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Le système des retraites actuellement en vigueur en France : des « retenues sur gages » de Colbert, au système par répartition de 1945

mardi 1er juin 1999

Au début du XIXe siècle, à l’aube de la société capitaliste en France, il n’existe d’autre secours, pour le travailleur rendu inapte à la tâche par la maladie ou la vieillesse, que celui des ses proches ou de la charité publique. Dans la classe ouvrière naissante, l’entraide – comme l’organisation de la résistance élémentaire à l’exploitation – prend très tôt la forme de sociétés de secours mutuels, malgré l’interdiction qui frappe les « coalitions » professionnelles depuis la loi Le Chapelier du 17 juin 1791. De leur côté, les « dépôts de mendicité », créés par l’État en 1808, relèvent plus de la répression que de l’assistance.

Les premières initiatives de la grande bourgeoisie et de l’État

Les premiers systèmes de retraites, d’initiative patronale, apparaissent, à partir du milieu du XIXe siècle. Pour la bourgeoisie il s’agissait d’attacher aux entreprises une main-d’œuvre majoritairement d’origine rurale, parfois d’y retenir des travailleurs qualifiés attirés ailleurs par des salaires plus élevés.

Dans les mines, des caisses patronales, d’assistance puis de retraites, se développent dès 1820, en particulier à la suite de catastrophes minières. Les grandes compagnies de chemin de fer emboîtent le pas à partir de 1850. Et en 1896, les quelques 147 autres caisses existantes concernent toutes la grande industrie naissante (métallurgie, textile, chimie...).

La même logique avait présidé à la généralisation par l’État de pensions de retraites aux militaires, dès 1831, puis aux fonctionnaires civils, en 1853. Il s’agissait de plus, en ces deux occasions, de consolider un nouveau régime en stabilisant l’appareil d’État.

Dans la même période, les soulèvements sociaux, en particulier la révolution de 1848, amènent les hommes politiques de la bourgeoisie française à envisager une politique face à la « question sociale ». Pour les politiciens libéraux, la misère du prolétariat des grands centres industriels et urbains – particulièrement celle des vieux – résulte avant tout de « l’imprévoyance » des ouvriers. Aussi vont-ils prétendre résoudre la « question des retraites ouvrières » par l’incitation à l’épargne volontaire, avec la création, le 18 juin 1850, de la Caisse Nationale des Retraites. Elle sera suivie en 1856 de celle d’un fonds collectif d’épargne-retraite au profit de certaines caisses de secours mutuels autorisées à verser des pensions de retraite – autorisation accordée aux seules caisses mutualistes « patronnées » par des « membres honoraires », bourgeois ou notables locaux, y apportant des fonds.

Mais dans la pratique, pour l’immense majorité des travailleurs, soumis à la précarité et aux bas salaires, l’épargne volontaire – ancêtre de la « capitalisation » – se révélera un leurre, et les pensions de retraite constituées, parfois après de nombreuses années de cotisations, resteront faibles, voire dérisoires.

Le droit à la retraite : une revendication ouvrière

En fait, même avec les premiers systèmes de retraites, le droit à la retraite est quasi inexistant vers la fin du XIXe siècle. Dans la grande industrie, et plus encore dans les mines, la plupart des caisses patronales fonctionnent de façon autonome par rapport à la Caisse Nationale des Retraites. Dans nombre de cas, le statut des retraites reste indéterminé : lorsqu’aucun âge de départ n’est prévu, une pension peut n’être accordée que lorsque survient l’incapacité au travail, ou, arbitrairement, comme « récompense » après des années d’activité dans l’entreprise. Un travailleur pouvait même perdre tous ses droits s’il quittait l’entreprise, quel que soit son âge !

Il en allait d’ailleurs de même pour les fonctionnaires en cas de départ anticipé, l’administration restant libre de décider la date de ce départ. Il faudra attendre une loi du 14 avril 1924, pour faire, même de la retraite des fonctionnaires, un droit !

