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Education Nationale : De la grogne à la révolte

jeudi 1er avril 1999

Les vacances d’hiver ont marqué une pause dans ce que la presse appelle la guérilla anti-Allègre. L’agitation enseignante, si elle n’a touché qu’une minorité d’établissements de la région parisienne, embarrasse la gauche plurielle et le gouvernement. Un ministre de gauche est contesté par un milieu enseignant de même sensibilité, et les cris de « Allègre démission » s’accompagnent bien souvent de ceux de « Jospin trahison ».

« Allègre démission », un mot d’ordre fédérateur... mais limité

Le mouvement a démarré mi-janvier dans quelques lycées du Val d’Oise et de Paris, et s’est étendu, assez lentement, à d’autres lycées de ces deux départements, à l’appel de la Coordination du Nord parisien pour le Val d’Oise, et du Collectif pour la démission d’Allègre à Paris. Les mots d’ordre étaient alors au nombre de trois : démission d’Allègre, retrait des décrets pris depuis un an (notamment le décret sur les heures supplémentaires, qui a entraîné une baisse des salaires), retrait de la réforme des lycées en cours. Pour les deux collectifs à l’origine du mouvement la démission d’Allègre était un préalable. S’il est indéniable que la démission d’Allègre recueille des suffrages insespérés en salles des professeurs, ce slogan peut se révéler piégé si le ministre part en laissant sur le bureau de son successeur… toute sa politique.

Dans la tête de ses initiateurs, ce mot d’ordre s’accompagnait d’une forte réticence, non dénuée de corporatisme, à s’adresser à tous les personnels de l’éducation nationale. Cela a donné lieu à de multiples discussions, parfois vives, dans les assemblées générales d’établissement ou du mouvement. Les coordinations sont pour une large part animées par des militants du SNES (syndicat majoritaire du second degré), militants, sympathisants ou électeurs de gauche qui contestent la politique timorée de leur syndicat mais rechignent à remettre en cause celle du gouvernement, et par là à revendiquer des moyens supplémentaires. Et à l’approche du congrès du SNES, la représentativité de telle ou telle tendance semble un enjeu pour certains.

Puis le mouvement s’est étendu au Mantois, autour d’Argenteuil et de Cergy-Pontoise et en Seine-Saint-Denis, tout en s’élargissant à des collèges et des écoles : les revendications de moyens, embauches et titularisation des contrats précaires ont été adoptées par ceux qui rejoignaient la lutte. Ceux-là préféraient que la démission d’Allègre figure au bas de leurs revendications, comme la conséquence de celles-ci. Rappelons qu’au printemps dernier, les enseignants de Seine-Saint-Denis avaient revendiqué des moyens supplémentaires. De plus, l’assemblée générale des établissements en lutte du 93 a apporté au mouvement des habitudes de structuration qui peuvent se révéler précieuses si le mouvement reprend à la rentrée.

Le caniche, l’autruche et le caméléon

Allègre a bénéficié jusqu’ici du soutien d’une gauche plurielle `ien docile. Le SE-FEN, le SGEN-CFDT, ou encore certaines fédérations de parents d’élèves ne font entendre que des variations de la voix de leur maître. Autant d’appareils aux ordres qui pour servir de contre-feu au mouvement, viennent de signer un manifeste de soutien aux réformes Allègre.

La CGT présente surtout dans l’enseignement professionnel a choisi de faire l’autruche. Bernard Thibault, interrogé sur le sujet, s’est montré aussi consensuel qu’embarrassé, regrettant l’absence de dialogue serein entre le ministre et les enseignants. Ce n’est qu’à sa faible représentativité que la CGT doit ne n’avoir pas été l’objet du mécontentement et de la colère des enseignants mobilisés.

Quant au SNES, il a tout fait durant les premières semaines du mouvement pour l’empêcher de s’élargir, suscitant ainsi déception et colère. La secrétaire générale du syndicat, Monique Vuaillat, venait à peine de reprendre langue avec le ministre afin, au travers de négociations, de « réformer la réforme ». Sans doute le SNES entendait-il faire descendre dans la rue quelques milliers de personnes, lors de journées d’action sans lendemain ou de manifestations dominicales. Mais on a vu les bureaucrates du syndicat, représentants départementaux ou régionaux, invoquer toutes les raisons de ne pas rentrer dans ce mouvement. Les syndiqués les ont affrontés pour obtenir ne serait-ce qu’un clair appel à manifester aux côtés des enseignants en grève. En vain ! Le mouvement était très minoritaire expliquaient-ils, et le syndicat se devait de représenter les plus mobilisés comme les moins concernés. Dans certains lycées, on a vu les représentants syndicaux refuser de faire des assemblées générales, entretenir un climat de démoralisation et continuer de travailler normalement aux côtés d’enseignants en grève.

Bien des réunions furent houleuses, jusqu’à la réunion de coordination de la région parisienne le 4 février, à la suite d’une manifestation qui avait réuni 10 à 15 000 personnes. Le SNES avait réuni là des syndiqués quand la salle fut envahie par deux mille manifestants scandant « grève générale de l’éducation ». MoniqueVuaillat, interpellée vertement, préféra bientôt quitter la salle. Mais la direction du SNES allait infléchir sa position, à la fois par peur de se couper d’une base militante en colère, à l’approche d’un congrès syndical, et parce que le mouvement tenait.

Le SNES se décide à accompagner le mouvement… jusqu’à quand ?

Avec ses hauts et ses bas, avec des établissements qui reprenaient le travail et d’autres qui commençaient la grève, le mouvement a continué jusqu’aux vacances, de manifestation en manifestation. Aujourd’hui le SNES montre un autre visage, disant qu’il faut retirer les réformes en cours et que la rupture avec le ministre est consommée, reconnaissant par là une partie des revendications des enseignants mobilisés. Mais est-ce à dire qu’il tentera d’accroître et d’approfondir cette mobilisation ? A voir… Une chose est sûre : après avoir tenté de freiner cette agitation, le SNES a décidé de l’accompagner. C’est d’ailleurs l’attitude qu’a eu FO et surtout le syndicat SUD depuis le début du mouvement. Minoritaire dans l’enseignement, SUD est toujours apparu radical et proche en cela des plus décidés. Le fait même d’être minoritaire l’a préservé des critiques, tout en lui permettant d’espérer gagner des suffrages et des militants en profitant de la déception et de la colère suscitées par la politique du SNES.

Il n’y a à attendre des politiques syndicales que compromissions nouvelles et autres retournements, quand bien même les syndicats se porteraient au devant des plus combatifs. La suite du mouvement dépendra des enseignants eux-mêmes, de leur détermination, de leur capacité à s’organiser et à contrôler eux-mêmes : pour imposer d’autres réformes, des moyens à la hauteur des besoins, l’embauche et la titularisation de tous les contrats précaires, et alors, pourquoi pas, la démission d’Allègre.

Anne DESECRINS

Mots-clés Enseignement , Société