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Les travailleurs grecs et Syriza : les illusions perdues ?

mardi 6 octobre 2015

La gauche a derrière elle une longue histoire de trahison des intérêts des travailleurs qu’elle prétend défendre. Mais la rapidité avec laquelle le « gouvernement anti-austérité » de Syriza s’est converti en chambre d’enregistrement des exigences des financiers en dit long sur la période et sur les tâches des révolutionnaires. Long sur la férocité des appétits de la bourgeoisie qui ne laisse aucune marge de manœuvre dans la crise. Mais long aussi sur l’impuissance des courants de gauche ou de gauche de la gauche, qui se sont refait une santé dans quelques pays européens comme l’ont montré la progression de Podemos en Espagne ou l’élection de Jeremy Corbyn à la tête du Labour anglais.

Syriza élu sur programme light

Lors des élections législatives du 25 janvier dernier, Syriza est devenue la première force politique de Grèce, avec plus de deux millions de voix (sur moins de 10 millions d’électeurs). Depuis le premier plan d’austérité, ou mémorandum, imposé en mai 2010, la Grèce avait été successivement gouvernée par les socialistes du Pasok, aujourd’hui largement discrédités – ils ont obtenu 6,3 % aux dernières élections législatives –, un gouvernement dit « technique » dirigé par le banquier Papadémos, et une grande coalition regroupant les conservateurs de la Nouvelle démocratie (ND) et le Pasok.

La victoire électorale de Syriza – présenté en Grèce comme en France comme un parti d’extrême gauche, et qui apparaissait sûrement comme tel aux nombreux travailleurs qui ont voté pour lui – s’est donc produite dans un contexte de valse des gouvernements, de crise politique des vieux partis, usés par la mise en application brutale des mémorandums signés à Bruxelles.

En votant Syriza malgré les cris d’orfraie des politiciens, des capitalistes, des médias grecs et européens, la population grecque a signifié son refus des plans d’austérité qui s’étaient abattus sur elle depuis 2010.

Durant sa campagne électorale de janvier 2015, Aléxis Tsípras, le principal dirigeant de Syriza, avait donc tapé sur ce clou. Quelques mesures phares étaient avancées : revenir sur les privatisations, ramener le Smic à son niveau de 2010, c’est-à-dire 700 euros, et rétablir l’électricité aux foyers pauvres chez qui elle avait été coupée.

Pour financer la fin de l’austérité, Tsípras avait annoncé une grande lutte contre la corruption et l’évasion fiscale. Pas question de s’en prendre aux profits de la bourgeoisie ! Au contraire, ses discours se coloraient de plus en plus d’une tonalité d’unité nationale, de l’idée que le programme de Syriza serait à la fois favorable aux travailleurs et aux patrons puisque la fin de l’austérité relancerait l’économie.

Des mois d’inaction…

Pour faire patienter les créanciers de l’État grec, les institutions et gouvernements européens responsables des deux premiers mémorandums, Tsípras mettait déjà en avant le pouvoir des négociations qui, si elles étaient appuyées par une solide victoire électorale et un élan de solidarité dans les autres pays de l’Union, permettraient de faire entendre raison à Merkel, Hollande, l’Eurogroupe et la Banque centrale européenne (BCE).

Premier parti à l’assemblée, Syriza conclut dès le 27 janvier un accord avec un petit parti de droite, nationaliste, militariste et réactionnaire, appelé Grecs indépendants ou Anel, dont le chef s’est vu confier le ministère de la Défense. Une façon de rassurer la bourgeoisie grecque sur les intentions du nouveau gouvernement. Et un nouveau jalon pour accréditer l’idée que le principal clivage politique actuel serait entre d’un côté les partisans de l’Union européenne et, de l’autre, les nationalistes souverainistes.

À peine un mois plus tard, le 20 février, le nouveau gouvernement signait un accord avec la troïka qui représente les créanciers de la Grèce : la BCE, le FMI et la Commission européenne. En échange de quatre mois de répit sur le paiement des intérêts de la dette, Tsípras s’engageait à reconnaître et appliquer les deux mémorandums précédents. Tsípras et Varoufákis, son ministre des Finances, ont eu le culot de présenter cet accord comme une victoire, car l’usage du mot « troïka » y était dénoncé et remplacé par l’expression « institutions ». Ont suivis quatre mois de négociations interminables durant lesquels le gouvernement Syriza justifiait son inaction en Grèce par l’attente du résultat de ces discussions.

La manœuvre politicienne du référendum

Le 26 juin, date de l’échéance de l’accord du 20 février, les créanciers présentèrent leur dernière proposition. Aucun accord ne fut trouvé et la Grèce fut incapable de verser une échéance de 1,6 milliard d’euros au FMI. Deux jours plus tard, la BCE étranglait les banques grecques en les privant d’euros : le gouvernement fut contraint de les fermer et de limiter les retraits quotidiens. Une mesure de rétorsion sans fondement économique, un chantage politique contre les Grecs.

Le 27 juin, dans l’impasse, Tsípras annonçait la tenue d’un référendum la semaine suivante. La question était simple : « Pour ou contre le plan présenté par les créanciers le 26 juin ? ». La réponse beaucoup moins. Pendant quelques jours, Tsípras n’a pas donné de consigne de vote. Puis, trois jours avant le scrutin, il proposa de l’annuler en échange d’un accord un peu meilleur. Il appela finalement à voter NON, bien seul, avec l’extrême-gauche et les néo-nazis d’Aube dorée, face à une campagne hystérique des bourgeoisies grecque et européenne pour le OUI. Même la centrale syndicale du privé, ainsi que la confédération européenne des syndicats, la CES, ont cru bon d’ajouter leurs voix au chœur du OUI.

