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ATTAC, soluble dans la gauche plurielle ?

vendredi 28 septembre 2001

Même si son implantation reste confinée pour l’essentiel à l’université, à la petite bourgeoisie intellectuelle, à certains milieux syndicalistes et associatifs, on ne peut nier que l’association ATTAC est parvenue à exister sur le plan politique et à diffuser ses idées auprès d’une frange de l’opinion publique de gauche. Il demeure cependant malaisé d’estimer ce que représente ATTAC en tant que force militante, au delà des 38 000 adhérents revendiqués, des 21 000 cotisants ou des 700 participants à la dernière université d’été d’Arles à la fin du mois d’août.

Car les structures d’ATTAC semblent bien souvent ne reposer que sur l’engagement de militants et sympathisants actuels ou « défroqués » d’autres courants politiques, associatifs et syndicaux, de l’extrême gauche à la FSU ou à la CGT en passant par AC !, le DAL, SUD, Ras-le-front, etc. Ces militants en mal de perspectives politiques, même et surtout lorsqu’ils refusent toute forme de « récupération politique », parfois lassés des compromissions des appareils avec la gauche au pouvoir, trouvent dans ATTAC une inspiration sinon un cadre militant apparemment vierge de tout le passif de la gauche et brillant des feux de la nouveauté.

Lorsqu’ils impulsèrent à la mi-1998 « l’association pour la taxation des transactions financières pour l’aide aux citoyens », les « membres fondateurs » n’imaginaient peut-être pas l’ampleur que prendrait leur initiative. Le contexte y est pour beaucoup : des privatisations au PARE, de Vilvorde à Michelin, la gauche plurielle au pouvoir s’emploie à ruiner les (rares) illusions rescapées des deux septennats Mitterrand, favorisant ainsi l’émergence de courants présentés comme des alternatives, mêmes s’ils se situent, eux aussi, sur le terrain du réformisme.

Au delà de la timide proposition originelle de taxation des transactions financières (la fameuse taxe Tobin), ATTAC a développé un arsenal de propositions visant à « refondre » la vie économique dans son ensemble, de la critique des paradis fiscaux à la législation sur les licenciements en passant par les modalités de la réduction du temps de travail, la résorption de la précarité, le partage des gains de productivité, la dénonciation des OGM, la sécurité maritime, etc.

La bonne finance et la mauvaise spéculation

La revendication d’une « taxe Tobin » sur les transactions financières une taxe un peu orpheline depuis que le fort conservateur James Tobin a pris ses distances avec ATTAC et le mouvement anti-mondialisation dans son ensemble était d’emblée révélatrice des limites de ce mouvement. Rappelons-en le principe : partant du constat que les marchés de devises sont traversés (et souvent secoués) par d’importants flux de capitaux à très court terme, sans aucune contrepartie réelle (commerce ou investissement), donc purement spéculatifs, les promoteurs de la taxe souhaitent instaurer un prélèvement léger (de l’ordre de 0,05 %) sur ces transactions, prélèvement dont la vertu serait double : d’une part, étant donné que les spéculateurs tirent parti de très faibles écarts de cotations, bien des opérations seraient découragées et le volume des transactions financières « parasites » diminuerait d’autant. D’autre part, le produit de cette taxe alimenterait un fond spécial dédié à l’aide aux pays dits « en voie de développement ».

