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Discussion destinée au prochain congrès du NPA de Janvier-Février 2015

jeudi 20 novembre 2014

Le texte ci-dessous n’aborde que quelques points en débat dans le NPA à la veille de ce troisième congrès. Délibérément. Aujourd’hui, l’accord est unanime : le problème qui est devant nous est celui de la reconstruction du parti après une période difficile. Comment ? Par quels moyens ? Avec quelles priorités ? Le NPA a certainement bien d’autres problèmes à résoudre : le programme fondateur est-il adéquat (nous, qui ne l’avons pas voté, nous lui trouvons bien des défauts et des ambiguïtés) ? Quelle est la nature de la crise actuelle ? En quoi consistent les changements, politiques et économiques, parfois gigantesques, qu’a connus le monde puis 15 ans ? Ce sont là, avec bien d’autres, des questions essentielles, mais qui nécessitent d’être préparées par des discussions approfondies basées sur des expériences dans la lutte de classe encore à venir. Pas par un vote sur un tour du monde en précipité après deux ou trois jours de congrès, basé sur le sentiment qu’un « parti » doit parler de tout (même là où le NPA n’a rien à dire de spécifique et, hélas, vu ses forces, pas d’intervention réelle à proposer). Nous avons choisi de proposer une autre méthode à ce congrès.



Texte d’orientation soumis aux débats du CPN, des comités, des assemblées préparatoires et du congrès par Aurélien (75, CPN), Bernard (92), Christian (78, CPN), Clément (92, CPN), Hervé (91, CPN), Florès (93, CPN), Isabelle (67, CPN), Marie (67, CPN), Zara (75, CPN)


I. Se construire pour se donner enfin les moyens d’une politique révolutionnaire

Pour jouer un rôle sur la scène politique, le NPA doit d’abord exister. C’est-à-dire acquérir une influence dans les couches populaires (les 99 % de la population comme diraient les militants d’Occupy, même si ce pourcentage est un peu forcé) et d’abord dans le prolétariat, industriel ou autre, qui constitue toujours la grosse majorité de ces 99 %. Voilà, à notre avis, qui doit être un des objets essentiels de nos débats à l’occasion du prochain congrès.

Pas exister seulement aux yeux des médias, critère dont nous avons un peu trop exagéré l’importance. Le petit regain d’intérêt qu’ils montrent aujourd’hui tient à ce que « nous sommes toujours là », comme l’a rappelé Olivier Besancenot lors des récentes manifestations pour Gaza. Il ne s’agit donc pas de pleurer sur la réduction de notre influence, qui ne fut jamais bien grande, ou du nombre de nos adhérents, celle-là certaine. Une fois constaté que l’impact sur la jeunesse et le milieu militant a faibli (ce qui ne veut pas dire qu’il n’en reste rien, il y aurait même un petit renouveau d’intérêt, voire d’adhésions que le congrès aura à évaluer), quelles peuvent être les orientations les plus à même de nous construire ?

Où sont les manques ?

Une des options proposées par certains est de refonder notre programme, le rendre explicitement (ou plus explicitement) révolutionnaire dans son fondement et durcir nos propositions pour l’immédiat. Il est vrai que le programme initial du NPA est bourré d’ambiguïtés, adoptées pour ratisser large. Ce fut rapidement un échec, les réformistes patentés s’étant contentés de faire un petit tour dans nos rangs. Nous sommes pour continuer la discussion à ce sujet, certainement importante, mais ce n’est pas le manque de radicalisation de notre programme qui explique le délitement actuel, c’est essentiellement la situation objective.

De même, d’ailleurs, rien n’est plus faux que d’attribuer notre régression à l’existence des tendances. Elles existaient depuis le début. Y compris dans la (courte) période faste du NPA. Y compris lorsque la direction avait l’adhésion de la grande majorité et donc tout loisir d’appliquer sa politique, ce qui n’a rien empêché. En fait chaque tendance a pu mener sa politique, ce dont nous nous félicitons, mais aucune n’a empêché le recul du parti, pas plus la tendance majoritaire que les autres. C’est au contraire dans la confrontation pratique des différentes politiques que le NPA peut trouver sa voie. Loin d’être un remède à nos problèmes, les entraves à chacun d’expérimenter ne feraient qu’aggraver le mal et les tensions sans rien apporter. À condition que ce ne soit pas la guerre entre nous – qu’il ne faut pas confondre avec le débat même vif – mais qu’il y ait au contraire la volonté d’agir ensemble sur les sujets où nous nous retrouvons d’accord. Heureusement, ils ne manquent pas.

