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Autriche : Un goût de révolution dans les hôpitaux ?

samedi 27 juin 2015

L’Autriche passe pour un pays capitaliste stable dont le taux de chômage est faible, possédant un des meilleurs systèmes sociaux et une classe ouvrière peu combative. Bien que les syndicats autrichiens détestent la lutte des classes, il y a eu ces dernières semaines de l’agitation dans les hôpitaux. Voici, vu de Vienne, un point sur la crise et les conflits dans le domaine de la santé.

La coupe a débordé

Au 1er janvier 2015, la directive communautaire européenne limitant le travail hebdomadaire à 48 heures est entrée en application. Jusqu’alors, les semaines de 72 heures étaient fréquentes, en particulier chez les médecins. La directive existait depuis une dizaine d’années déjà, mais rien sur le plan politique ne laissait présager une telle entrée en vigueur : en particulier la ré-attribution du « domaine de coresponsabilité » au service de soins (infirmiers et aides-soignants) [1], tout simplement inapplicable au vu de la surcharge de travail.

Pour les médecins, la réduction du temps de travail signifiait jusqu’à 40 % de perte de salaire. Partout en Autriche, on a vu éclater des conflits, pour la plupart menés par de jeunes médecins, afin d’obtenir une augmentation de salaire de 30 %. À l’échelle du pays entier, un vaste réseau s’est mis en place en dehors des centrales syndicales existantes. Un nouveau syndicat de médecins « Asklepios » (Esculape) a vu le jour, qui se situe en marge de la confédération syndicale officielle, et jouit de crédit auprès des médecins en lutte. À la fin mai avaient été mis au point des accords prévoyant des augmentations conséquentes de salaires. La situation demeure largement incertaine à Vienne, où des dispositions ont été prises en vue d’une grève.

C’est le secteur des soins qui trinque, accablé d’un côté par les tâches administratives pour pallier le manque de personnel dans les bureaux, de l’autre par le surcroît de tâches médicales. Des services de trente lits se voient parfois affecter dix lits supplémentaires qu’il faut installer dans le couloir. La réduction du temps de travail des médecins aggrave la situation de pénurie de personnel. Il arrive que des services d’ambulances soient amenés à fermer, la santé du public est mise en danger. Pas un jour sans informations sur des patients refoulés de l’hôpital, voire des décès liés au manque de personnel soignant.

« Care Revolutions » [2] ou CaREvolution…

Les cliniques régionales de Salzbourg ont également été touchées par la réduction du temps de travail et la perte de salaire occasionnée. Des élus aux Betriebsräte (comités d’entreprise) ont réclamé 30 % d’augmentation, comme l’avaient fait les médecins. Un jeune élu soignant, engagé dans le mouvement, a lancé une campagne de soutien sur YouTube et Facebook. En signe de solidarité, les soignants devaient poster des photos (« selfies » à la mode !) où ils brandissaient des pancartes manifestant leur soutien à la CaREvolution. Des centaines de photos venues de différents hôpitaux du Land de Salzbourg ont été publiées, avec un gros succès médiatique. Les revendications ont été portées dans la rue sous forme de rassemblements et manifestations. Bien que les résultats finalement obtenus par les négociateurs aient été décevants, la lutte a servi de modèle pour des initiatives similaires dans d’autres Länder.

Dans le Land de Haute-Autriche, marqué déjà par de nombreux conflits et grèves en milieu hospitalier, le gouvernement régional a annoncé 25 millions d’économies sur les aides sociales et la santé. Face à cela, les réseaux mis en place au cours des luttes passées (entre autres par ces élus de comités d’entreprise combatifs) ont appelé à des manifestations et évoqué la grève. Aidés par des militants de gauche et s’appuyant sur le personnel, ils ont commencé à mettre en place la « CaREvolution de la Haute-Autriche ». En Carinthie, au Tyrol et en Styrie, des initiatives pour l’augmentation des salaires dans la santé ont vu le jour, et sont nés des débats sur l’élargissement d’une « CaREvolution », par en bas…

La campagne a atteint Vienne

Des soignants, surtout parmi les jeunes, se sont joints à cette campagne à Vienne. Sous l’effet de la surcharge permanente de travail, de la lutte des médecins et de dégradations supplémentaires des conditions de travail, les lamentations ont progressivement cédé la place à l’impertinence militante.

En mars dernier, des soignants issus de cinq grands hôpitaux publics viennois ont participé à une assemblée de coordination à l’initiative de militants d’extrême-gauche actifs depuis des années dans le milieu hospitalier. Décision fut prise de jeter les bases d’une « Révolution CARE de Vienne », défendant les intérêts de toutes les catégories professionnelles hospitalières. Son objectif : lutter ensemble contre la surcharge de travail, pour des embauches et pour l’augmentation des salaires.

