patrons qui expliquent que les licenciements d’aujourd’hui seraient destinés à prévenir de plus importants licenciements demain !

Robert Hue et le PC : bien dans la rue, bien au parlement... mais « bien dans sa peau », vraiment ?

Le Parti communiste a pu saisir l’opportunité de l’émotion populaire suscitée par la vague de licenciements pour développer sa stratégie double face : dans le mouvement social et dans le gouvernement. En l’occurrence, il a pris l’initiative de la première manifestation importante contre les licenciements à Calais le 21 avril, puis a appelé à celle de la CGT le 22 mai et a co-organisé celle des LU le 9 juin. Mais parallèlement, il a spectaculairement voté la loi Guigou, après avoir demandé et obtenu de Jospin le report de 15 jours de la discussion. Histoire de faire monter un peu les enchères, de prouver que le PC pouvait faire les gros yeux... pour finalement tendre patte blanche !

Le PC a justifié son vote par les sensibles améliorations que ses amendements auraient apportées à la loi. Mais la loi Guigou n’empêchera pas un seul licenciement. Le vote de cette loi est même un très sale coup contre les travailleurs qui s’opposent aux licenciements. Au mieux, les amendements du PC allongeront les délais de palabres laissés aux comités d’entreprise et à une nouvelle espèce en voie de développement, le « médiateur ». Mais le patron garde son droit souverain de licencier, Guigou l’a dit et répété.

Et le PC semble vouloir utiliser la loi Guigou comme une ficelle similaire à celle des 35 heures. Il avertit qu’elle n’aurait « pas de vertu magique », qu’elle serait « un simple point d’appui ». Et le PC de se donner des airs radicaux en partant en campagne, en direction des entreprises où un plan de licenciement est en cours, pour une application immédiate de la loi (même si la navette nécessaire avec le Sénat n’a pas eu lieu et même si les décrets d’application ne sont pas encore parus). Il se montre empressé auprès des syndicats des entreprises menacées, pour leur proposer le mode d’emploi de la loi ! Qui ne changera pas grand chose à ce qui se fait déjà mais est présenté par le PC comme un nouvel enjeu de lutte. Ces recours juridico-administratifs relèvent au mieux des soins palliatifs face aux licenciements. Au pire, du dérivatif par rapport à la préparation de la lutte d’ensemble nécessaire.

Bien sûr, les travailleurs menacés de licenciement vont devoir (et n’ont pas attendu la loi pour cela), défendre ce qu’ils pourront, y compris sur le terrain légal. Bien sûr, ils vont devoir (et n’ont pas attendu) marchander les moins pires conditions financières de départ. Mais le risque existe que la politique du PC contribue à enfermer les militants syndicaux dans le piège des dossiers à étudier, entreprise par entreprise, trust par trust, ceux qui font des profits, ceux qui n’en font pas ou n’en déclarent pas, au cas par cas, et chacun dans son coin ! Comme s’il y avait un cas par cas salvateur contre les licenciements. Comme si les LU n’avaient pas raison, dans leur appel, de dire que la seule perspective était de « réagir tous ensemble, afin de ne pas être battus séparément » !

Il faut continuer...

Pour être réussie, la manifestation du 9 juin n’a pas été le succès massif qui aurait été nécessaire pour faire regretter aux confédérations d’être restées en dehors du coup, ni pour faire préférer au PC de voter contre la loi Guigou.

Mais cette manifestation a été néanmoins significative. Vingt mille personnes dans la rue (pour reprendre le bas de la fourchette des chiffres annoncés dans la presse), parmi lesquelles 3000 à 4000 militants et travailleurs des entreprises menacées de licenciement, près de 2000 des syndicats SUD, aux alentours de 700 de la FSU, quelque 500 de la CNT, 4000 à 5000 du Parti communiste, autour de 1500 de la Ligue communiste révolutionnaire et 2500 de Lutte Ouvrière, le reste étant amené par les diverses structures syndicales et associations appelantes (AC !, Comité des chômeurs CGT, Attac, sans oublier les 3 à 4000 Basques avec leur syndicat LAB, qui ayant manifesté le matin pour la libération des prisonniers politiques avaient tous rejoint la manifestation), voilà qui ne pouvait être passé sous silence par les médias. Surtout dans un contexte où le trotskyme hante la gauche plurielle !