Ne nous trompons donc pas de diagnostic. Pour prendre un seul exemple, si les travailleurs de PSA-Aulnay n’ont pas vu les moyens d’étendre et renforcer leur combat, ce n’est certainement pas parce que nos slogans n’auraient pas été révolutionnaires à leurs yeux ou que l’interdiction des licenciements n’aurait pas été assez mise en avant (ce mot d’ordre était même celui de la direction de la grève). En revanche, ce qui a sans doute compté, c’est que les révolutionnaires qui leur apportaient un soutien symbolique, apprécié, ont été incapables d’aller au-delà. Or c’est cela qui aurait pu aider à changer la donne : apporter le soutien des travailleurs d’autres entreprises ou de groupes significatifs de travailleurs d’autres entreprises, prêts à se joindre à la lutte des Citroën. L’exemple pourrait être étendu à bien de nos interventions dans le champ des luttes sociales ou politiques de ces dernières années.

Nous parlons de redonner une conscience de classe à des travailleurs qui l’auraient perdue. Mais les luttes ne démarrent pas en fonction du degré de conscience de classe, c’est au contraire dans les luttes que cette conscience se forge. Il est d’ailleurs un peu contradictoire de noter que les luttes n’ont pas cessé, limitées en France, de masses dans certains pays, et se donner comme priorité d’apporter une nouvelle conscience... pour lancer les luttes. Demandons-nous plutôt à quelles conditions nous aurions pu diriger ces luttes dans une orientation qui ne conduise finalement pas à une impasse.

Drôle de « crise de régime »

Nous pouvons, nous devons de même discuter de ce que pourrait être un pouvoir ou un gouvernement des travailleurs, pour affiner notre programme, pour notre politique et son avenir car nous ne doutons pas que des conditions différentes surgiront qui mettront cette question à l’ordre du jour. Mais pas comme une question clivante d’urgence. Il n’y a pas aujourd’hui dans ce pays une crise politique majeure, à peine une crisette gouvernementale propre au personnel politique bourgeois, encore moins une crise de régime. La France a plus de 10 % de chômeurs, le niveau de vie de la majorité stagne ou régresse mais la bourgeoisie continue à faire ses profits, ne serait-ce que grâce à la mondialisation qui permet d’investir ailleurs quand ça ne semble pas suffisamment juteux ici.

Le gouvernement est discrédité, mais ce n’est certainement pas une raison pour la bourgeoisie de provoquer un bazar politique, encore moins de changer de régime, sauf à la marge. D’ailleurs aucun de ses partis de l’extrême-droite à la gauche de la gauche ne le cherche, préparant simplement les prochaines élections, dont les capitalistes français s’accommoderont parfaitement des résultats, quel que soit le vainqueur.

Il est temps de tirer les leçons de l’alternance gauche-droite : non seulement de la présidence de Hollande, mais aussi de celle de Mitterrand, pour ne pas remonter plus de cinquante ans en arrière, à Guy Mollet et la Quatrième République. Tant que les couches populaires ne menaceront pas, c’est, de notre part, se payer de mots que de disserter sur une crise politique dans laquelle le prolétariat et les couches populaires pourraient tirer leur épingle du jeu. D’ailleurs s’il y avait aujourd’hui une vraie crise politique et de régime, ce ne serait ni le NPA, ni notre camp social qui en sortiraient gagnant, quel que soit le numéro de la prochaine république, mais Marine Le Pen ou même Mélenchon si par le plus grand des hasards sa posture de De Gaulle au petit pied réussissait.

Le piège d’une « alliance politique durable »

L’autre option qui nous est proposée est de conclure une alliance politique durable avec les forces ou des forces de la gauche de la gauche, syndicale et politique, voire au-delà. Quelle que soit l’appellation que l’on donne à cette alliance, opposition de gauche ou autre, le raisonnement est le même : puisque nous sommes trop faibles pour avoir un impact réel, unissons-nous à d’autres, prétendument plus forts. Ainsi, une raison qui devrait nous mener à défendre notre indépendance est avancée pour l’abandonner. Oui, nous sommes faibles, c’est la constatation dont nous partons tous. Trop faibles justement pour espérer exercer par nous-mêmes une pression durable et tirer vers nous d’éventuels alliés, ouvertement ni révolutionnaires ni même anticapitalistes. Ne restera plus alors, pour faire durer l’alliance, que de les suivre et nous laisser tirer vers eux. Une vieille tentation, mais qui n’a amené jusqu’ici que désillusions et défaites quand l’extrême gauche s’y est laissée aller.