Passons sur les difficultés soulevées par cette proposition (les milieux financiers ont à leur disposition mille et une solutions techniques pour sortir du champ de la taxe). La taxe Tobin est empreinte d’illusions plus profondes : comment dissocier une bonne finance (vouée au financement rationnel de la vie économique, permettant une allocation efficace des ressources mondiales), d’une mauvaise finance « rentière » (la spéculation, qui grève l’économie réelle et déclenche des soubresauts irrationnels) ? C’est oublier que la spéculation est inhérente à tout marché financier : elle rend même possible l’établissement de cotations permanentes. Elle permet à un intervenant mu par des motivations économiques « réelles » (production et échange de marchandises) de trouver un vis-à- vis disposé à assumer à sa place certains risques contre l’espoir d’un gain (autrement dit : un spéculateur). Ainsi, une entreprise qui, du fait d’un contrat d’exportation de machines-outils, anticipe des recettes futures en devises, souhaite naturellement se couvrir contre le « risque de change », le risque que la devise en question se déprécie et que ses marges bénéficiaires s’en trouvent amputées. Elle réalise donc par exemple une « vente à terme » de devises étrangères ou achète une « option »... Ce qui suppose un autre intervenant, disposé à réaliser cette transaction, qui en d’autres termes spécule à la hausse sur cette devise. C’est d’ailleurs le développement d’instruments complexes de couverture contre le risque financier (« futures », « swaps », « options », etc.) qui a le plus favorisé l’essor de la spéculation depuis 20 ans. Où sont les bons intervenants ? Où sont les mauvais spéculateurs ? L’activité financière est spéculative par nature.

Les bulles financières, symptômes d’une économie malade

En libérant la sphère financière de son secteur « parasitaire », ATTAC prétend aller vers « une refonte totale du système financier international », « une économie mondiale dans laquelle la croissance irait de pair avec la redistribution des revenus et la justice sociale ». Mais n’inversons pas les causes et les effets : l’hypertrophie de la sphère financière n’est pas à l’origine du creusement des inégalités et du marasme du monde capitaliste, même si elle l’accentue. Elle en est au contraire la conséquence. Au ralentissement de la production et à l’érosion des profits survenus il y a 25 ans, les classes bourgeoises et les Etats des pays industrialisés ont répondu par l’accroissement de l’exploitation (précarité, baisse du pouvoir d’achat, intensification du travail, prélèvements fiscaux sur les classes laborieuses, subventions aux industriels, etc.). Ce qui leur a permis, dès le début des années 80 de renouer avec des niveaux élevés de rentabilité. Pour autant, ils ne relancèrent guère l’accumulation du capital productif : la consommation des masses étant bridée, de nouvelles forces productives n’auraient pas trouvé de débouchés. A défaut de s’investir productivement, les masses de capitaux en quête permanente de placements rentables allèrent former différentes bulles (bulle de l’immobilier, bulle du dollar, des pays émergents, des nouvelles technologies) dont le dégonflement plus ou moins brutal n’est pas sans répercussions sur l’économie « réelle ».

Les économistes d’Attac caressent l’illusion de réorienter les profits vers la sphère productive en soumettant l’activité financière à des mesures réglementaires de type Taxe Tobin. Leurs propos sont empreints d’une nostalgie à peine voilée envers la période « fordiste » (les « trente glorieuses »), où les gains de productivité étaient essentiellement « redistribués sous forme d’augmentation du salaire réel », et non pas détournés vers la spéculation. Un idéal un peu étriqué : le niveau de vie a certes eu tendance à progresser dans les décennies d’après guerre (il partait de si bas !) mais les profits aussi, et cela dans un contexte d’intense exploitation. L’accès du grand nombre aux biens manufacturés eut pour contrepartie les « cadences infernales », la déshumanisation du travail, etc. Les années 1950-60 apparaissent « glorieuses » aux yeux d’universitaires, même si par contraste avec le développement actuel du chômage et de la précarité, elles peuvent faire illusion.

Mais l’idée d’un retour à l’expansion capitaliste (la « croissance libérée des ponctions de la finance rentière ») par la taxation de la finance est erronée pour des raisons profondes : la croissance capitaliste ne s’est pas enlisée sous l’effet du parasitisme des rentiers mais du fait de ses contradictions propres. L’accumulation des forces productives se heurte tôt ou tard aux limites imposées à la consommation des classes populaires. La montée du chômage et le déclin des profits s’amorcent dès la fin des années 1960, bien avant les grandes mesures de déréglementation financière. Face au moteur vétuste du capitalisme, qui hoquette et suinte l’huile, ATTAC accuse la fuite d’huile d’être responsable de tous les maux.