Les militants syndicaux de la trentaine d’entreprises touchées par des licenciements, qui ouvraient le cortège, n’avaient certes pas pu mobiliser tous dans les mêmes proportions que ce qu’ils continuent à faire localement et ponctuellement contre les patrons de Bata, AOM, Péchiney-Marignac et bien d’autres. Notons toutefois la présence nombreuse des salariés des différents sites de chez Danone bien sûr (de Calais, Château Thierry et Ris Orangis), mais aussi des ouvrières de chez Dim en Saône et Loire (venues à deux cars pleins et qui pour la plupart participaient pour la première fois de leur vie à une manifestation de cette envergure) ou de l’entreprise de métallurgie de précision Howmett du Creusot, venus à trois cars, ainsi que d’autres délégations bien fournies. Toujours est-il que le coude à coude était là, volontaire et conscient, entre travailleurs touchés par la même plaie et contents d’avoir réussi à manifester ensemble, n’en déplaise à leurs confédérations respectives.

Pour les LU et tous ceux qui s’étaient associés à leur initiative, c’était un succès de pouvoir afficher ces liens, cette solidarité et cette coopération nécessaires. Qui plus est autour d’un rejet formel de la politique de licenciement, menée par le patronat mais soutenue par le gouvernement. Explicitement dans le cortège, l’exigence d’interdiction des licenciements et des suppressions de postes dans les services publics, de même que le refus de la loi Guigou, s’exprimaient par slogans et pancartes.

Cette idée du « tous ensemble » pour l’objectif très concret et réaliste d’interdiction des licenciements, sous peine de mesures coercitives contre le patronat qui ruine familles ouvrières et régions, pour seule raison de profits maximum, faisait le lien entre les manifestants. Et les militants d’extrême gauche présents tout au long du cortège, au sein des délégations d’entreprises comme derrière les banderoles de leurs organisations, montraient qu’il existe une autre voie que celle des compromissions avec un gouvernement au service exclusif des patrons. Une autre voie que celle des petits accommodements et des grandes résignations. De nombreux militants du Parti communiste le savent bien, et avaient choisi d’être également dans la rue, de participer eux aussi au succès de cette journée, et d’estimer également qu’une suite lui est nécessaire.

Et la face cachée mais non moins importante de la manifestation, c’est la multitude de liens que sa préparation a exigés et permis. Des plus ténus aux plus solides. Entre militants syndicaux et/ou politiques d’entreprises de différentes tendances. Un filet s’est mis en place, pour renouer les fils du tissu que les bureaucraties réformistes ont déchiré et qu’à ce jour, elles ne veulent pas renouer. Les militants d’extrême gauche ont eu leur rôle dans cette tâche. Ils existent au sein du mouvement ouvrier. Leur courant, n’en déplaise aux partis de la gauche plurielle, ne se résume pas à une somme de bulletins de vote anonymes, mais représente une force capable de mobiliser, dans la rue et les luttes aussi - au sein de cette classe ouvrière sur laquelle les sociaux-démocrates de tout poil voudraient garder la haute main -, entre autres pour tenter d’aller vers la coordination nécessaire des mouvements et des ripostes (ce à quoi les appareils réformistes ne se hasarderaient qu’après 2002, si la gauche se retrouvait dans l’opposition. Contre un nouveau Juppé, peut-être, et encore ! Mais pas contre Jospin !)

En tout cas, les salariés initiateurs de la manifestationdu 9 juin comptent ne pas en rester là. Ils ont appelé à unenouvelle réunion de « bilan et perspectives » suite au 9 juin, laquelle a eu lieu comme les précédentes à la Bourse du travail de Paris, le mercredi 20 juin. La plupart des représentants des organisations, syndicats et associations co-organisateurs de la manifestation du 9 juin étaient présents, dont la représentante du Parti communiste qui, tout en écoutant les critiques sans complaisances émises au cours de la réunion sur le vote des députés communistes de la loi Guigou, a tenu à réaffirmer à plusieurs reprises que son parti était « disponible pour continuer », qu’il était prêt « à poursuivre l’action », à participer aux rassemblements de salariés proposés pour la rentrée, tout en approuvant la démarche exposée par le représentant des Lu de Ris Orangis qui introduisait la réunion en direction de tous les syndicats.