Certes, aujourd’hui, par peur d’être englobée dans le discrédit du PS et de Hollande, cette gauche de la gauche se veut plus virulente, en paroles. PG ou PCF se veulent même en opposition, eux qui, il y a si peu, rêvaient d’être admis à la table gouvernementale, voire mendiaient pour. Mélenchon se proposait même alors comme Premier ministre de Hollande. Des bouts de la gauche, EELV ou « frondeurs » du PS, ont fait mine de se détacher, tout en bêlant devant le bercail pour y être réintégrés, sans rien faire qui pourrait nuire au gouvernement. Les belles oppositions que voilà !

Nous pouvons nous retrouver avec des bouts de la gauche dans l’action, dans les luttes sociales d’abord, dans la rue ensuite, à condition de ne pas oublier que ceux qui en politique jugent sur les déclarations du moment sont des sots – et d’éternels trompés et déçus. Il ne s’agit certainement pas de chercher des divergences à tout prix, ni de mégoter un soutien ou une alliance ponctuels si nous sommes d’accord sur les buts immédiats. Mais dans quelle lutte ouvrière, ces dernières années, nous sommes-nous retrouvés longtemps réellement ensemble, avec les dirigeants syndicalistes se réclamant plus ou moins d’une ou de l’autre tendance du Front de Gauche ? À part quelques rassemblements ou meetings de soutien, ce qui ne mange pas de pain, où leaders syndicaux ou politiques tentent de présenter une image de combattants tout en s’échinant de fait à entraver les luttes, les potentialités de les étendre et à contrer l’auto-organisation des travailleurs ? Car, soyons clairs, ce programme qui est le programme du NPA non seulement n’est celui d’aucune bureaucratie syndicale mais est combattu par toutes. Et pas seulement sous les gouvernements de gauche auxquels elles sont liées politiquement. Mais autant sous les gouvernements de droite, même si elles se permettent alors parfois d’afficher une posture plus radicale.

Dans les alliances ponctuelles, ne pas renoncer à notre politique

Nous pouvons prendre les devants et proposer ces actions ponctuelles quand nous pensons en avoir l’opportunité : nous l’avons fait pour organiser une manifestation le 12 avril dernier ou le 15 novembre. Proposer à ceux qui prétendent lutter contre la politique du pouvoir actuel de manifester ensemble contre ce pouvoir, pourquoi pas ? À condition d’y apparaître pour défendre notre politique comme d’autres défendront la leur et pas de brouiller les cartes par des compromis en ajoutant notre signature au bas de tracts ou d’appels destinés d’abord à noyer les différences.

Que recouvre le collectif du 12 avril ou aujourd’hui 3A ? Sinon un rassemblement de politiques opposées, d’une part le NPA et les quelques-uns qui se situent de son côté, de l’autre la gauche de la gauche politique et syndicale. Nous n’avons pas les mêmes buts : le nôtre ne peut pas être de préparer une relève de gauche, dans le cadre accepté d’avance du capitalisme, soit pour remplacer le PS (peu probable) soit pour l’obliger à s’allier. Dans tous les cas refaire une nouvelle fois la même politique.

L’appel du collectif 3A pour le 15 novembre est significatif : dénonciation du gouvernement certes mais programme assez vague pour constituer celui d’une future gauche qui le jetterait aux orties si, d’aventure, elle parvenait au gouvernement. Le NPA n’a aucune raison de se prêter au jeu et de signer de tels documents. Même au nom de l’unité, ce mythe qui a toujours servi à rallier les plus radicaux aux plus modérés, en l’absence d’une extrême gauche faisant le poids. Manifester avec ceux qui prétendent s’opposer à une politique gouvernementale néfaste, oui. Mais sous notre drapeau et notre politique (même s’il ne s’agit aujourd’hui que d’une agitation propagandiste) et non dans une confusion qui ne peut que préparer futurs retournements et trahisons de nos alliés momentanés.

Notre priorité

Nous sommes sans grande force ni influence. Mais pour changer cela, il n’y aura pas de raccourci.

Si nous faisons le bilan depuis le dernier congrès, on constate néanmoins que le NPA (ou l’une ou l’autre de ses tendances) a été à peu près présent dans la plupart des luttes sociales et ouvrières qui ont eu quelque visibilité. De PSA Aulnay jusqu’aux grèves de la SNCF en passant par l’agro-alimentaire breton, les intermittents du spectacle, Notre Dame des Landes, la Poste et récemment dans le mouvement pour une convergence des luttes dans les hôpitaux. Certes très minoritaire, jamais dans un rôle dirigeant, sauf localement, mais présents et capables de trouver l’oreille d’un certain nombre de travailleurs, voire d’aider à des débuts d’offensive ou des embryons d’auto-organisation.

