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Hôpitaux de l’AP-HP : En lutte contre le vol des RTT... et tout le reste !

samedi 27 juin 2015

« Retrait du projet ! » scandait le cortège qui s’est élancé le jeudi 11 juin de l’avenue Victoria, siège de l’AP-HP, vers l’Élysée. « Hospitaliers épuisés, voler nos RTT c’est le pétage de plomb assuré ! », « Martin, tu ne penses qu’aux sous, nous on ne pense qu’aux soins », « Trop de travail à l’hôpital, Trop de chômeurs à l’extérieur, embauchez ! », pouvait-on lire sur les pancartes.

La colère était palpable. Loin des canons de certains défilés routiniers, les soignants mais aussi des ouvriers, techniciens, laborantins, secrétaires médicales criaient le ras-le-bol des conditions de travail à l’hôpital. C’est le vol des journées de réduction du temps de travail (RTT), dont les menace le plan de Martin Hirsch, directeur de l’AP-HP, qui a fait déborder le vase [1]. Mais pas seulement. Se défendant d’être un genre de privilégiés qui tiendraient à leur contingent de congés, les grévistes mettent en avant le besoin criant d’embauches, la casse de l’hôpital public, contre leur santé et celle des malades. Parfois le message se fait direct, comme sur le T-shirt d’un jeune manifestant « Martin, fais gaffe à ton c**, Maman est dans la rue ! ».

Ce sont plus de 12 000 hospitaliers qui ont convergé ce 11 juin, certains venus en cortège de leur hôpital. D’autres venaient de plus loin, de Rouen, Le Havre, Angers ou Besançon. L’ampleur dépassait les deux dernières journées de manifestations parisiennes des 21 et 28 mai. Si le taux de grévistes semble quelque peu faiblir – la direction annonçant 21,5 %, contre davantage lors des précédentes manifestations – c’est aussi que beaucoup d’hospitaliers, craignant d’être assignés [2] et donc de manquer cette mobilisation commune, ont préféré prendre un jour de congé plutôt que de se déclarer grévistes.

Certains hôpitaux ont rejoint le cortège, qui ne font pas partie de l’AP-HP : des hôpitaux franciliens en lutte contre les fermetures pures et simples de services, d’anciens grévistes de Villejuif ou encore de Caen qui se sont battus l’année dernière contre la suppression de leurs RTT, mais aussi les hôpitaux psychiatriques parisiens rassemblés en collectif contre le démantèlement de la psychiatrie, induit par le projet de fusion en une Communauté hospitalière du territoire (CHT).

À l’issue d’une manifestation très enlevée, à travers les quartiers chics de la capitale, annoncée comme une « marche sur l’Élysée » par les fédérations syndicales mais qui s’est arrêtée sagement à plusieurs stations de métro du digne édifice, le cortège, porté par la volonté de ne pas en rester là, s’est fritté aux cordons de CRS qui ont envoyé quelques jets de gaz lacrymos. Les blouses blanches scandaient : « On lâche rien ! » et « Si tu t’opposes à moi, j’te soignerai pas ! ».

Les hospitaliers, pas sans idées !

La combativité des hospitaliers est l’aboutissement de presque un mois de mobilisation. Hormis les précédentes journées de manifestations parisiennes, sur place dans les hôpitaux les actions se sont multipliées. Certains ont même fait des assemblées générales communes à plusieurs hôpitaux, comme Tenon avec Saint-Antoine et Trousseau, pour se retrouver plus nombreux, discuter et agir ensemble. À cela se sont ajoutées les opérations de self gratuit pour taper les directions au portefeuille, les acrobaties téméraires pour accrocher le plus haut possible les banderoles des grévistes qui fleurissent au gré des censures cycliques de la direction, les descentes de matelas par dizaines pour bloquer les halls d’hôpital… Une multitude d’actions de grévistes syndiqués et non-syndiqués qui ont compensé le fait que les directions syndicales au niveau de l’AP-HP n’avaient pas prévu de rendez-vous central entre le 28 mai et le 11 juin.

