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Les champs du socialisme

jeudi 1er février 2001

Les campagnes ont-elles un avenir socialiste ? La question n’a jamais été simple pour des marxistes, tant pour des raisons politiques (l’alliance hypothétique du prolétariat avec une classe de propriétaires), que pour des raisons économiqueq (le maintien, à la différence de l’industrie, d’un système archaïque de production fondé sur la petite propriété individuelle). Et pourtant ! Il est bien plus facile de répondre à cette question aujourd’hui qu’à l’époque de Marx : le capitalisme au cours de son histoire a en effet largement déblayé et préparé le terrain en transformant profondément la société et l’économie rurales, et en imposant à la paysannerie d’innombrables contraintes qui rendent à la fois possible et souhaitable une transformation du mode de production.

Une société rurale déjà profondément transformée

Dans les pays industrialisés, les mutations de ces cinquante dernières années ont eu pour conséquence de rapprocher considérablement le monde rural du monde urbain. On peut citer en vrac l’accès aux études et au salariat [1], le bouleversement des modes de vie, la cohabitation avec une majorité de ruraux qui ne sont pas des agriculteurs [2], ou le fait qu’aujourd’hui, dans les lycées agricoles, il y ait de plus en plus de jeunes qui ne sont pas des enfants d’agriculteurs. Cela montre indubitablement que le monde rural n’est plus vraiment un monde à part et que l’agriculture peut être un métier comme les autres.

La modernisation économique a aussi largement contribué à rapprocher les préoccupations politiques et les aspirations sociales de la paysannerie de celles du monde salarié. Depuis la révolution française, la question agraire a perdu une grande partie de son acuité, surtout en France où elle a permis de procéder à une large redistribution de la propriété foncière aux dépens de la noblesse et du clergé. L’agriculture est devenue une activité de plus en plus socialisée, un maillon d’une longue chaîne réunissant toutes sortes d’activités industrielles et de service. Le problème des paysans, ce sont bien les trusts, les banques, les organismes d’Etat comme la SAFER (chargée de réguler l’accès à la propriété foncière), et bien sûr la PAC, c’est-à-dire une forme de planification de la production (avec ses quotas, ses jachères, ses prix décidés à Bruxelles…), mais confinée dans le cadre du système capitaliste et qui n’échappe à aucune des contradictions engendrées par les à-coups du marché agricole.

Pour y répondre, les paysans ont déjà dû inaugurer de nouvelles formes de coopération comme le montre le succès grandissant des GAEC et des EARL [3].

Encourager toutes les initiatives de contrôle et de coopération

Un programme socialiste n’aurait évidemment pas pour modèle les kolkhozes staliniens ou les communes populaires de la Chine maoïste. Rappelons simplement que ces formes caricaturales de collectivisme, imposées avec une terrible brutalité, n’avaient d’autre but que d’encadrer la paysannerie afin de lui extorquer le maximum de plus-value et de contribuer ainsi au financement de l’industrialisation.

Un programme socialiste devrait bien sûr distinguer le court et le long terme, et partir de cette réalité que les exploitations agricoles ne forment désormais qu’un maillon d’une longue chaîne agro-industrielle. Il n’est évidemment pas utile ni souhaitable d’en revenir aux chimères du petit producteur d’antan, soi-disant libre et indépendant. Pour échapper à la dictatures des coopératives qui fonctionnent aujourd’hui comme les trusts capitalistes, comme pour redéfinir le rôle de la SAFER ou du Crédit Agricole, c’est bien le problème du contrôle qui est posé, en réalité selon les mêmes modalités que le contrôle ouvrier dans les grandes entreprises, en liaison avec les associations de consommateurs pour assurer un revenu équitable sans léser le reste de la population.

La nationalisation et la centralisation du système bancaire entre les mains de l’Etat ouvrier seraient bien sûr des mesures indispensables pour faire face au problème de l’endettement. Elles serviraient aussi à encourager toutes les formes de coopération dans le travail agricole, sur la base du volontariat et dans l’intérêt d’une population qui peut avoir besoin comme les autres de prendre des vacances en s’organisant collectivement. De même qu’une véritable planification (déjà embryonnaire avec la PAC) devrait être mise en place progressivement afin d’éviter les à-coups de la production et des revenus, tout en laissant une grande marge de manœuvre pour mener des expériences diversifiées à l’échelle locale ou régionale.