Cela n’est jamais allé très loin, du fait que dans les entreprises ou les secteurs en lutte, nous n’avons pas ou peu de camarades au préalable et encore moins ce que nous pourrions appeler une véritable implantation. Du fait aussi peut-être qu’elles n’ont généralement pas été l’objet de l’attention et de la mobilisation de tout le parti. Pourtant, à condition de ne pas nous contenter de nous aligner sur les directions syndicales, y compris quand elles se disent plus ou moins dans l’opposition ou se réclament de la gauche de la gauche, et sans non plus chercher à nous en distinguer à tout prix, mais en défendant ouvertement notre politique – le pouvoir aux grévistes eux-mêmes, tout faire pour que la lutte s’étende au maximum de ses possibilités – à chaque fois nous avons déjà pris notre (encore trop) petite place.

Nous ne construirons le parti qu’en poursuivant dans ce sens, en nous saisissant de toutes les opportunités d’intervenir dans les luttes de classe, petites ou grandes. C’est pour multiplier ces opportunités qu’il est impératif d’étendre l’implantation, d’abord dans les entreprises (dont les travailleurs, par leur place dans l’économie du pays, continuent à jouer le rôle de locomotive de la lutte de classe, même dans un pays où les grandes entreprises diminuent en taille) mais aussi, quand nous en avons les forces, dans les quartiers (là où nous pouvons rencontrer la majorité du prolétariat) et, enfin, dans la jeunesse, parmi les étudiants et lycéens (à condition de ne pas y aller, encore moins qu’ailleurs, sous la seule couverture syndicaliste, Unef ou autre, mais sous notre drapeau, avec notre programme révolutionnaire).

Partout où le parti a des militants, il doit être possible d’assurer une présence politique régulière (au moins quinzomadaire et, si possible, une fois par semaine), devant une entreprise, sur un marché, dans une fac à ou à la porte d’un lycée. Certains d’entre nous le font déjà. Mais il importe que ce soit la préoccupation de l’ensemble du parti. Les moyens d’affirmer cette présence politique des révolutionnaires (et pas seulement au nom d’un syndicat, d’un comité ou d’une association) dans chacun de ces secteurs ne manquent pas : bulletin d’entreprise ou tract régulier, vente de la presse, réunion publique, discussions systématiques, etc. Participer aux collectifs ou comités qui militent contre telle ou telle injustice ou oppression est sans doute souhaitable, participer aux élections aussi, si nous en avons les forces. Mais cela ne doit pas se faire au détriment ni des efforts prioritaires de l’implantation, ni de l’affirmation publique de nos orientations politiques.

Il n’est certainement pas facile de grandir ou recruter aujourd’hui mais c’est aussi en s’y efforçant dans une telle période qu’un parti révolutionnaire prépare l’avenir. Bien sûr, les couches les plus profondes du prolétariat, les plus désillusionnées par la politique sont aussi, en partie, les plus promptes à laisser leur sort aux mains des démagogues, de droite ou de gauche. À ce propos, il est d’ailleurs aussi dérisoire pour faire face au Front national de miser sur une alliance de la gauche que d’organiser des manifestations de l’extrême gauche à l’occasion des sorties publiques de Marine Le Pen. Indépendamment de la tranquille intégration institutionnelle du FN, ses succès viennent du crédit qu’il a gagné dans les couches populaires au fur et à mesure que la gauche a perdu du sien. C’est donc là que nous le combattrons politiquement, en défendant résolument notre orientation révolutionnaire, et non en constituant des alliances politiques contre nature avec des gens qui n’entendent s’opposer qu’à ses seuls succès électoraux et avec qui nous n’avons pas intérêt à être confondus aux yeux des travailleurs.

Nos orientations pour la période doivent donc, à notre avis, porter pour l’essentiel sur l’intervention dans les luttes de classes et l’implantation dans le prolétariat pour y défendre systématiquement l’auto-organisation de ceux en lutte, l’extension de celle-ci quand les revendications ou la situation du secteur le permettent et à bref ou long terme la convergence de ces luttes jusqu’à la réalisation du mouvement d’ensemble, un objectif éminemment politique qui seul serait susceptible d’imposer nos objectifs, le changement de société et le renversement du capitalisme. Et ceux d’entre nous qui insistent, à juste titre, sur la nécessité de donner une perspective politique aux luttes devraient reconnaître que celle que nous proposons-là est tout de même d’une autre portée qu’un bricolage entre partis de gauche en vue des prochaines élections.