« Encourager » le gouvernement

S’il est vain d’espérer de la taxe Tobin un pas vers une « économie mondiale dans laquelle la croissance irait de pair avec la redistribution des revenus et avec la justice sociale, il est plus vain encore d’investir les gouvernements des grandes puissances de cette noble mission. Depuis 15 à 20 ans, les Etats occidentaux sont à l’origine du »big bang« de la finance internationale, que résume l’expression des »3D« pour déréglementation, désintermédiation (les financements passent par les marchés plutôt que par les banques) et décloisonnement (les différentes catégories de marchés communiquent). De ces gouvernements, qui ont instauré le chaos actuel, ATTAC attend qu’ils »créent de nouveaux instruments de régulation et de contrôle, aux plans national, européen et international« . Etant entendu qu’ils »ne le feront pas sans qu’on les y encourage« . Au pyromane, donc, d’aller éteindre le feu, mais notez bien il ne le fera pas sans qu’on l’y »encourage".

Et quand bien même les Etats occidentaux, acculés par une catastrophe (et non pas par les « encouragements » d’ATTAC), restaureraient les réglementations et les contrôles qu’ils ont démantelés depuis deux décennies, quel bien en résulterait-il ? Lorsque les pouvoirs publics américains ont décidé d’encadrer les marchés après le krach d’octobre 1929, le prolétariat s’en est-il trouvé mieux ? Quand les Etats bourgeois optèrent dans les années 1930 pour la réglementation des marchés, les subventions à l’industrie et le repli sur les marchés nationaux, le prolétariat dut supporter des sacrifices au moins aussi importants qu’avec l’actuelle « mondialisation ».

Le projet de réintroduire une dose de réglementation sur les places financières est d’ailleurs partagé par certains secteurs de la bourgeoisie elle-même, par exemple... Georges Soros, prototype du « requin » de la finance et partisan déclaré de la taxe Tobin ! Donner la taxe Tobin pour objectif à des forums et des pétitions d’universitaires est dérisoire ; mais en faire un objectif possible pour les mobilisations du monde du travail serait une tromperie. Ce n’est pas, pour l’heure, la préoccupation d’ATTAC que de proposer une politique pour les luttes des salariés indifférence que d’ailleurs les salariés lui rendent bien. Mais d’autres, les appareils syndicaux notamment, pourraient à l’occasion se servir de la taxe comme d’une couverture revendicative, laquelle au mieux ne les engage à rien, au pire pourrait dévier la mobilisation vers des objectifs dérismires.

Un projet de société « subversif » ?

Au delà de la taxe Tobin, ATTAC a développé un ensemble de propositions en tâchant de se distinguer soigneusement du marxisme et des idées communistes. L’association s’efforce même de formuler un « projet de société » parfois résumé par le concept brumeux d’« économie solidaire » (une notion dont la gauche plurielle n’a pas tardé à voir le bénéfice qu’elle pouvait retirer en créant sous cette étiquette un nouveau secrétariat d’Etat aux compétences jusqu’ici mystérieuses.)

A juste titre, ATTAC milite pour la réduction du temps de travail. Mais la première loi Aubry lui semble un cadre tout à fait satisfaisant, et même... la loi De Robien. Des lois « massivement créatrices d’emplois », qui ont donné « un coup de fouet supplémentaire (à) la croissance » des entreprises, et dont les salariés sont « satisfaits Certes, ATTAC déplore le surcroît de flexibilité que subissent les salariés, mais de toute façon ceux-ci ont »subi depuis 15 ans une intensification du travail sans pratiquement aucune contrepartie« , alors que cette fois au moins ils obtiennent en échange »un supplément de temps libre".

Les premières vagues réussies de RTT Robien- Aubry concernaient un patronat « indépendant » et « civique », qui « lutte contre le chômage (...) pour des raisons politiques, éthiques ou religieuses ». Tout le mal viendrait de la deuxième loi Aubry, qui déréglemente encore plus le temps de travail, limite les embauches, entérine des accords de branche passés par des fractions « rétrogrades » du patronat français.

