Convergences révolutionnaires

Site de la fraction L’Étincelle

Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 24, novembre-décembre 2002 > DOSSIER : Pétrole : ces trusts qui saignent la planète > Une chance pour le développement ?

URL : https://www.convergencesrevolutionnaires.org/Une-chance-pour-le-developpement

Une chance pour le développement ?

vendredi 22 novembre 2002

La possession de gisements pétroliers par un pays est supposé apporter l’abondance. C’est sans doute vrai pour ses classes dirigeantes, comme celles des pétromonarchies arabes. Ca l’est déjà moins pour la population de ces Etats, pourtant peu nombreuse alors que les réserves d’hydrocarbures du pays sont colossales. Quant à des pays comme l’Irak, l’Iran, le Nigeria, l’Algérie ou encore le Venezuela, dotés d’une population bien plus nombreuse en proportion de leur production pétrolière, « l’or noir » s’est plutôt révélé une malédiction.

Premiers dérivés du pétrole : la guerre et l’oppression

Prenons l’exemple du Nigeria. Dans le delta du Niger, où sont concentrées les richesses pétrolières du pays, les peuples Ogoni et Ijaws croupissent autant dans la misère qu’il y a quarante ans. Leurs villages de pêcheurs ignorent souvent l’électricité et le taux de mortalité infantile reste effrayant. Le drame terrible survenu le 17 octobre 1998 à Jesse, au cœur du delta, est bien révélateur de la misère sordide qui y règne : plus de mille personnes, qui se pressaient autour d’un oléoduc percé, pour récupérer dans des bidons l’essence qui fuyait, ont été tués dans une gigantesque explosion.

Le pouvoir nigérian pompe pour son seul profit, et bien sûr celui des grandes compagnies occidentales. Alors, pour prendre leur part du pactole, de véritables groupes armés se sont constitués pour faire la guerre à l’armée nigériane. Des commandos ont pris d’assaut des stations de forage et de pompage et en otage des techniciens des compagnies. Celles-ci ont du coup versé un peu d’argent aux « communautés » de la région pour acheter un peu de paix. De l’autre main, pour protéger leurs équipements, elles ont directement subventionné l’armée et ses répressions. En 1993 l’armée massacra des centaines d’Ogoni, et deux ans plus tard, 9 militants du Mouvement pour la survie du peuple Ogoni, parmi lesquels l’écrivain Ken Saro-Wiwa, étaient pendus.

Le delta du Niger connaît donc une sorte de guerre larvée. Il en a connue une ouverte et sanglante 30 ans avant. En 1967, un groupe d’officiers dissidents issus de cette région du sud-est à majorité chrétienne, reprochant aux généraux issus du nord de réserver les bénéfices du pétrole à leurs clientèles et à leurs propres ethnies, proclamèrent une « république du Biafra » indépendante. Elle regroupait comme par hasard la plus grande partie des réserves en hydrocarbures du pays. La guerre entre le Biafra et l’Etat nigérian dura 3 ans, et fut alimentée par la France de De Gaulle dans l’espoir de chiper à Shell et autres compagnies anglo-saxonnes leurs champs d’or noir. Encerclé, affamé et vaincu, le Biafra eut à enterrer plus d’un million de morts.

Au vu de tels précédents, le projet d’exploitation de champs pétrolifères au sud du Tchad, et de construction d’un oléoduc qui transporterait le brut vers le golfe de Guinée à travers le Cameroun, n’est pas forcément une bonne nouvelle pour ceux qui vivent au-dessus d’un tel trésor. Le consortium Shell-Exxon-Total qui doit s’en charger a déjà obtenu du dictateur tchadien, le seigneur de guerre Idriss Déby, des conditions fiscales particulièrement avantageuses. En échange Déby, qui compte bien se réserver la part tchadienne du gâteau, à lui et son clan, s’est lancé depuis deux ans dans une campagne de terreur contre les populations du sud. Des villages ont été bombardés et massacrés, des opposants ont « disparu ». Ce sont les mêmes méthodes, terroristes, qu’utilise le gouvernement du Soudan contre des populations entières des régions du sud où des projets d’exploitation pétrolière sont en cours. Cette fois encore, l’annonce de la découverte de pétrole dans le sous-sol a précédé de peu de nouvelles vagues d’exactions et de massacres.