II. Notre solidarité avec les peuples ne signifie pas le soutien politique à leurs dirigeants

La situation générale du monde est marquée actuellement par deux choses : une offensive généralisée contre les classes populaires, pas seulement en France ou en Europe mais à l’échelle de la planète ; un enchaînement de guerres (d’une ampleur inédite depuis la fin de la guerre du Vietnam en 1975, qui clôturait la longue période des guerres d’indépendance des colonies) menées par les grandes puissances impérialistes, ou dans lesquelles elles sont impliquées par le jeu complexe et changeant des alliances entre puissances régionales,

L’offensive contre le monde du travail et les plus pauvres ne date pas de ces dernières années. Mais, depuis la crise financière de 2008, elle a connu un changement de braquet.

De même pour les guerres. Le capitalisme n’a jamais vraiment cessé d’ensanglanter la planète, et la France de multiplier ses interventions en Afrique. Mais la disparition de l’URSS s’est accompagnée d’une plus grande instabilité encore qu’à l’époque de la « guerre froide », où le maintien de l’ordre contre les peuples se partageait entre les deux Grands. Avec l’invasion de l’Afghanistan en 2001 puis de l’Irak deux ans plus tard, les USA, se sentant manifestement les mains libres, ont cherché à s’assurer un contrôle accru de la principale région pétrolière de la planète ainsi que des routes d’accès aux ressources pétrolières des marges sud de la Russie et de l’Asie centrale. Depuis 2011, les interventions militaires des puissances impérialistes sont aussi une riposte à l’explosion des révolutions du monde arabe. D’où la guerre qui reprend de plus belle au nord de l’Irak et en Syrie, où les bombardements contre l’État Islamique n’empêchent pas le soutien aux forces les plus réactionnaires de la région.

Face à cette situation, force est de reconnaître que le NPA, comme l’extrême gauche dans son ensemble, n’ont pas de moyens d’intervention concrète et en sont essentiellement réduits aux dénonciations propagandistes. Reste l’expression de notre solidarité (prises de position et manifestations diverses) envers les peuples opprimés ou victimes des guerres, tout en essayant de définir les grandes lignes d’une politique indépendante de classe.

Face à l’État Islamique et aux puissances impérialistes

La question la plus débattue aujourd’hui dans le NPA est celle de l’offensive de l’« État Islamique » et de la résistance kurde. Disons d’entrée que nous ne pensons pas qu’il soit juste d’en appeler au gouvernement français, voire à celui des USA, pour fournir des armes aux combattants kurdes qui résistent à l’EI dans le nord de l’Irak et à Kobané. Passons sur l’aspect dérisoire d’une telle demande : ni Hollande ni Obama ne nous ont attendus pour, en fonction de leurs calculs propres, commencer à envoyer des troupes (conseillers militaires au sol, chasseurs dans le ciel) et se réjouir eux-mêmes d’avoir trouvé dans les milices kurdes la piétaille qu’ils ne veulent pas envoyer eux-mêmes pour le moment. Ils utilisent donc les combattants recrutés au sein d’un peuple opprimé, dont ils se débarrasseront probablement demain, tant il n’est pas question pour eux de gêner leurs principaux alliés du Moyen-Orient, à commencer par la Turquie, en soutenant vraiment la revendication d’indépendance et d’unité du peuple kurde. Dans le contexte présent, il serait illusoire d’y voir une convergence d’intérêts que des opprimés pourraient exploiter pour faire aboutir leurs revendications fondamentales.

Les grandes puissances sont aux prises avec des forces qui, certes, peuvent paraître leur échapper, mais qu’elles ont pourtant elles-mêmes engendrées : par l’occupation de l’Irak en 2003 et les exactions de l’armée américaine lors de l’intérim de Paul Bremer (administrateur civil de l’Irak jusqu’en juin 2004), puis les répressions menées par gouvernement Maliki mis en place par les USA en 2006 ; sans omettre le financement direct par les alliés régionaux des grandes puissances (Arabie Saoudite, Qatar, etc.), en Syrie, des forces les plus réactionnaires et de milices islamistes (dont l’EI). Mais l’EI est devenu l’ennemi à abattre, comme Ben Laden en son temps l’était devenu, après avoir été l’homme des Américains en Afghanistan contre l’URSS.