Parmi les premières actions, on compte un « service de soins solidaires » mis en place au cours d’une manifestation de médecins et un groupe public Facebook qui a réuni en quelques jours plusieurs milliers de personnes. Premier grand succès : la réussite d’une « flashmob » dans le cortège du 1er mai du Parti social-démocrate et des syndicats. L’action « la Santé à terre » a rassemblé environ 100 soignantes et soignants et des militants de gauche sur la place de la mairie, qui ont entravé quelques minutes l’accès à la tribune, tandis qu’une intervention était faite sur les problèmes et les revendications des soignants. Aux cris de « La Santé est à terre – mais nous on se lève » [3], une manifestation s’est dirigée vers la tribune où le maire de Vienne, le président de l’ÖGB (fédération syndicale autrichienne) ainsi que d’autres responsables politiques de premier plan ont été bruyamment pris à partie.

Le 12 mai, journée internationale de la santé, nouvelle « flashmob » de plus de 200 personnes avec l’appui du syndicat des services publics (membre de l’ÖGB). Dans les médias, les problèmes spécifiques au secteur de la santé se sont désormais invités. Des représentants de médecins ont appelé à des améliorations et le syndicat a annoncé des négociations en vue d’embauches et d’augmentations de salaire.

Le secteur tout entier est en ébullition : des revendications sont concrétisées, des liens sont tissés avec le personnel de certains hôpitaux privés et du domaine social, comme avec les représentants de médecins et de soignants. Des conférences et des manifestations ont été prévues afin de faire pression sur le gouvernement, mais aussi pour imposer aux syndicats davantage de transparence, en particulier l’instauration d’un vote à l’issue des discussions qu’ils ont avec les patrons de la Santé.

Cette année en matière de santé, on peut s’attendre à un été chaud !

8 juin 2015,

Florian WEISSEL


Des prémices à chercher déjà dans les années 1980

À cette époque, des soignants débordés avaient secrètement mis fin à la vie de quelques patients âgés à l’hôpital de Lainz (Vienne). Alors que le corps médical exprimait publiquement son indignation, un collectif de base (« Action pour les soins » – AP) s’était constitué. Celui-ci a mis à profit le scandale public pour pointer du doigt le manque de personnel, la surcharge de travail et l’insuffisance des salaires.

Après quelques manifestations organisées par ce collectif, et une pression considérable sur le gouvernement et les syndicats, le pouvoir avait mis en place un ensemble de réformes : 1 200 postes supplémentaires créés à Vienne (le syndicat en réclamait 500 à l’origine), salaires augmentés de 10 %. Une nouvelle catégorie d’agents de service a été créée, chargée des repas et de la toilette, et les tâches dites de « coresponsabilité » (poser des cathéters et des perfusions) ont été enlevées aux soignants pour être confiées aux seuls médecins. La situation dans les hôpitaux viennois semblait ainsi momentanément stabilisée.

Acquis rognés…

Mais les problèmes se sont à nouveau multipliés, le manque de personnel est devenu chronique et toujours plus important, tandis que le nombre de patients ne cessait de croître. À Vienne, plus de la moitié des étudiants en médecine quittent le pays une fois leur formation achevée, aguichés par les meilleures conditions d’apprentissage pour les jeunes médecins dans d’autres pays. La majorité du personnel soignant abandonne l’hôpital au bout de dix ans environ, voire abandonne le métier : ce sont des « burn-out », des arrêts maladie de longue durée, résultats d’une pression professionnelle insoutenable.

Dans le cadre de la privatisation croissante des hôpitaux publics, menée par des directions néo-libérales souvent impliquées dans des partenariats public-privé avec des firmes capitalistes, les restructurations et l’intérim se développent – avec pour conséquence un manque de formation et de cohérence des équipes dans les services. Sur le plan syndical, le domaine de la santé est complètement éclaté. Diversité de statuts entre hôpitaux communaux publics, cliniques universitaires, hôpitaux privés ou confessionnels et secteurs externalisés, sans compter les cinq tendances syndicales dans le secteur hospitalier liées aux courants politiques. Mais l’unité n’est pas non plus gage de combativité, pour preuve le domaine public, où les directions syndicales sont étroitement liées aux administrations hospitalières.


[1Voir notre encart sur l’histoire de cet « acquis ».

[2De l’anglais « care » = soin.

[3« Pflege am Boden – Wir stehen auf ».

Mots-clés Autriche , Hôpital