Le résultat du référendum du 5 juillet fut sans appel : plus de 61 % des suffrages, un raz-de-marée pour le NON dans la jeunesse, avec des pointes dans les quartiers ouvriers (comme les bureaux de vote du port du Pirée où le NON a obtenu environ 75 %).

Le soir du 5 juillet, pour les partis du OUI, ce fut la débandade. Les chefs du Pasok et de la ND démissionnèrent en direct à la télé, ouvrant des guerres de succession au sein de leurs partis. Mais, dès le lendemain matin, Tsípras convoquait tous les partis dans une réunion dite « d’union nationale », dont sortit un communiqué signé par toutes les forces politiques, à l’exception des néo-nazis d’Aube Dorée et des communistes du KKE. Dès le 9 juillet, quatre jours après la victoire du NON au référendum, après s’être assuré du soutien des partis du OUI, Tsípras annonçait qu’il allait proposer aux créanciers... leur plan du 26 juin. Le jour même, il obtint une quasi-unanimité au Parlement pour négocier sur ces bases à Bruxelles.

Mais cela ne suffisait plus aux créanciers. Il ne fallait pas que Tsípras puisse seulement se parer de l’apparence du sauveur de l’unité nationale après son référendum. Le 13 juillet au petit matin, Tsípras accepta un « accord », encore pire que les précédents mémorandums et encore pire que la proposition du 26 juin refusée par référendum. Le 15 juillet, ce 3e mémorandum fut adopté à une écrasante majorité par le Parlement grec. Syriza, élu sur la base du refus de l’austérité et des mémorandums, validait les deux premiers et s’engageait à faire passer le troisième.

Tsípras avait répété aux Grecs qu’il organisait le référendum pour renforcer sa position dans les négociations avec les créanciers. Mais le résultat a bien montré que ces vautours n’ont pas peur des urnes. Finalement, Syriza aura utilisé tout son crédit électoral pour faire avaler la politique des créanciers à la population qui l’avait porté au pouvoir.

Syriza accepte de renoncer à ses quelques mesures en direction des plus pauvres

La seule concession obtenue par Tsípras face à la troïka concernait le maintien d’une partie du budget... militaire. C’est bien sûr le sens de l’alliance avec Anel, les Grecs indépendants, mais pas seulement : Syriza a un héritage stalinien nationaliste anti turc bien ancré.

L’intransigeance de la troïka a choqué bien au-delà des cercles radicaux. Le Monde et des économistes bourgeois ont dénoncé le 3e mémorandum comme une « véritable mise sous tutelle ». Humiliation supplémentaire : Syriza a dû accepter l’annulation des lois adoptées par le Parlement depuis le 20 février. Il n’y en avait pas eu beaucoup, pas plus qu’elles ne contenaient des dispositions spectaculaires favorables aux travailleurs. Mais la troïka voulait décidément faire mordre la poussière à ce gouvernement. Qui l’a accepté !

Pour sauver la face, Tsípras s’est vanté d’avoir obtenu, en échange des sacrifices imposés à la population, des aides, des prêts-relais et la promesse d’une renégociation de la dette. Mais les 35 milliards d’aide ne sont que le déblocage du budget normal attribué par l’UE à ses membres, et qui avait été gelé depuis le 20 février. Quant aux 86 milliards de prêts, c’est loin d’être de la charité puisque qu’il faudra payer à nouveau des intérêts dessus… Alors même que cette somme aura fondu après le paiement des échéances à venir d’ici la fin de l’année et le nécessaire renflouement des banques. En fait d’aide, la Grèce a gagné de nouvelles chaînes.

Raphaël PRESTON


Un nouveau mémorandum anti-ouvrier

Le 3e mémorandum contient surtout des attaques contre les travailleurs. La TVA passe de 13 % à 23 % pour une liste impressionnante de produits de consommation courante comme les préparations alimentaires pour enfants, le pain, le courant électrique et le gaz naturel, les produits pharmaceutiques, les tickets de métro et de bus, etc.

L’âge de la retraite est repoussé à 67 ans, le minimum vieillesse est amputé de 93 euros pour tomber à 390 euros par mois, la taxe d’habitation fraîchement créée lors d’un précédent mémorandum augmente, ainsi que les impôts sur les revenus des plus pauvres (depuis le deuxième mémorandum, un foyer grec est imposable à partir de 600 euros par mois). Un ménage endetté pourra voir réquisitionnée sa résidence principale (même si celle-ci n’est pas l’objet de l’endettement, les Grecs étant souvent propriétaires de leur logement de famille depuis des décennies). Les licenciements seront encore facilités, et il a été accordé un délai de trois mois aux syndicats pour renégocier chaque convention collective, délai à l’issue duquel celles-ci seront purement et simplement supprimées au profit du droit du travail brut.


Que cache l’« austérité » ?

On parle souvent d’austérité. On emploie aussi ce mot parce qu’il est passé dans le vocabulaire courant. Mais ce n’est pas vrai. Le budget de l’État grec n’a rien d’« austère » : des sommes faramineuses sont versées en intérêts aux banques, aux institutions et aux États créanciers ! C’est vrai ailleurs qu’en Grèce : en France par exemple, les subventions directes ou indirectes au patronat dépassent chaque année 100 milliards d’euros ! Ce qu’on appelle « austérité », c’est une politique au service du patronat, de la bourgeoisie en général, promue par les gouvernements pour réduire la part des travailleurs dans le revenu global au prétexte de la crise de la dette. D’ailleurs les attaques contre le Smic et les conventions collectives n’ont rien à voir avec le fait d’équilibrer le budget de l’État, bien au contraire.

Mots-clés Austérité , Grèce , Monde , Syriza
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