On peut comprendre que, dans la situation ainsi créée, les organisations nationalistes kurdes demandent des armes et des appuis militaires aux grandes puissances occidentales qu’elles aident de fait en freinant l’avancée des troupes de l’EI. Mais n’oublions pas que, par cette politique, les directions nationalistes kurdes préparent probablement pour le peuple kurde de nouveaux déboires, avec le retournement de ces alliés impérialistes d’un jour.

Ces directions nationalistes, aussi bien les dirigeants du PKK (en Turquie mais pas seulement) et du PYD (en Syrie) que Barzani (actuel chef du gouvernement régional du Kurdistan irakien), ont leurs propres intérêts à conquérir le pouvoir. Qui plus est, elles rivalisent entre elles pour le monopole de la représentation du peuple kurde : il est évident que l’envoi de renforts du PKK au Kurdistan irakien est mu non seulement par la poussée de sympathie de tous les Kurdes mais aussi par la concurrence entre ce parti et celui de Barzani pour le pouvoir au Kurdistan irakien.

Avec leur passé plus ou moins maoïste et leur dirigeant Öcalan emprisonné en Turquie, avec leurs femmes combattantes et une laïcité affichée, le PKK et sa branche syrienne, le PYD, apparaissent comme des partis plus « à gauche », plus modernes. Mais, vis-à-vis de leurs peuples, ils ne sont pas moins dictatoriaux, pas moins prêts à éliminer toute opposition.

Les dirigeants du PYD syrien jouent aujourd’hui sur deux tableaux. D’une part, ils ont noué une alliance tactique avec Assad, qui leur a permis de gagner momentanément l’autonomie de leur zone ; tant pis pour le reste du peuple syrien, tant pis pour les Kurdes eux-mêmes dont cette politique accroît l’isolement par rapport aux autres opprimés de Syrie. D’autre part, ils se proposent de nouer une alliance avec les grandes puissances (sans rompre avec Assad), en quête de cette reconnaissance internationale dont ils espèrent obtenir un jour un territoire à gouverner. L’alliance militaire leur vaut un début de reconnaissance dont ils semblent se féliciter, avec des grandes puissances qui les lâcheront probablement demain. Toute l’histoire de la lutte du peuple kurde a été faite de pareilles alliances avec tel gouvernement ou tel autre, suivies d’autant de trahisons.

Notre tâche est donc d’abord de dénoncer (ce que nous faisons tous) les responsabilités de nos propres gouvernements dans la création de cet EI qu’ils prétendent combattre et, plus largement, dans la mise à feu et à sang de l’Irak et de la Syrie, voire d’une grande partie du Moyen-Orient. C’est-à-dire dénoncer les buts réels de leurs interventions, à savoir mettre en place des régimes à leur solde, même si c’est au prix d’une autre barbarie. L’obsession des grandes puissances étant de garder la main dans cette région du monde, en parant à tout ce qui pourrait aller dans le sens d’une issue révolutionnaire et démocratique pour les masses populaires.

Autant de raisons pour ne pas appeler de nos vœux quelque intervention militaire des grandes puissances impérialistes. On a eu l’expérience amère de toute la gauche, Front de gauche et jusqu’à certains camarades de la IVe internationale, soutenant l’intervention militaire occidentale pour prétendument « sauver le peuple libyen » de la dictature de Kadhafi. La population libyenne est aujourd’hui livrée à des bandes armées aussi réactionnaires que rivales, ces mêmes bandes sur lesquelles la coalition occidentale s’est appuyée.

Notre solidarité va évidemment aux populations menacées en Irak par les hordes réactionnaires de l’EI, à celles qui, en Syrie, sont sous les feux croisés de la dictature de Assad et des diverses coteries armées qui rivalisent avec lui pour le pouvoir, qui s’entendent au moins à étouffer les revendications démocratiques et sociales. Mais cette solidarité ne doit se confondre en rien avec un soutien politique à des dirigeants nationalistes, même à ceux d’entre eux, kurdes ou pas, qui se prétendent progressistes.

Nous avons eu quelques occasions d’exprimer ici dans des manifestations et rassemblements (certes d’une portée bien limitée) notre solidarité envers les peuples qui sont soumis aux dictatures et aux guerres fomentées par les appétits impérialistes. Malheureusement, nous n’avons guère les moyens de leur apporter une solidarité plus effective. En revanche, il est sans doute à notre portée (et de notre devoir) d’apporter le maximum d’aide politique, voire matérielle, aux petits groupes révolutionnaires de ces pays, là où ils existent et se situent sur le terrain de la lutte de classe, de l’anticapitalisme et de l’internationalisme.