La plupart de ceux qui se sont exprimés parmi les présents ont d’ailleurs approuvé l’orientation proposée par le représentant des salariés de Lu, dont voici le texte de l’intervention :

"Nous vous avons invités à cette nouvelle réunion unitaire pour envisager avec vous les suites à la manifestation du 9 juin. Car nous ne voulons pas en rester là. Et pour cause. Les plans de licenciements, nous les avons toujours sur le dos. De nouveaux arrivent et d’autres s’ajouteront.

Deux mots d’abord, sur le bilan que nous tirons, à LU, de la manifestation du 9 juin. Pour ce qui est de la manifestation elle-même, c’est clair, nous sommes contents. Par son succès relatif d’abord. De 20 000 à 40 000, selon les chiffres annoncés, c’était en fait une des plus grosses manifestations de salariés de ces dernières années.

Ensuite, le cortège de tête était réussi. Nous avons dénombré plus d’une trentaine d’entreprises touchées par les plans de restructurations. C’est la première fois que sur une question comme les licenciements, où la lutte est difficile, défensive, on voit des salariés habituellement confinés dans une résistance locale, venir de tous les coins du pays manifester ensemble. C’est une première, et il ne faut surtout pas que ce soit une dernière.

Pour le reste, l’un des aspects particulièrement positifs de la manifestation, auquel nous tenons beaucoup, c’est qu’elle ne faisait pas de discrimination entre organisations syndicales, politiques et associatives. Tout le monde avait sa place, toute sa place, avec ses slogans et ses banderoles, dans le respect des opinions de chacun. C’est aussi cela être unitaire. Et c’est bien ce que nous avions voulu, nous les salariés des boîtes en lutte.

Cela fera aussi partie de l’efficacité de la riposte d’ensemble, de ne plus opposer les salariés, les organisations syndicales, politiques et associatives. Ce sont les uns et les unes, comme les autres, qui ont d’ailleurs contribué à ce premier succès.

Voilà pour les « plus » de la manif. J’en ajouterai un autre : son tonus, sa tonalité radicale, déterminée. Un slogan comme celui de l’interdiction des licenciements, est revenu d’un bout à l’autre du cortège.

Côté syndical, les SUD, le groupe des dix, la FSU, la CNT et différentes sections et syndicats CFDT, FO et CGT locaux ou régionaux étaient présents, sans oublier les Basques avec le syndicat LAB, particulièrement nombreux. Et tous ont contribué au caractère combatif et dynamique de la manifestation.

Mais il faut le constater, nous n’avons pas réussi à faire bouger les directions des principales confédérations. Je passe sur les motivations de ces dernières, qui sont injustifiables. Leurs dirigeants ne se sont d’ailleurs pas trop fatigués pour s’expliquer auprès des salariés qui les ont sollicités. Il nous semble que Bernard Thibault, Nicole Notat, Marc Blondel ou Alain Deleu par exemple, aillent plus volontiers aux rendez-vous que leur fixe le gouvernement, qu’aux rendez-vous que leur donnent les salariés en lutte. Bon. C’est un constat.

Les syndicats d’entreprises, locaux et régionaux, ayant pris sur eux de répondre à l’appel, n’ont pas été assez nombreux pour exercer une pression suffisante pour convaincre leurs confédérations. Pour les prochaines échéances, il nous faudra donc trouver dans les entreprises de tous les secteurs, suffisamment de relais militants pour inciter les confédérations à soutenir les mobilisations nécessaires. Et nous comptons sur toutes les organisations présentes ce soir pour nous y aider.

Passons à la loi Guigou :

Bien sûr, parmi les camarades présents ce soir, les opinions divergent.