Vers la fin du XIXe siècle, à côté des revendications concernant les salaires, les conditions et la durée du travail, apparaissent les premières revendications ouvrières sur la protection sociale, et les retraites en particulier.

La revendication du droit à la retraite pour tous est à l’ordre du jour du premier congrès de la CGT, en 1895. Auparavant, des grèves générales dans les mines avaient conduit à la loi du 29 juin 1894 instaurant dans les compagnies minières un régime de retraites obligatoire avec cotisation patronale. Par ailleurs, dès avril 1893, le syndicat des travailleurs des chemins de fer revendique une réglementation uniforme des caisses de retraites de toutes les compagnies, une retraite minimum après 20 ans de travail, sans condition d’âge ni retenue sur salaire, ainsi que la gestion des caisses par une commission paritaire. L’unification des régimes existant dans les grandes compagnies sera réalisée par des lois de 1909 et 1911.

Les caisses de retraites par capitalisation et leur faillite… une vieille histoire !

Les premiers dispositifs de prévoyance étaient basés sur la capitalisation. Celui des invalides de la Marine, créé en 1673 par Colbert – ancêtre des actuels régimes spéciaux des marins et des fonctionnaires civils et militaires – était fondé sur le principe de retenues sur gages, confiées en dépôt au ministre de la Marine... Deux siècles plus tard, un scandale vide les caisses et prive les « demi-soldes » de leurs pensions ! Des affaires analogues touchent des caisses patronales, alors récentes : en 1888, une compagnie minière de la Loire engloutit les fonds de retraite de ses ouvriers ; l’année suivante, c’est le tour du Comptoir d’Escompte de Paris... Au point que l’État légifère en 1895 pour réglementer les fonds de retraite.

Dans ce contexte, la loi du 5 avril 1910 instaurant les « Retraites Ouvrières et Paysannes », première esquisse d’un régime général et obligatoire, rencontre une hostilité symétrique : la CGT dénonce la « duperie » et « l’ironie » de cette « loi bourgeoise », confiant la gestion des fmnds aux seuls patrons et ne promettant en contrepartie des cotisations que des pensions tardives et dérisoires ; la bourgeoisie de son côté s’oppose surtout au principe d’une assurance-vieillesse obligatoire. Ce principe restera d’ailleurs lettre morte car, dès juin 1912, un arrêt permet de contourner aisément l’obligation.

Finalement, en 1928-1930, les lois sur les « Assurances Sociales » prévoient une protection sociale obligatoire pour tous les salariés à faibles revenus, financée par des cotisations salariales et patronales. Basé en principe sur la capitalisation, le nouveau système de retraites introduit néanmoins une part de répartition, destinée à assurer un strict minimum à tous les retraités. Dans les faits, l’inflation des années suivantes lamine les revenus de capitalisation et les pensions versées, aussi faibles soient-elles, proviennent essentiellement de la répartition. C’est le régime de Vichy qui entérine finalement la faillite du système de retraites par capitalisation, en y substituant en mars 1941 un régime par répartition.

Depuis 1945, les retraites à l’heure de la répartition

Ce système est généralisé au lendemain de la guerre avec la création de la Sécurité Sociale, en octobre 1945.

Dans un premier temps, l’affiliation au régime général devient obligatoire pour les salariés du commerce et de l’industrie. Pour les retraites, comme pour l’assurance-maladie, le financement repose sur les cotisations salariales et patronales. Bien que proche du régime général, la protection sociale des salariés agricoles continue à être gérée séparément par la Mutualité Sociale Agricole. Puis, dès 1949, le système s’étend – avec la mise en place de caisses spécifiques – aux artisans, industriels et commerçants, ainsi qu’aux professions libérales.