De Gaza…

Il en est de même de notre solidarité avec le peuple palestinien, que nous avons manifestée cet été contre les attaques sur la bande de Gaza, malgré les pressions du gouvernement français, les critiques de ceux qui avaient le culot de dire que nous allions alimenter l’antisémitisme. En aucune façon, pourtant, cette solidarité ne peut conduire à un soutien politique au Hamas, pas plus qu’à l’autorité palestinienne de Mahmoud Abbas.

Notons au passage que la plupart des organisations nationalistes des années 1960-1970, qui se disaient plus ou moins de gauche, ou plus ou moins laïques, ont été vaincues ou se sont déconsidérées, comme l’OLP par exemple, ne serait-ce qu’à cause de la corruption de leur dirigeants. Celles qui ont pris le relais et ont pu attirer une partie de la jeunesse par leur apparent radicalisme sont souvent, comme le Hamas en Palestine (il en est de même du Hezbollah libanais, aujourd’hui allié de Assad), des organisations profondément réactionnaires et dictatoriales.

Le radicalisme du Hamas (l’époque où Israël le tolérait voire le propulsait contre l’OLP est loin), fait d’attentats suicides ou d’envoi de quelques roquettes sur Israël, facilite d’une certaine façon la propagande du gouvernement israélien pour faire accepter à la population la guerre qu’il mène au peuple palestinien. Sur ce terrain, la révolte des pierres de 1987-1988, lancées par des jeunes en colère, avait fait plus de mal à la politique d’Israël que les tirs du Hamas, ne serait-ce que parce que des jeunes appelés de l’armée israélienne prenaient conscience de se retrouver face à des semblables. Les manifestations contre la guerre en Israël même eurent alors une autre ampleur que les maigres manifestations de cet été. Et, quand on voit, en pleine offensive israélienne sur la bande de Gaza, le Hamas exécuter de prétendus traîtres (ou simples opposants ? nous n’en savons rien), on ne peut s’empêcher de penser que le caractère public des exécutions a pour but de terroriser la population de Gaza, de la contraindre à se ranger derrière la dictature du Hamas.

Notre propagande doit aussi s’adresser à la population israélienne, victime du chômage, de la hausse des prix et du coût de la guerre. Elle doit épauler ceux qui, en Israël, s’opposent à la politique de leur gouvernement (même s’ils semblent aujourd’hui moins nombreux qu’hier) et doit s’efforcer de contribuer à ce que les opprimés des deux communautés, Israéliens et Palestiniens, se retrouvent dans un même combat, celui de leur classe.

La campagne BDS, lancée par une poignée d’anticapitalistes et révolutionnaires israéliens souligne certes les complicités impérialistes avec la politique d’Israël. Elle n’a guère de chance d’infléchir la politique de cet État. Plutôt qu’espérer vainement asphyxier cet État, ne vaudrait-il pas mieux chercher à soutenir par tous nos faibles moyens ceux qui, en Israël même, luttent contre l’oppression des Palestiniens ?

… à Tunis

En Tunisie et en Égypte, depuis trois ans, toutes les forces de la contre-révolution, indépendamment de leurs concurrences entre elles, l’armée, les politiciens de l’ancien régime (recyclés notamment dans le parti Nidaa Tounes en Tunisie ou derrière le général Sissi en Égypte) et les partis islamistes, s’efforcent d’en finir avec les aspirations démocratiques et les revendications sociales qui avaient conduit aux révolutions renversant Ben Ali et Moubarak.

Ces révolutions étaient parties de revendications démocratiques, d’un mécontentement général contre des régimes corrompus, contre le manque de liberté, l’arbitraire policier, en même temps que le chômage et la misère. Elles brassaient pêle-mêle bien des couches de la société et, en premier lieu, la jeunesse. Les travailleurs y ont participé avec les autres, sans politique spécifique, même s’il est notable qu’aussi bien en Tunisie qu’en Égypte les grèves ont joué un rôle important dans la chute des régimes. Mais c’est à partir de là que la tâche des révolutionnaires était de s’efforcer de répondre au mécontentement politique et social par une politique pour les travailleurs et les chômeurs, un programme à la fois démocratique et social, privilégiant le terrain des luttes et des mobilisations de classe, plutôt que le piège des impasses électorales que la bourgeoisie – toutes tendances confondues – a tendu aux classes populaires.

Car ce n’est pas par le seul poids des traditions religieuses que les démagogues d’extrême droite, les partis islamistes, ont pu avoir l’oreille des couches populaires et gagner leurs voix aux élections. C’est aussi parce qu’en face aucune autre politique n’était proposée aux travailleurs, aux populations pauvres, que celle d’attendre une nouvelle Constitution, puis encore une nouvelle élection, etc.

