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Printemps 2015 à Saint-Pétersbourg : Pierre et Paul… et Vladimir

jeudi 14 mai 2015

Saint-Pétersbourg en mars, c’est l’époque où la Neva charrie encore de gros glaçons devant le Palais d’Hiver et où des Pétersbourgeois un peu fous, après avoir trop connu les tourbillons de neige, profitent des premiers rayons de soleil. Jusqu’à se dorer la pilule en bikini, protégés du vent sous les murs de la forteresse Pierre-et-Paul. Mais ce printemps est aussi celui où les travailleurs de l’usine automobile Ford (et quelques autres) se sont mis en grève pour s’opposer à l’augmentation des prix et aux coupes dans les effectifs. La crise et les licenciements sont un thème quotidien. Partout des licenciements sont annoncés ou déjà effectifs. Sont frappés non seulement des travailleurs d’industrie mais aussi des employés du ministère des Affaires étrangères ou des médecins. Les prix alimentent aussi les conversations, partout. Car tout devient toujours plus cher, des transports publics à la nourriture. Dans l’autobus, on discute « prix » et on compare la situation avec celle des années dures de la décennie 1990.

Une dégringolade du niveau de vie

Les salaires sont déjà très bas dans cette deuxième grande ville du pays, pourtant privilégiée comme Moscou. Une infirmière gagne environ 8 000 roubles (soit 123 euros) par mois. Le loyer mensuel pour un simple petit appartement tourne autour des 5 000 roubles (soit 89 euros). Le salaire moyen à Saint-Pétersbourg oscille entre 15 000 et 20 000 roubles. L’inflation pourrit donc la vie quotidienne, dans tous les domaines, du transport à l’alimentation en passant par les soins médicaux et les universités, car les salaires des milieux populaires passent d’abord dans les produits de consommation courante. Du coup on achète moins de fruits et légumes, on se rabat sur la production russe considérée globalement de moins bonne qualité. À cause des sanctions économiques, des produits importés de l’Union européenne sont devenus inaccessibles même aux travailleurs les mieux payés. Ce sont les marchés classiques, où les produits sont moins chers, qui trouvent une nouvelle clientèle. De longues queues s’y forment – signe visible de la crise.

Jusqu’à présent la situation n’était guère satisfaisante. Mais les débuts de l’ère Poutine avaient vu une stabilisation du nombre de pauvres (selon les critères officiels de seuil de pauvreté) après la montée en flèche des années 1990, où les 11,2 % de la population avaient été atteints. La Banque mondiale pronostique une nouvelle aggravation, jusqu’à atteindre 14,2 %. Dans un pays comme la Russie, cela signifie 20,3 millions d’hommes et de femmes contraints de vivre avec moins de 5 dollars par jour.

Des réactions ouvrières

Il y a des grèves à l’occasion dans des usines. En particulier chez Ford à Saint-Pétersbourg. Un combat difficile du fait de l’écart entre les droits formels accordés aux travailleurs et aux syndicats, et les entraves à l’organisation et à la lutte mises dans les faits par un appareil étatique tout dévoué aux intérêts patronaux. Travailleurs combatifs et militants reçoivent régulièrement la visite non désirée d’une variété de flics. Lorsque récemment à Kaluga, à environ 200 kilomètres au sud-ouest de Moscou (un des gros centres de l’industrie automobile), des militants syndicaux se sont réunis pour faire le point sur les suppressions de postes dans leur secteur, ce sont des brigades spéciales « E », dédiées à la lutte contre l’Extrémisme, qui ont fait irruption dans les lieux et traîné 15 syndicalistes au poste de police pour un interrogatoire sur... une attaque à main armée ayant prétendument eu lieu à proximité. Sur place, les officiers de police posèrent des questions n’ayant rien à voir mais reprochèrent aux syndicalistes d’être des agents de l’Ouest, cherchant à déstabiliser la situation dans le pays.