À ce jour, c’est à nouveau le silence du côté de l’Intersyndicale, aussi bien sur le contenu des discussions avec les patrons de l’AP-HP que sur les perspectives du mouvement. Aucune nouvelle date d’action commune de tous les hospitaliers de l’AP-HP n’a été donnée au lendemain du 11 juin malgré le succès de la participation à la manifestation. Sans parler de faire appel à tous les hôpitaux de l’Île-de-France et de province, eux aussi visés par les mesures annoncées pour l’AP-HP. Peut-être quelque chose, mais quoi, le jeudi 18 juin ? Le seul rendez-vous ferme donné pour l’instant serait celui du 25 juin, quinze jours plus tard, pour une manifestation prévue contre l’austérité. On ne peut pas dire que la réactivité des directions syndicales soit à la hauteur de celle de Martin Hirsch. Mais les hospitaliers en colère pourraient bien combler eux-mêmes le vide.

Car c’est de leur part que Martin Hirsch, habitué jusque-là à tourner dans les hôpitaux à grand renfort de tracts de propagande de la direction, en a pris pour son grade lorsqu’il s’est rendu aux hôpitaux Avicenne et Georges Pompidou, où il a été hué pendant plus d’une heure… le tout retransmis en direct par France inter qui réalisait une émission ! Au point que, échaudé, le samedi 30 mai, il a préféré envoyer un sous-fifre donner le coup d’envoi de la « course de l’AP-HP » au départ de la Pitié-Salpêtrière où 60 salariés l’attendaient pourtant de pied ferme au petit matin, en ayant déversé des monceaux de poubelles devant les grilles, aux cris de « Hirsch, ton plan, à la poubelle » et « Martin, démission ».

Hirsch en anesthésiste improvisé ?

Mais quand on est passé de l’Abbé Pierre à Sarkozy, comme l’a fait Hirsch, successivement directeur d’Emmaüs puis fondateur du RSA, on a quelques dispositions en matière de retournement de veste. Le directeur de l’AP-HP semble renouer avec l’esprit « la paix du Christ » de ses premières amours. Il se fait tout doux… dans le langage. Le temps de travail journalier, jusqu’ici de 7h36 ou 7h50, serait rabaissé à 7h30 en échange de la suppression de quatre à cinq jours de RTT, alors que l’annonce initiale envisageait de le rabaisser jusqu’à 7h en supprimant tous les jours de RTT (vingt). Hirsch serait prêt à discuter avec les syndicats des modalités d’application de son plan. Mais pas du plan lui-même. Hors de question de renoncer à bouleverser l’organisation du travail dans la quarantaine d’établissements de l’AP-HP. « Une nécessité », selon lui, pour préserver les 4 000 emplois menacés par les économies exigées. De loin son argument le plus fallacieux, puisque supprimer des RTT aux agents revient précisément à les faire travailler davantage dans l’année, et donc à « économiser » des emplois : bien loin de sauver des emplois, encore en supprimer ! Dès maintenant.

Bien fous ou lâches seraient les dirigeants syndicaux qui se laisseraient attirer pas ces sirènes. Il n’y a rien d’autre à répondre que le retrait total du plan Hirsch. Ce qu’il faut pour l’AP-HP au contraire, tant pour pouvoir accueillir les patients que pour ne plus connaître les surcharges de travail permanentes, c’est l’embauche d’au moins 8 000 hospitaliers supplémentaires et la titularisation de tous les précaires. Depuis des années on supprime environ 1 000 postes par an alors que pour l’ensemble des hôpitaux du pays, il faudrait en créer plusieurs dizaines de milliers de plus.