Martine Aubry avait un bon projet, qui marchait avec les gentils patrons, mais les méchants l’ont « saboté » : voudrait-on nous faire oublier que la loi Aubry I contenait déjà une définition restrictive du temps de travail, réformait déjà la législation sur les heures supplémentaires et encourageait le patronat, branche par branche, entreprise par entreprise, à profiter de la RTT pour balayer quelques-unes des faibles limites que la loi met à l’exploitation ?

Face aux plans sociaux, l’audace d’ATTAC ne va guère plus loin que les mesures de « modernisation sociale » de Guigou. Il faudrait « mieux réglementer les suppressions d’emplois », infliger aux entreprises dont la « situation économique est florissante une »taxe pour chaque suppression« d’emploi, donner un droit de regard au juge, »durcir les obligations des entreprises en matière de reclassement« , accroître les compétences des comités d’entreprise voire »moduler le taux de cotisation sociale des entreprises De telles propositions ne dépareraient pas un tract électoral du Parti socialiste. Elles reviennent au fond à admettre, avec tout le monde politique bourgeois, le droit imprescriptible des entreprises à licencier un droit qu’on pourrait au besoin codifier, aménager un peu, mais pas supprimer.

Ces idées banales sont au coeur d’un projet de « nouveau plein emploi » que ses auteurs décrivent comme « hautement subversif ». Subversif parce qu’il prétend déboucher sur l’ « économie démocratique et solidaire », basée sur « l’entreprise démocratique » qui « transformerait la nature du rapport salarial, le subvertissant profondément », engendrerait « de nouvelles formes de distribution de revenus », viserait à « développer au maximum les potentialités économiques de la démocratie productive ». L’entreprise « démocratique » conserverait un « droit d’embauche et de débauche » mais « une tout autre UNEDIC, profondément refondue et démocratisée » permettrait la « refondation de la sécurité de l’emploi sur de nouvelles bases ». Dans le monde capitaliste ainsi repeint aux couleurs « solidaires », il y a donc toujours des chômeurs et des nantis, le salariat, les licenciements, mais l’antenne des ASSEDIC est devenue un endroit où il fait bon vivre.

Cette débauche de subversion démocratique et solidaire (solidaire de qui, au fait ?) a surtout le mérite, pour ses créateurs, de plonger dans le brouillard les questions fondamentales de la propriété capitaliste, du pouvoir des classes possédantes, du rôle de l’Etat et de la lutte des classes.

Les « têtes citoyennes » des « contre- sommets »

L’écho dont bénéficient aujourd’hui les propositions d’ATTAC (qui ont l’avantage de représenter un dénominateur bien consensuel et fort peu subversif à de nombreux courants réformistes d’origine social-démocrate ou stalinienne) est en partie lié aux épisodes tumultueux des manifestations comme celle de Seattle ou, plus récemment, de Gênes. Les dirigeants d’ATTAC demeurent fort réservés quant à l’usage de la violence, sans pour autant oser la condamner franchement de peur de se couper d’une partie de leur base : ils semblent hésiter entre le divorce d’avec les tendances les plus radicales du courant anti-mondialisation et l’espoir d’arriver à mieux les contrôler. Ainsi, un document de l’association étudie avec sérieux (mais finalement sans la juger réaliste) la proposition formulée par Daniel Cohn-Bendit de créer autour du prochain sommet de l’Union Européenne une « zone démilitarisée... protégée pacifiquement par deux mille »têtes citoyennes" (élus, responsables d’associations, syndicats...).

Les perspectives politiques tracées à l’occasion de ces rassemblements reflètent, elles aussi, les illusions entretenues par ATTAC sur le rôle des Etats et des institutions internationales : ATTAC salue comme une « première bataille victorieuse », « due à l’inlassable mobilisation de milliers de personnes un peu partout en Europe », l’inscription à l’ordre du jour de la dernière réunion des ministres de l’Economie et des Finances de l’Union Européenne de la demande d’une « étude de faisabilité » au sujet de la taxe Tobin... en vue sans doute de la soumettre au FMI. La belle victoire en vérité !

