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Usines Rhodia du groupe Solvay : Une année de colère pour les salaires

mercredi 28 janvier 2015

Dans les usines Rhodia du groupe Solvay, l’année 2014 a connu plusieurs mouvements sur les salaires notamment au printemps 2014, lorsqu’au milieu de multiples témoignages de bons résultats, la direction du groupe a annoncé un intéressement de 1 000 €, inférieur à celui de l’année précédente. Des grèves avaient éclaté notamment à Saint-Fons et à La Rochelle, poussant la direction à sortir de l’oubli la « Prime de partage des profits » (ou prime Sarkozy). La « négociation » de cette prime présentée comme une potentielle compensation du faible intéressement avait surtout l’avantage, pour la direction, de se dérouler plusieurs mois plus tard, le temps que la pression redescende.

En octobre, cette prime se révéla bien inférieure aux promesses, ses 250 € étant bien loin de compenser les 1 000 € qui, pour beaucoup, manquaient sur la fiche de paye. Le groupe se targuait toujours de ses bons résultats, notamment avec une avance sur dividende pour les actionnaires qui équivaut à 8 000 € par salarié de Solvay. Les Négociations annuelles obligatoires (NAO) étaient attendues de pied ferme.

Dans la chimie, le patronat se croit tout permis

La direction n’a pas joué longtemps le simulacre du dialogue social. Moins d’une semaine avant la rencontre avec les syndicats, elle annonçait la suppression pure et simple d’une des deux journées de négociations prévues, au prétexte d’un « rendez-vous au ministère ». Moins d’une journée lui suffit ensuite pour annoncer 0,7 % d’augmentation générale avec un talon de 20 €, un chiffre perçu par beaucoup comme une provocation dans le contexte du groupe. Faudra-t-il considérer ces 20 € comme la norme pour les années fastes ?

La CGT du groupe Rhodia appella alors à une journée de grève le jeudi 11 décembre. La grève sera suivie et se prolongera les jours suivants sur les sites de Valence, Saint-Fons et La Rochelle.

Le lock-out déguisé en « arrêt pour sécurité »

C’est lors des grèves du printemps à l’usine Saint-Fons Spécialités, que la direction avait inauguré sa menace de lock-out. La menace seule avait suffi alors à fragiliser le mouvement et à en précipiter la fin. Cette procédure, très réglementée, permet à l’employeur de suspendre les contrats de travail des salariés visés, donc de les priver de salaire ! L’utiliser pour briser une grève, technique souvent employée dans l’histoire des luttes, est aujourd’hui illégal en France. Pour innover avec du vieux, Solvay a donc prétexté des raisons de sécurité. Selon la direction, le manque d’effectifs dû à la grève n’aurait pas permis de maintenir la sécurité des installations, une problématique sensible dans les sites classés Seveso.

La direction commande donc un arrêt complet des installations pour les mettre en sécurité. Rien de très exceptionnel ici. Ce type d’arrêt est même courant tout au long de l’année. Les raisons en sont multiples : après un incident technique, pour de grosses opérations de maintenance ou encore pendant les vacances d’été, lorsque certains ateliers sont fermés. Là où la ligne est franchie c’est que la direction en déduit une impossibilité de donner du travail et s’autorise en conséquence à suspendre des contrats. Cet argument ne tient pas longtemps : du nettoyage à la formation, en passant par la petite maintenance, les tâches « supplétives » sont en effet très nombreuses. En imposer sans cesse de nouvelles aux opérateurs est même une des missions de l’encadrement !

À l’usine Saint-Fons Spécialités, la procédure fut engagée le 15 décembre, dès le quatrième jour du mouvement. Quitte à contrecarrer la grève par un biais légalement douteux, la direction ne s’est même pas embarrassée de sauvegarder les apparences en faisant mine de passer par les voies de la négociation. Elle a ordonné l’arrêt des installations à l’HQPC, l’atelier le plus important de l’usine, la veille du CE prévu pour annoncer la suspension des contrats. Ainsi dès le lundi soir tombèrent les premières suspensions.

Dans l’industrie chimique, l’épuisement des installations pour aboutir à des appareils vides prend du temps, jusqu’à plusieurs jours parfois. Il s’agit d’écouler toute la matière première engagée sans en utiliser de nouvelle. Encadrement et petits chefs ont donc été mobilisés pour accélérer les procédures d’arrêts. Les suspensions de contrats devaient frapper au plus vite, parfois même au mépris de la sécurité. Cet objectif a été rendu à ce point prioritaire pour l’encadrement qu’il en oubliera parfois les réalités de la fabrication. Ainsi dans un atelier, on a pu voir un ingénieur tellement pénétré par sa mission que ce sont les opérateurs à qui il venait d’ordonner de quitter l’usine qui l’ont informé qu’il restait encore du produit dans les « gamelles ». L’épuisement des installations n’était pas terminé !

Des suspensions qui démoralisent… ou qui mobilisent !

15 décembre 2014  : Touchant des grévistes comme des non grévistes, la direction décide donc de suspendre des contrats de travail : une mesure inédite qui détériore rapidement le climat dans l’usine de Saint-Fons. Le syndicat CFDT, qui n’avait pas appelé à la grève, se met même soudainement à militer au nom de la « liberté de travailler » dans le but évident de culpabiliser les grévistes. Même si le mouvement perdure encore une journée, l’effet de démoralisation escompté par la direction se fait vite sentir. L’appel à la grève n’est alors pas reconduit sur le site de Saint-Fons Spécialités.

19 décembre 2014  : Fort de ce succès, Solvay entreprend d’utiliser la même technique sur le site de La Rochelle, toujours en grève. Mais sur ce site qui emploie 360 personnes, l’annonce de 53 suspensions de contrats a redoublé la colère des grévistes. Aux revendications sur les salaires s’ajoute alors l’annulation de la procédure. La grève est reconduite malgré ce lock-out, puis suspendue pendant les vacances de Noël où l’arrêt de l’usine était initialement prévu.

Après une nouvelle semaine de grève le 12 janvier , les grévistes décident, non sans amertume, de ne pas reconduire leur mouvement.

La direction de Solvay a franchi une étape en allant jusqu’au bout de cette procédure d’une grande violence contre les grévistes. Alors que les salariés qui en ont été victimes seraient en droit d’exiger une réparation face à cette action de toute évidence illégale, il importe surtout que ne s’installe pas la tentation pour les patrons de s’en servir de nouveau. Les syndicats CGT de Saint-Fons et de la Rochelle ont donc décidé de porter l’affaire devant les prud’hommes. Un désaveu du tribunal représenterait une jurisprudence pour l’ensemble des patrons, qui pourraient utiliser légalement le lock-out pour briser des grèves.

Avec le lock-out, la direction a en quelque sorte forcé les grévistes à payer leur grève. En effet, il est d’usage à Rhodia de faire des débrayages de deux heures par poste. Cela suffit à arrêter les ateliers, et les grévistes entendent ainsi faire pression sur la direction sans trop perdre de rémunération. En forçant les grévistes à quitter l’usine par la suspension des contrats de travail, la direction leur a ainsi fait perdre des journées complètes de salaire, ce à quoi ne s’étaient pas préparés les grévistes… et encore moins les non grévistes !

Le mouvement pour les salaires est néanmoins loin d’être terminé dans les usines Rhodia. La CGT du groupe projette de nouveaux appels à la mobilisation, encouragée en cela par la détermination dont ont fait preuve les grévistes de La Rochelle.

10 janvier 2015, Rafi Hamal et Annick Hausmann

Mots-clés Chimie lyonnaise , Entreprises