Mais, suite à la démonstration de force de jeudi dernier et la menace bien réelle que ça continue de plus belle, Hirsch redouble d’hypocrisie en feignant de lâcher sur quelques points et de « reprendre les négociations à zéro », écrit-il dans un document adressé le vendredi 12 juin aux organisations syndicales. Lui, qui clamait jusqu’ici pouvoir faire passer ce plan en force, commence par flatter les syndicats en leur promettant de ne rien toucher à l’organisation du travail sans un « accord majoritaire » avec eux. À cela, il ajoute un zeste de feintes préoccupations sur les conditions de travail, pour finir en beauté : le document suggère « d’ouvrir des espaces d’expression et de discussion, dans les pôles ou les services volontaires, sur l’organisation et les conditions de travail », avec des études d’impact sur les modifications de l’organisation envisagées. Qui dit étude d’impact, dit impact. Et ce qui se cache derrière cette ode au dialogue social, c’est bien l’application, dès cet été, de la réforme de l’organisation du travail dans certains services. Quoi de mieux en effet, pour stopper la protestation et toute capacité de résistance, que d’introduire progressivement, en catimini, les nouveaux horaires dans certains hôpitaux…

Faire passer le virus ?

La lutte en cours à l’AP-HP concerne tous les hôpitaux où les personnels connaissent les mêmes problèmes, sont menacés par les mêmes attaques. Quand ils n’ont pas déjà connu des plans de réorganisation avec vol de plusieurs jours de RTT. D’ailleurs, depuis le début de la mobilisation, la colère semble ressurgir dans des hôpitaux où les syndicats ont déjà signé par le passé un tel plan de suppression de RTT, en prétextant à l’époque qu’il « valait mieux se couper un doigt plutôt qu’un bras » (dixit un syndicaliste du CHU d’Amiens)…

La Fédération hospitalière de France l’a déclaré : elle espère que la direction de l’AP-HP, en imposant son plan au plus grand regroupement hospitalier du pays, malgré les protestations du personnel, fasse la trouée qui permette de généraliser l’attaque à tous. Aux grévistes de l’AP-HP de prouver le contraire : qu’en s’attaquant à la plus grosse structure hospitalière, la direction de l’AP-HP va au contraire tomber sur un bec, qui va l’obliger à ravaler son plan. Les grévistes et manifestants de l’AP-HP, en se coordonnant entre eux et en s’adressant aux salariés de tous les hôpitaux du pays, pourraient rendre leur lutte contagieuse. Déjà les salariés des hôpitaux psychiatriques parisiens ont pris date pour se retrouver mardi 16 juin en assemblée générale afin de discuter de la suite à donner à la mobilisation.

14 juin 2015,Joan ARNAUD


Le goût amer des « économies »

Le matin même de la sortie du plan Hirsch troisième version, vendredi 12 juin, se tenait le conseil de surveillance de l’AP-HP pour établir un bilan prévisionnel positif de 40 millions d’euros pour 2015. C’est-à-dire deux fois plus que le montant « exigé » d’économies… Et entre 2010 et 2014, l’AP-HP a réduit de 88 % son déficit global et de 57 % son déficit principal. On est loin de la situation catastrophique agitée pour justifier les économies de 20 millions par an à obtenir par la suppression de RTT et autres jours fériés. De toutes façons, ces prétendus déficits sont tout ce qu’il y a de plus artificiels. La santé publique n’a pas à être « rentable », a fortiori quand l’État réduit drastiquement ses recettes (en diminuant constamment la dotation budgétaire aux hôpitaux) alors que ses dépenses – bien légitimes ! – augmentent.


[2Au nom de l’impératif de continuité des soins, les hospitaliers travaillant « au chevet du patient » et se déclarant en grève sont souvent réquisitionnés. Prérogative dont usent et abusent cadres et direction, puisqu’on a vu assignés des secrétaires médicales ou encore du personnel de cantine… Un mérite à cette politique d’assignation abusive : révéler le sous-effectif habituel. Dans certains services, les effectifs de « service minimum » ont de beaucoup dépassé les effectifs courants !

Mots-clés AP-HP , Hôpital , Martin Hirsch , Monde
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