D’autres secteurs que l’automobile sont le lieu de protestations, en particulier la santé. Une grève de la faim d’employés des secours d’urgence en Bachkirie [1] souligne la situation catastrophique du secteur. Ce à quoi il faut ajouter les actions plus spécifiques de femmes qui ne peuvent plus répondre aux besoins de leur famille – par exemple à Moscou récemment, de femmes acculées après avoir emprunté pour l’achat d’un appartement. Avec la chute du cours de la monnaie, les conditions de crédit se sont sérieusement dégradées par rapport à novembre dernier, et des gens ont de grosses difficultés face aux échéances. Une crise des subprimes à la russe ! Des femmes se sont rassemblées en apportant des assiettes vides. Lorsque la police a voulu les chasser, elles s’en sont servi de projectiles contre la façade du parlement. D’où une mer de tessons traduisant la colère et l’exacerbation.

Vladimir Poutine a quelque souci à se faire

Le président et son équipe sont conscients que la situation pourrait se tendre. Les protestations de rue massives des années 2011 et 2012 ne sont pas si loin en arrière ni si loin dans les mémoires. La répression qui continue à frapper des opposants politiques (de l’extrême gauche au libéralisme bourgeois – l’incarcération d’Alexeï Navalny et l’assassinat de Boris Nemtsov restent dans les mémoires) a contribué à ce qu’une majorité de la population opte plutôt pour la débrouille individuelle. Sans oublier que la propagande chauvine de Poutine, qui ne manque pas de ridicule dans ses débordements, relève du gros poker menteur pour masquer les racines économiques et sociales des difficultés.

Bientôt à Saint-Pétersbourg sera inauguré un monument représentant Poutine en empereur romain, costume ad hoc ! Des idées surgissent déjà sur les façons de l’embellir ! Dans les kiosques pour touristes comme les petits cafés de coins de rue, on peut acheter des T-Shirts avec Poutine en combat singulier contre un ours, ou Poutine en pilote de chasse au regard perçant, flanqué du slogan : « Tout baigne », ou encore en judoka ravi de décocher un coup de pied aux fesses d’Obama. Bonjour l’humour ambiant ! De même que sur les réseaux sociaux circulent également des montages, photos ou dessins montrant Poutine en Superman. Toute une horde de jeunes est engagée et payée par les autorités pour répandre sur Internet ces gadgets officiels. La propagande de Poutine est faite également d’un bric-à-brac d’hommages aussi bien à la lignée tsariste des Romanov qu’aux staliniens de la prétendue belle période de l’industrialisation – sans oublier la victoire sur l’Allemagne nazie comme faire valoir de la grande Russie championne de l’« antifascisme ». Certes, face à des dirigeants occidentaux qui minimisent aujourd’hui le rôle de l’URSS et de sa population pendant la seconde guerre mondiale, Poutine peut à bon compte se faire mousser. Et à coup sûr, lorsque dans les autobus les gens se plaignent de leur vie quotidienne, minée par la politique des USA ou de l’Europe – leur dit-on –, certains peuvent se sentir vengés d’avoir récupéré la Crimée. Comment, pourquoi, était-ce à juste titre et pour le bonheur de sa population ? Des doutes existent.

Premier Mai sur la Perspective Nevski ?

Pour le 1er Mai, des militants d’extrême gauche, même si leurs moyens sont faibles et si leur manifestation peut être interdite ou reléguée en périphérie, comptent mettre en avant des revendications populaires et la nécessité de résister, de ne pas tomber dans le piège du racisme qui touche durement bien des migrants (en particulier concierges ou chauffeurs de taxis). « Il faut rendre au peuple les usines et les mines, ses droits et sa liberté. » « Davantage de chercheurs, moins de prisonniers ! » Les idées ne manquent pas... Le cortège du 1er Mai compte emprunter cette Perspective Nevski qui conserve des traces, certes à raviver, des révolutions de 1905 et 1917...

25 avril 2015, Sabine MÜLLER


[1République du Bachkortostan, dont la capitale est Oufa, dans la région Volga-Oural.

Mots-clés Grève , Monde , Russie , Vladimir Poutine
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