Ces mesures serviraient aussi à réorganiser dans son ensemble toute la filière et à réorienter les façons de produire. La production de poulets en six semaines au lieu de huit, élevés en batteries, a aussi des contreparties inacceptables (comme celle d’injecter de fortes doses d’antibiotiques à des organismes inévitablement affaiblis). Produire 10 000 litres de lait par vache et par an avec des farines animales a peut-être une logique dans le système capitaliste, mais cela peut devenir irrationnel, et somme toute destructeur et dangereux. Les nourrir au maïs et au soja pourrait déjà sembler plus raisonnable, mais ces productions végétales ont elles aussi un coût en partie masqué par les subventions. Ce n’est peut-être pas un détour indispensable ni un progrès dans la rationalisation de la production.

Car il y a une marge -parfois importante– entre la rationalité et la recherche du rendement maximal, surtout si on prend en compte toutes les implications d’une activité sur son environnement. Ainsi le maintien d’un élevage plus traditionnel permet d’éviter bien des catastrophes dans les régions de montagne où les avalanches sont bien plus nombreuses dans les zones qui n’ont pas été régulièrement fauchées.

Une organisation socialiste de la production chercherait donc à mieux coordonner l’ensemble des activités humaines (et pas seulement celles qui sont directement productives). Dans cet ordre d’idée, la polyactivité des exploitations agricoles sera sans doute favorisée, tant il est vrai qu’il n’y aura pas de développement harmonieux dans une société socialiste sans la mise en œuvre d’une véritable politique d’aménagement du territoire. Mais selon une toute autre logique que celle actuellement mise en œuvre, qui consiste à dissocier de plus en plus les activités productives (réservées aux exploitations jugées rentables et performantes) des activités destinées à « entretenir les paysages » (confiées aux petites exploitations jugées marginales d’un point de vue économique).

La propriété privée n’est pas un horizon indépassable

La question de la propriété foncière est incontournable à plus ou moins long terme. Comment imaginer en effet une société socialiste qui laisserait des pans entiers de l’économie entre les mains du secteur privé, même organisé sur une base coopérative ? Or l’attachement du paysan à sa propriété serait paraît-il viscéral… A voir.

L’exemple de José Bové de ce point de vue n’est pas sans intérêt. La lutte menée contre l’extension d’un camp militaire au Larzac (menée conjointement avec des paysans) a abouti à la conclusion d’un compromis avec l’Etat qui reste propriétaire du sol mais qui a concédé un bail emphytéotique (de très longue durée). Les droits d’entrée et de sortie (lorsqu’arrive l’âge de la retraite) sont régulés par une association qui gère en même temps des projets de production (par exemple une coopérative laitière) et des projets d’aménagement rural. Cet exemple a forcément ses limites, il montre en tout cas que lorsque des militants et des paysans se retrouvent ensemble dans les luttes, il y a bien des mentalités qui peuvent évoluer.

Cela montre surtout que le monde rural peut connaître encore bien des évolutions, et il n’est pas impossible d’imaginer demain des fermes collectives où l’on exerce de multiples activités, avec des gens qui n’ont jamais été fils de paysans et qui ne feront pas cela toute leur vie, et qui pourtant auront un rapport à la nature, à la terre et au territoire bien plus respectueux et bien plus rationnel en définitive que beaucoup de paysans aujourd’hui lorsqu’ils sont soumis à des contraintes de rentabilité immédiate.

Raoul GLABER


[1La moitié des femmes d’agriculteurs en France travaille comme salariées en dehors des exploitations, et il n’y a que le quart des exploitations qui arrive à vivre uniquement de l’activité agricole…

[2Dans les espaces à dominante rurale en France, 13 % des actifs sont des agriculteurs. Les ouvriers d’industrie sont deux fois plus nombreux…

[3Pour faire face aux dépenses de matériel et à la difficulté d’accès au foncier, de plus en plus d’exploitations coopèrent dans le cadre des GAEC (groupement agricole d’exploitation en commun) et des EARL (exploitation agricole à responsabilité limitée). Ces formes de coopération adaptées aux contraintes de l’économie capitaliste représentent près de 20 % des exploitations et le tiers de la surface agricole utile.

Mots-clés Agriculture , Société