Les compagnies pétrolières, maîtresses du jeu

Le tiers-monde ne manque pas de dictateurs ou aspirants dictateurs, militaires ou civils, prêts à se battre les uns contre les autres, en saignant d’abord leur propre peuple, pour s’accaparer l’argent du pétrole… et devenir les valets en titre des grands trusts occidentaux. Ces dictateurs, même quand ils se présentent sous les traits de politiciens « démocrates », tout aussi corrompus, sont prêts à toutes les concessions, contrats au rabais ou fiscalité dérisoire, voire déplacements de population ou travail forcé, pour obtenir les faveurs d’une compagnie et d’un Etat impérialiste qui leur graisseront la patte et leur permettront de s’armer et d’exploiter leur propre population.

Mais les plus beaux marrons du feu sont évidemment tirés par les grands trusts. Ce sont eux qui disposent seuls des technologies et des capitaux, souvent gigantesques, nécessaires pour prospecter et exploiter de nouveaux gisements, et surtout des réseaux de commercialisation dans le monde, notamment dans les pays développés, principaux consommateurs. Et puis, pour négocier la plus grosse part du gâteau face aux Etats du Tiers-Monde, ils ont un atout essentiel : le soutien de leur Etat, les Etats-Unis, la France ou la Grande-Bretagne.

Une logique de sous-développement

La seule à ne pas bénéficier de l’argent du pétrole, c’est donc la population. Au Nigeria, pour reprendre cet exemple, loin de servir au développement économique à long terme du pays, cet argent a même alimenté une véritable dynamique de sous-développement. Alors que la population urbaine, dès les années 1960, augmentait de 11 à 13 % par an, le pouvoir a laissé décliner l’agriculture vivrière du pays, et a noué de fructueux contrats avec les multinationales de l’agro-alimentaire, des contrats qui avaient pour seul mérite de permettre aux militaires et affairistes en tout genre de se graisser la patte abondamment. La part des céréales importées, a largement augmenté, au détriment du manioc, du mil ou du sorgho, ce qui a causé la ruine de nombreux paysans. La bourgeoisie nigériane achetant massivement, par ailleurs, des équipements et des biens de consommation aux pays développés, avec l’argent du pétrole, sans l’investir dans les infrastructures et l’industrie du pays, les importations du pays ont décuplé, passant de 1,5 milliard de dollars en 1972 à 21,5 milliards de dollars en 1981. Mais l’industrie, à cette date, ne représentait toujours que 8,5 % du PNB.

Quand les prix mondiaux du pétrole se sont effondrés, au milieu des années 1980, le sous-développement du Nigeria est apparu dans toute sa crudité, dans la mesure où le pays était totalement dépendant des revenus du pétrole (75 % des recettes publiques). Face à une dette faramineuse, incapable de financer les importations dont dépendait pourtant le fonctionnement économique du pays et son alimentation elle-même, et soucieux, bien sûr, de préserver le niveau de vie des généraux et de la bourgeoisie, le gouvernement a saigné les masses pauvres : en 1985, les salaires ont été bloqués, alors que les prix alimentaires doublaient en 6 mois et que des centaines de milliers d’immigrés étaient chassés manu militari du pays. Les émeutes urbaines qui ont suivi ont été durement réprimées.

Chez le cinquième producteur de l’OPEP, le PNB par habitant est passé de 1000 dollars en 1980 à 250 dollars en 1990, et il n’est pas remonté depuis. La mortalité infantile serait de 100 pour 1000. A l’ombre du gigantesque centre d’affaires de Lagos, l’essentiel de la population croupit dans la misère, et pour la tenir en respect, la rente pétrolière a permis de mettre sur pied une armée de 250 000 hommes, d’engraisser la bourgeoisie du pays et les multinationales du pétrole, mais aussi bien d’autres firmes des pays développés, vendeuses de céréales, d’équipements industriels, de biens de consommation de luxe et, bien sûr, d’armes.

Une histoire de sous-développement, d’oppression et de guerre, que tous les peuples des pays sous-développés dont le pétrole a été exploité, ont vécue.

Bernard RUDELLI

Mots-clés Monde , Pétrole