Autre exemple, parmi une multitude, dans un document de l’association, son porte-parole Christophe Aguiton (membre de la Ligue Communiste révolutionnaire par ailleurs) regrette qu’au sommet de Gênes, « Abdoulaye Wade, le président de la république du Sénégal, (...) n’a, pas plus que ses homologues présents à Gênes, pu s’appuyer sur l’ampleur du mouvement pour formaliser une alternative politique ni permettre d’avancer vers une alliance des pays pauvres pouvant faire pièce au concert des pays riches . Il est logique qu’après avoir »encouragé« le PS à réguler la finance, on encourage Wade et consorts à fonder une »alliance des pays pauvres".

La vacuité de ces perspectives n’empêche pas les organisateurs d’entretenir de vastes illusions sur l’efficacité des mobilisations autour des sommets internationaux. Ainsi, ce serait du fait de la « large mobilisation internationale » « que les gouvernements de la France puis des Etats-Unis ont subitement compris qu’il avaient plus intérêt à retirer le projet » d’Accord Multilatéral sur l’Investissement (AMI) « qu’à le conserver . La lutte contre l’AMI serait donc une »lutte exemplaire" et elle est en effet un bon exemple de combat stérile : l’AMI, projet abstrait des experts de l’OCDE, n’est tombé aux oubliettes qu’à cause des dissensions entre les principaux Etats capitalistes, d’abord soucieux de défendre les plates-bandes de leurs industriels. La gauche internationale n’a joué ici que le rôle de la mouche du coche.

ATTAC et le PS en pleine saison des amours

Malgré l’attitude plutôt pusillanime d’ATTAC, les « contre-sommets » mouvementés et très médiatisés ont conféré à l’association une certaine aura subversive qui n’affecte en rien la tiédeur de ses idées. Cela en fait un partenaire potentiel de choix pour les différentes composantes de la gauche plurielle. A mesure que s’approchent les échéances électorales, la social- démocratie multiplie les appels du pied sans rencontrer trop de réticence : les rencontres avec ATTAC se multiplient, en juin avec le directeur de cabinet de Jospin, en juillet avec François Hollande, plus récemment avec Laurent Fabius, qui a promis un vague soutien à l’occasion du conseil des ministres des Finances européens. (Un soutien qui a dû rester timide, à en croire du moins le ministre des Finances luxembourgeois, Jean-Claude Juncker, lequel, à la sortie, déclarait à Libération : « Je n’ai entendu aucun ministre s’exprimer en faveur de la taxe Tobin. »).

Les dirigeants du PS ne font pas mystère de leur intention d’utiliser ATTAC afin de redorer leur blason en vue des élections : « ATTAC est (...) la preuve que les gens cherchent un discours radical. Nous devons reprendre les thèmes d’ATTAC afin d’alimenter la candidature de Jospin ! » déclare Yann Galut, député socialiste. A l’université d’été d’ATTAC, le secrétariat d’Etat à l’« économie solidaire », ce portefeuille décoratif doté de moins de 100 millions de francs de budget annuel, s’est payé le luxe d’expédier une sous-fifre témoigner du « soutien du gouvernement à un mouvement d’éducation populaire » ; cependant que Michel Vauzelle, député, ancien ministre et président PS de la région Provence-Alpes- Côte-d’Azur, déclarait sans rire (mais sans doute pas sans faire rire) : « nous sommes du bon côté, du côté des revendications anti-impérialistes. »

Rien de surprenant à ce qu’ATTAC accepte ainsi de servir de marchepied à la gauche gouvernementale. L’écart est en réalité mince, des dirigeants du PS à un Bernard Cassen, directeur général du Monde Diplomatique, président d’ATTAC, chevènementiste à peine voilé (c’est d’ailleurs lui qui a introduit l’ancien ministre de l’Intérieur au forum social de Porto Alegre à la fin de l’année dernière.)