L’extrême gauche est certes bien faible. Mais, au nom de cette faiblesse, certains ont conclu à la nécessité de prétendus « fronts uniques », qui se sont résumés à des fronts électoraux, d’où une politique d’oscillations et, généralement, d’alignement sur des courants réformistes. En Égypte, on a vu une partie des militants d’extrême gauche, ceux du groupe « Socialistes Révolutionnaires », soutenir un jour Morsi à l’élection présidentielle, et la même extrême gauche se diviser ensuite sur le sens de son renversement par l’armée. En Tunisie, il s’est plutôt agi d’un suivisme par rapport au PCOT dont la politique s’est résumée essentiellement à vouloir d’abord garantir la démocratie et, comme tant d’autres nationalistes de gauche, « redresser » le pays avant d’en venir aux revendications sociales. Le programme du Front populaire pour l’élection du 26 octobre 2014 promettait ainsi de redresser économiquement le pays par un budget plus « équilibré », grâce à l’appui de « chefs d’entreprises patriotes » prétendument créateurs d’emplois.

En Europe

Face à l’offensive du patronat contre le monde du travail, c’est à des problèmes politiques similaires que nous sommes confrontés en Europe occidentale, où nous sommes un peu moins démunis sur le plan militant, et dans une situation moins dramatique.

Le mouvement ouvrier, politique et syndical, y est affaibli par apport à ce qu’il était il y a 50 ou même 20 ans. Même s’il faut rappeler que les partis communistes qui le dominaient étaient staliniens, avec des moyens non négligeables de paralyser ou trahir les luttes. La faiblesse actuelle du mouvement ouvrier organisé ne signifie pas l’absence de combativité : des grèves et manifestations massives ont eu lieu contre les plans d’austérité en Grèce, en Espagne, au Portugal, etc. C’est une perspective de classe qui manque à ces luttes.

La quasi-disparition des PC staliniens a généralement laissé la place à des démocrates de gauche, sur le terrain politique comme à la tête des syndicats, au PS ici, au Pasok en Grèce ou au PSOE en Espagne. Des partis dits de « gauche de la gauche », issus des PC ou des PS (Syriza en Grèce), se distinguent en réalité peu de la gauche classique, que ce soit par leurs programmes ou par leurs perspectives politiques gouvernementales. Là où il faudrait parler d’alliance de tous les travailleurs d’Europe, de convergences de leurs luttes, on n’entend que l’expression de la nostalgie de la gauche d’antan, le regret d’un keynésianisme des lendemains de la Seconde Guerre mondiale, les illusions sur les possibilités de développement d’une économie vraiment « nationale »… Autant de voies de garage pour la classe ouvrière, quand il ne s’agit pas d’un chauvinisme qui sert de fait la démagogie d’extrême droite – en particulier quand, par exemple, ils rendent l’Europe, ou même, plus bêtement encore, l’euro, responsables de la crise et des politiques d’austérité.

Le mouvement des « Indignés » qui a su mobiliser, comme en Espagne, des fractions importantes de la jeunesse révoltée par la crise, flatte de son côté un certain apolitisme. Cela n’a pas empêché Podemos d’en drainer les forces et, sur la base d’un relatif succès électoral aux européennes, de chercher à le structurer en un nouveau parti. Pour quels objectifs et sur quel programme ? Faire le ménage parmi les dirigeants politiques ? Un peu plus d’impôts pour les riches ? Un audit de la dette et d’éventuelles nationalisations pour donner à l’État les moyens de contrôler les secteurs stratégiques ? Jusque-là, rien de ce que des politiciens de gauche un peu démagogues ne peuvent proposer à des élections.

Nous devons bien sûr nous adresser à ceux qui sont « indignés » par les mensonges politiciens, à ceux qu’attire de ce fait Podemos (qui ne sont pas que des jeunes), participer à leurs manifestations, leurs assemblées, mais en essayant de montrer les liens entre leur révolte et les luttes des travailleurs. En expliquant surtout qu’il y a une marge entre une politique repeinte en rose d’un parti qui n’aspire qu’à devenir un parti institutionnel comme les autres et l’anticapitalisme révolutionnaire.

On retombe là encore sur l’incontournable problème de la nécessité et des moyens d’opposer une politique révolutionnaire de classe aux impasses, voire aux pièges, de la « gauche de la gauche ».

8 novembre 2014

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