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Temps partiel : travailleuses et pauvres

jeudi 1er avril 1999

Dans l’offensive généralisée du patronat pour abaisser le coût du travail, le travail à temps partiel occupe une place de choix. En France il concerne aujourd’hui 3,7 millions de salariés, près de 15 % des salariés du privé. Les embauches à temps partiel se développent plus rapidement que les embauches à temps plein. En 1997 près d’une création d’emploi sur deux s’est faite à temps partiel.

Du point de vue du patronat, cette forme de travail comporte de nombreux avantages. Intensification du travail, adaptation parfaite du temps de présence aux besoins de l’entreprise, flexibilité par le jeu des heures complémentaires.

Le temps partiel illustre parfaitement le gouffre qui sépare généralement les campagnes idéologiques de la réalité du monde du travail. Rebaptisé « temps choisi » pour les besoins de la cause, le temps partiel est présenté comme un choix, comme la liberté de décider de son temps de travail et de loisir. La réalité est toute autre, le temps partiel est pour l’essentiel du chômage partiel. 40 % des salariés à temps partiel souhaiteraient travailler d’avantage.

Chômage partiel imposé aux femmes…

Ces chiffres généraux dissimulent cependant un élément essentiel : le travail à temps partiel concerne ultra majoritairement (plus de 80 %) les femmes.

Perpétuellement engagées dans une course contre la montre, les femmes sont la cible privilégiée des campagnes pour le temps choisi et du baratin sur la conciliation de la vie professionnelle et familiale. Dans une situation où la responsabilité de l’éducation des enfants, la charge des tâches ménagères reposent encore principalement sur les femmes, où les équipements collectifs pour les enfants en bas âge sont totalement insuffisants, certaines « choisissent », pour tenter de desserrer un peu les contraintes de la double journée de travail qui pèsent sur elles, de se payer leur réduction du temps de travail salarié.

Mais la diminution du temps travaillé et la réduction du salaire ne s’accompagnent que très rarement d’une diminution équivalente de la quantité de travail. Résultat : tout bénéfice pour l’employeur. Dans bien des cas, au bout de quelques mois le bilan pour la femme se traduit par encore plus de stress et de fatigue. Au travail, parce qu’elle doit faire en quatre jours ce qu’elle faisait auparavant en cinq. A la maison, parce qu’on constate que bien souvent le temps partiel s’accompagne d’un recul du partage des tâches dans le couple, le temps théoriquement « libéré » est progressivement occupé par les travaux ménagers, aussi invisibles qu’interminables.

Mais ce n’est là qu’un des aspects du temps partiel. Dans certains secteurs et professions il n’est question ni de choix ni de conciliation. Femmes de ménage, caissières, vendeuses, assistantes maternelles... ont le choix entre quelques heures, un peu le matin, un peu l’après-midi ou le soir, en fin de semaine... ou rien.

La conséquence immédiate de ce sous emploi dans des secteurs déjà sous payés est la pauvreté. Un SMIC à mi-temps c’est l’équivalent du RMI. Une étude récente montre que 77 % des emplois à bas salaire (moins de 4800 F par mois) sont des emplois à temps partiel et 80 % des très bas salaires (3600 F) sont touchés par des femmes.

…encouragé par le patronat et le gouvernement…

Loin de répondre à une demande des salariées, le temps partiel est bel et bien une forme de sous-emploi voulu et imposé par le patronat. Les femmes ont toujours représenté une part très importante, plus du tiers, de la population active, elles ont investi encore plus massivement le marché du travail dans les années soixante et tout cela à temps plein. Le temps partiel, quant à lui, s’impose en même temps que le chômage depuis le début des années 1980, de 6,5 % des actifs en 1981 à 17,1 % en 1998. Le travail féminin est une réalité massive mais on est bien loin de l’égalité. Les femmes restent moins payées, moins qualifiées, plus précaires. Leur situation subordonnée dans la famille et dans la société, leur oppression, le partage inégalitaire du travail domestique en font, malgré le fait qu’elles représentent 42 % de la population active, des travailleurs de seconde zone. Comme si, au mépris de la réalité vécue par des millions de femmes, leur « vraie » place était le foyer et leur salaire un appoint.

Le travail à temps partiel, déjà très profitable pour les patrons parce qu’il soumet totalement les salariés et salariées à leurs exigences, est en plus encouragé par une exonération de 30 % des charges patronales depuis les « lois pour l’emploi » de 1992 et 1993. La loi Aubry ne remet pas en cause ces aides. Dans le public aussi le temps partiel est des plus en plus imposé. La direction de France Télécom par exemple a l’objectif de doubler les temps partiels.

Patronat, gouvernement et Etat-patron s’entendent parfaitement pour dissimuler le chômage, flexibiliser et intensifier le travail en utilisant et renforçant les inégalités à l’encontre des femmes.

…facilité par l’idéologie réactionnaire dominante

Les campagnes idéologiques contre le droit au travail des femmes n’ont jamais cessé, les femmes salariées sont accusées de voler le travail des hommes, de déserter le foyer et de délaisser les enfants, elles deviennent les responsables à la fois du chômage et de la délinquance des jeunes.

Cette idéologie réactionnaire n’épargne pas le mouvement ouvrier et syndical. Rappelons que dans un premier temps il s’est opposé au travail des femmes responsable selon lui de la baisse des salaires ! Elle est à l’origine de sa tolérance voire son indifférence à l’égard du sous-travail et de la pauvreté des femmes salariées. Bien trop rares sont les syndicats qui, avec le Collectif unitaire pour les Droit des Femmes mènent campagne contre le temps partiel imposé et exigent la suppression des exonérations et aides au temps partiel, l’accès au temps plein à la demande des salariés et salariées…

En dépit de cette intoxication, jusqu’à récemment ni le chômage, ni la culpabilisation des femmes ne réussissaient à chasser les femmes des ateliers, des bureaux ou des services. Il en va différemment depuis quelques années : sous l’effet de l’Allocation Parentale d’Education créée en 1983 par le gouvernement socialiste pour inciter un des parents, formulation hypocrite s’il en est, à cesser de travailler à la naissance du troisième enfant, étendu en 1994 par Balladur au deuxième enfant, le taux d’activité des femmes entre 25 et 29 ans, mères de deux enfants, a chuté de 1994 à 1997 de 61,5 % à 52 %.

Les politiques d’encouragement au retour au foyer, d’austérité pour les services publics de la petite enfance et de précarisation des salariés et salariées se conjuguent pour remettre très pratiquement en cause le droit au travail des femmes. Et comme c’est la relativisation de ce droit qui fait des femmes, avec les jeunes, le point de plus faible résistance à l’offensive patronale contre les acquis et garanties collectives des salariés et salariées, on voit bien que la lutte contre le chômage par des mesures radicales et contre l’oppression des femmes sont indissociables.

L’alternative est limpide, soit la réduction massive du temps de travail payée par les profits qui assure à chacun et chacune les moyens et le temps de vivre et de s’épanouir, soit la précarisation et la division de la classe ouvrière entre celles et ceux qui ont un emploi et travaillent trop et trop dur et ceux et surtout celles qui sont au chômage total ou partiel et dans la pauvreté.

Frida FUEGO

Mots-clés Société