A côté du régime général ont aussi subsisté des régimes spéciaux de retraites qui existaient avant guerre – en particulier pour les fonctionnaires et ouvriers d’État, les travailleurs des mines ou, des chemins de fer et les marins. Pour les salariés relevant de ces régimes de retraites, l’affiliation au régime général aurait conduit à une unification par le bas ; ils obtiennent le maintien de leur régime spécifique par un décret du 8 juin 1946. Par ailleurs, le régime spécial d’EDF-GDF naît, en 1946, avec la nationalisation des industries électriques et gazières.

Pour les anciens salariés, le montant de la pension dépend essentiellement de la durée de l’activité professionnelle, du montant des salaires reçus, et de l’âge de départ en retraite.

Cette retraite de base d’un montant maximum égal à la moitié du salaire était totalement insuffisante pour vivre. Aussi assiste-t-on dans les premières décennies de l’après-guerre à la création de multiples régimes de retraite complémentaire. Cela commence dès 1947 par les catégories sociales qui peuvent le plus supporter la ponction d’une cotisation supplémentaire sur leurs salaires, les cadres, avec la création de l’AGIRC [1]. Cela va se généralise peu à peu aux autres salariés, surtout après la création de l’ARRCO [2] en 1961, qui fédère près d’une centaine de caisses. L’affiliation à un régime de retraite complémentaire devient même obligatoire pour les salariés en 1972, et pour les artisans en 1979 ; depuis 1973, les cadres cotisent à l’ARRCO pour la partie de leur salaire inférieure au plafond de la Sécurité Sociale.

Lorsqu’on parle aujourd’hui de « retraite » il s’agit donc en réalité de deux pensions : celle versée par la Sécurité Sociale qui verse au maximum 50 % du revenu moyen d’activité professionnelle limitée au plafond de la Sécurité Sociale (14 470 F bruts par mois au 1er janvier 1999) et celle provenant des caisses de retraite complémentaire qui verse un complément qui permet d’atteindre en moyenne aujourd’hui un total de 80 % de l’ancien salaire moyen. La proportion de la part complémentaire dans le total de la retraite varie donc en importance en fonction des revenus salariaux. Pour la plupart des travailleurs qui sont payés en dessous du plafond la retraite est majoritairement celle du régime général vieillesse, pour les salariés mieux payés et les cadres c’est la partie complémentaire qui en constitue l’essentiel.

La retraite à 60 ans à taux plein, de moins en moins possible !

En 1996, 13 ans après le passage de la retraite à « 60 ans », l’âge moyen du départ en retraite était de 61,98 ans. Car l’expression « retraite à 60 ans » est trompeuse. Elle signifie seulement que, depuis le 1er avril 1983, un salarié peut partir dès 60 ans avec une retraite du régime général au taux maximum, mais à condition – sauf exception – d’avoir cotisé pendant un nombre suffisant de trimestres.

Depuis 1971 ce taux s’appliquait au salaire moyen des dix meilleures années, et la pension entière (taux × salaire moyen plafonné) était acquise après 150 trimestres de cotisations, soit 37 ans et demi.

Mais suite aux mesures de Balladur visant le régime général, à l’été 1993, le nombre de trimestres de cotisation nécessaire à l’obtention du taux plein à 60 ans augmente progressivement pour atteindre 160 trimestres – soit 40 années de cotisation – en 2003. De plus, le salaire moyen est calculé sur un nombre croissant d’années : en 2008, la moyenne sera effectuée sur les 25 meilleures années ! Cela abaissera évidemment le montant de la retraite pour tous les salaires situés sous le plafond de la Sécurité Sociale, surtout pour les travailleurs – toujours plus nombreux – qui auront connu de longues périodes d’inactivité, de précarité ou de chômage. De plus ces mesures, si elles ne remettent pas formellement en cause la « retraite à 60 ans », placeront de fait un nombre de plus en plus élevé de travailleurs devant l’alternative : partir dès 60 ans avec une retraite moindre (taux plus faible) ou retarder leur départ vers 65 ans ou plus, à condition d’ailleurs d’avoir le choix, donc de ne pas être en préretraite ou au chômage avant !