Une foule d’élus et de collectivités locales ont rejoint ATTAC sur la base d’un insipide « appel de Morsang », qui propose dans le plus pur style du notable en campagne de « revivifier la démocratie locale », « promouvoir un observatoire des collectivités locales », « repenser les outils publics d’intervention financière mis à disposition du développement local », « s’appuyer sur des politiques publiques et volontaristes d’emploi », et ainsi de suite ad nauseam. Quant à la coordination ATTAC de l’Assemblée Nationale, elle regroupe pas moins de 126 députés, issus essentiellement des rangs de la gauche plurielle : des députés qui pour la plupart soutiennent sans vergogne la politique gouvernementale de privatisations, qui ont entériné les lois Aubry accroissant la flexibilité du travail, la loi Guigou laissant le champ libre aux licenciements, et bien d’autres mesures dont certaines qu’ATTAC dénonce à juste titre... mais sans demander aucun compte à ceux de ses éminents membres qui les ont votées ! ATTAC appelle en guise de slogan à « se réapproprier, ensemble, l’avenir de notre monde », mais les adhérents semblent déjà bien en peine de « se réapproprier, ensemble » la politique que mène leur propre organisation au parlement et dans les salons ministériels. On sourit en lisant en avant- propos des statuts de l’association qu’ « ATTAC ne »roule« et ne »roulera« jamais pour personne, et, s’il le faut, mettra le holà à toute velléité d’entrisme ». Il faut d’urgence signaler à la direction d’ATTAC qu’elle est victime d’un entrisme massif de députés socialistes, verts et communistes !

On touche là aux limites (et même à la duperie) du modèle dit « associatif », des « réseaux horizontaux », qui se voudraient plus démocratiques car non inféodés, paraît-il, aux organisations politiques. Chacun y fait sans doute ce que bon lui semble, à commencer par la direction qui mène sa barque où elle l’entend, jusqu’à soutenir le Parti socialiste sans avoir ni à l’avouer, ni à se soumettre à aucune discussion interne.

En dépit de ses limites, de ses ambiguïtés, ou peut-être à cause d’elles, ATTAC parvient à drainer une frange de l’électorat de gauche désabusé, notamment en milieu étudiant, enseignant ou syndicaliste. Que la taxation du capital revienne à la mode dans les milieux intellectuels, qu’on s’inquiète des méfaits des multinationales ou qu’on cherche des remèdes à la misère du Tiers Monde n’est évidemment pas un mal. Mais de là à croire qu’ATTAC serait le cadre idéal d’une « dynamique » entraînant ses adhérents vers une prise de conscience révolutionnaire, comme le pense une partie de l’extrême-gauche, il y a loin. Dans bien des cas, ATTAC ralentit au contraire la prise de conscience du rôle véritable de la gauche au pouvoir, entretenant l’espoir d’une pression « citoyenne » qui ramènerait le PS et ses alliés sur les rails de l’« anti-libéralisme ». Chez certains, l’adhésion à ATTAC est même un choix basé en partie sur l’hostilité envers l’extrême gauche et les idées communistes en général.

A l’heure où les courants baptisés, à tort ou à raison, « anti-mondialisation », sont courtisés de toutes parts, et pas seulement par la gauche, il est plus que jamais nécessaire au mouvement trotskyste d’affirmer ses objectifs propres : la construction, non pas d’une force de proposition « citoyenne », mais d’un parti révolutionnaire internationaliste en opposition claire au patronat et au gouvernement, luttant non pas contre le « libéralisme » et la « mondialisation » mais contre l’économie capitaliste, non pas au nom de « l’économie solidaire » mais bel et bien du socialisme et du communisme.

Le 28 septembre 2001

Lutte de Classe (mensuel - Lutte Ouvrière) - #60 - octobre 2001

Mots-clés Attac , Politique