Certains pensent que le vote par le Parti communiste de la loi Guigou, avec ses amendements, est une avancée. D’autres, et c’est le cas de bon nombre d’entre nous à l’usine Lu de Ris Orangis, pensent que le Parti communiste, qui a contribué au succès de la manifestation du 9 juin, n’aurait pas dû voter cette loi, et aurait même dû voter contre, avec ou sans amendements, car elle ne change rien de fondamental au droit patronal de licencier. D’autres camarades de l’usine de Ris, comme sans doute ailleurs, n’ont pas d’avis tranché sur la question, et demandent à voir, mais considèrent de toute façon que la loi ne suffit pas et qu’on ne peut en rester là.

Mais il ne s’agit pas ce soir de polémiquer sur le contenu de cette loi. Il s’agit de savoir comment nous allons continuer à construire ensemble le rapport de force permettant de faire annuler les plans de licenciements en cours, et d’interdire ceux à venir. Car pour nous, le principal résultat de la manifestation du 9 juin, c’est d’avoir rendu possible les étapes suivantes de la mobilisation.

De ce point de vue, tout le monde ici, y compris les camarades du Parti communiste, savent bien que les mêmes menaces de licenciements planent toujours sur AOM-Air Liberté, Danone, Marks & Spencer, Bata, Péchiney et les autres, et que nous ne pouvons en rester là. Qu’il faut continuer ce que nous avons commencé avec le 9 juin.

En fait, nous n’avons pas vraiment le choix. Ou alors, nous allons nous retrouver dans la même situation qu’auparavant : c’est-à-dire que les salariés de chaque entreprise sous le coup d’un plan social vont se retrouver isolés dans leur coin, contraints à une résistance sans grand espoir, réduits à négocier les seules modalités légales de leur licenciement, en attendant qu’on les oublie et que dans six mois, un an ou deux ans, ils pointent à l’ANPE ou se retrouvent déplacés à 1000 kilomètres de chez eux avec des salaires réduits de moitié ou des deux tiers, ou alors installés à leur compte, comme on dit, en bossant 12 heures par jour, 7 jours sur 7, à vendre des frites ou des merguez et j’en passe.

Nous n’avons pas organisé la manifestation du 9 juin pour nous contenter d’un baroud d’honneur, et pour nous retrouver dispersés comme avant.

En ce qui nous concerne, pour la suite, nous entendons d’ores et déjà maintenir tous les liens que nous avons noués avec les salariés des autres entreprises. D’abord parce qu’il s’agit d’être prêts à se mobiliser et à réagir ensemble si dans les jours et les semaines à venir des salariés touchés par un plan faisaient appel à la solidarité des autres. Les patrons sont pressés, et il s’agit de rester vigilants, et de montrer aux camarades en lutte qu’ils ne sont pas isolés. C’est d’ailleurs pourquoi la semaine dernière, nous sommes allés soutenir par une délégation la manifestation des salariés d’AOM-Air Liberté sur les pistes d’Orly, et sommes aussi allés voir ceux de Bata, en Moselle.

Ensuite, parce qu’il vaut mieux mettre en commun nos expériences, et nous donner les moyens de nouvelles initiatives.

Le maintien de ces liens entre entreprises touchées par les plans de licenciements, pourra prendre la forme d’une rencontre entre toutes les entreprises touchées par les plans de restructuration à la rentrée, vers la fin du mois de septembre par exemple. Ensemble, nous allons travailler à la mise en commun de nos expériences, de nos revendications et de nos objectifs de lutte.

Mais ce que nous voulons aussi, c’est que dès la rentrée de septembre, nous envisagions, les salariés avec toutes les organisations qui ont participé au 9 juin, de nouvelles mobilisations plus larges, qui entraînent y compris ceux et celles qui n’y n’étaient pas. Tout cela ne se fera sans doute pas d’un coup, demandera peut-être des étapes intermédiaires, mais c’est ce qu’il nous faut viser pour les mois à venir.

En tout cas, nous avons constaté que les salariés répondaient présents quand leurs organisations les appelaient à se mobiliser. Le frein ne vient pas d’en bas. C’est donc aux salariés, aux militants syndicaux, politiques et associatifs, conscients de l’urgence d’une riposte d’ensemble, de s’atteler à convaincre tout le monde de passer à l’acte."

Vendredi 22 juin 2001

Lutte de Classe (mensuel - Lutte Ouvrière) - #59 - juillet 2001

Mots-clés Licenciements , Politique