Cette réforme du régime général est aussi assortie d’un changement dans le mode d’indexation des pensions. Elles évoluent désormais en fonction de l’indice des prix et non plus de celui des salaires. D’après le rapport Briet (établi en 1995, à la demande de Balladur), ceci pourrait avoir pour effet de limiter la progression des pensions à 15 % d’ici 2015, alors qu’avec le mode de calcul antérieur elle aurait été de 50 % environ. Cette réforme devrait à terme entraîner le recul de l’âge départ en retraite d’environ un an et demi en moyenne pour un tiers des salariés [3].

En définitive, partie d’une situation catastrophique, la condition des retraités s’est globalement améliorée ces deux dernières décennies pour atteindre un niveau qui n’a rien d’extraordinaire surtout pour les bas salaires : 81,9 % du salaire moyen antérieur pour le régime général ; 96,4 % pour le public, sachant que les primes qui peuvent représenter 20 % du salaire ne sont pas prises en compte dans la moyenne (chiffres du rapport Briet). Après cette brève période d’amélioration, les retraites sont aujourd’hui de nouveau ponctionnées par tous les bouts : par la durée de cotisations, par la modification du nombre des années de référence, par le nouveau mode de revalorisation ; et, à l’arrivée, une fois la retraite liquidée, par l’augmentation des prélèvements sociaux qu’on lui applique, comme la CSG.

Gérard WEGAN et Angèle ROSSIN


La retraite complémentaire également sur la sellette

Le projet actuel résumé dans le rapport Charpin ne traite que de la partie « régime général » du système de vieillesse. Parallèlement, les régimes de retraite complémentaires ont déjà entériné plusieurs plans de restriction depuis le début des années quatre vingt dix.

La retraite complémentaire de la majorité des salariés du privé est aujourd’hui gérée par deux grands organismes, l’ARRCO et l’AGIRC qui versent respectivement les pensions des salariés non cadres et cadres. Ils fonctionnent tous deux sur le système de la répartition basé sur la solidarité entre les travailleurs actifs.

La majorité des régimes de retraite regroupés dans ces associations pratiquent un système de cumul de points par année de salariat. Chaque année l’organisme de retraite complémentaire fixe un salaire de référence déterminant la valeur d’achat d’un point. Le nombre de points de chaque salarié est obtenu en divisant le total des cotisations annuelles versées (parts salariale et patronale cumulées) par la valeur du point. En fin de carrière, au moment de la liquidation, le cumul est multiplié par la valeur du point pour obtenir le montant de la retraite complémentaire.

La réforme de 1996 a limité l’évolution des retraites complémentaires en jouant sur la valeur de ce point, sous prétexte d’un déficit prévisionnel pour 2005 chiffré en 1996 à 37 milliards pour l’ARRCO et de 130 milliards pour l’AGIRC.

Le plan de restrictions qui a été décidé (pou la période 1996/2005) produit ses effets en ce moment, à tel point que l’exercice 1999 de l’ARCCO devrait se solder par un excédent de 14,2 milliards de francs ! La révision du mode de calcul du salaire de référence (prix d’achat du point) conduit, pour un salaire constant et pour un même taux de cotisation, à attribuer moins de points en 2000 qu’en 1995 : 14,5 % de moins pour l’ARCCO et 21 % de moins pour l’AGIRC [4].

A.R.


[1Association Générale des Institutions de Retraites des Cadres

[2Association des Régimes de Retraites Complémentaires

[3CFDT NOUVELLES Conseil National des 13/14 et 15 avril 1999 "Diagnostic des régimes de retraite à l’horizon 2040

[4Rapport du Sénat n°73, 1997-98, d’Alain VASSELLE – tome III – Financement de la Sécurité Sociale – Assurance vieillesse

Mots-clés Histoire , Retraites , Société