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Les Kurdes sous les feux de l’actualité

mercredi 24 septembre 2014

En première ligne face à l’EI, les combattants Kurdes accèdent ici à la popularité, notamment à l’extrême-gauche [1]. Comparée aux bandes de soudards ou aux armées qui, de Gaza à Bagdad, mettent le Moyen-Orient à feu et à sang, il est vrai que la branche féminine de la guérilla du PKK, par exemple, a des allures de rêve devenu réalité. On nous la montre sous son meilleur jour, volant au secours des chrétiens et de la minorité yézidie. Femmes commandées par des femmes – l’état-major du PKK respecte la parité. Il paraît même que les fous de dieu de l’EI craignent de mourir sous leurs tirs, car Allah les priverait alors des 70 vierges promises aux martyrs [2] – l’éternité est tout de suite moins attrayante. On n’y croit pas trop ! Mais, au-delà de cette qualité des milices du PKK, un certain égalitarisme hommes-femmes hérité de leur passé à sympathies maoïstes, c’est de leur politique qu’il faut parler, ainsi que de celles des autres mouvements nationalistes plus respectables aux yeux de Hollande ou d’Obama.

Nouveau relais des États-Unis au Moyen-Orient ?

Les succès militaires de l’EI ont ouvert aux mouvements nationalistes kurdes de nouvelles possibilités d’obtenir une plus grande autonomie de leurs régions en offrant aux grandes puissances leurs services pour combattre l’organisation djihadiste. Ces puissances, réticentes jusque-là à l’idée d’une indépendance du Kurdistan, ont sauté sur l’occasion d’avoir de nouvelles troupes sur place, les Peshmergas, plus fiables que l’armée irakienne.

Elles ont décidé de leur fournir des instructeurs et des armes. Mais avec prudence : les États-Unis assurent la protection aérienne, l’Italie solde un stock de fusils d’assaut saisi pendant la guerre en ex-Yougoslavie, tandis que l’Europe de l’Est fournit plusieurs tonnes de munitions. Plus prudente, ou voulant ménager la Turquie, susceptible sur la question kurde, l’Allemagne a commencé par les gilets pare-balles. La France en est à sa quatrième livraison d’armes, même si ce ne sont plus les « armements sophistiqués » évoqués au départ par Laurent Fabius. Et Hollande, dans la foulée de sa visite au nouveau gouvernement de Bagdad, a fait un tour par Erbil, la capitale du gouvernement régional kurde. Le Kurdistan irakien a obtenu, depuis l’invasion américaine de 2003, une certaine autonomie régionale, il a ses troupes qu’on a choisi d’armer... et ses puits de pétrole. Mais l’autre nouveauté a été l’afflux en Irak des combattants du PKK (Parti des travailleurs kurdes) venus pour beaucoup de Syrie et de Turquie où le PKK est le plus implanté. Ce mouvement nationaliste, dont le fondateur, Abdullah Öcalan, est emprisonné en Turquie, reste classé par les États-Unis sur la liste des organisations « terroristes ».

Il va bien falloir que les États-Unis revoient cela. Car les deux principales factions du mouvement nationaliste kurde rivalisent pour obtenir les bonnes grâces des Occidentaux. Massoud Barzani, Président du gouvernement régional du Kurdistan, donne des gages de responsabilité en remisant son référendum sur l’indépendance du Kurdistan irakien. Mais c’est le PKK qui se montre de loin le plus efficace sur le terrain.

Grains de sable

Pour l’impérialisme, la partie est tout de même risquée. La Turquie, allié essentiel dans la région, s’oppose à toute aide au PKK. Elle préfère l’organisation rivale de Barzani à qui elle a, par le passé, sous-traité la liquidation de sanctuaires des troupes d’Öcalan. Elle a obtenu que des conseillers militaires occidentaux accompagnent les missiles les plus dangereux fournis aux troupes kurdes, et s’en réservent le maniement. Pas question de les voir demain se retourner contre l’armée turque.

Pour l’instant, en Turquie, le gouvernement islamiste d‘Erdogan, tout en gardant Öcalan en prison, cherche plus ou moins un compromis avec ses propres Kurdes. La modernisation des infrastructures de la zone kurde fait bénéficier ses notables du relatif boom économique des années 2000, et la population est autorisée à parler et écrire en kurde. Une presse légale du PKK paraît en turc et en kurde, y compris avec des reportages sur la guérilla. Mais l’armée turque, pilier traditionnel du régime, veille à ce que ce vent de liberté n’outrepasse pas certaines limites. Car elle sait qu’avec l’inégalité sociale les braises risquent de se rallumer, alors que l’économie turque peine à sortir des turbulences de la crise mondiale. D’autant que, de l’autre côté des frontières syrienne et irakienne, des bouts de Kurdistan s’autonomisent qui pourraient être contagieux dans le Kurdistan turc.

Les limites de la politique des nationalistes

Pour le peuple kurde, rien ne dit que sa gloire du moment, celle de se faire trouer la peau pour combattre l’EI, lui soit payée de retour. Toute l’histoire passée du mouvement nationaliste kurde est marquée de ces revirements des puissances, grandes ou régionales, auxquelles les dirigeants nationalistes avaient offert leurs services dans l’espoir de se faire reconnaître des droits, voire un État, avant que celles-ci les rejettent et répriment le peuple kurde pour le remettre « à sa place », celle d’un peuple paria. Or la politique actuelle des nationalistes kurdes n’a pas changé, y compris de ceux qu’on dit « progressistes » comme le PKK.

Barzani n’ambitionne que d’accroître sa zone et avoir un contrôle plus absolu sur le pétrole de la région : il en a profité pour contrôler Kirkouk et ses puits de pétrole ; il a déjà passé, par dessus la tête du gouvernement de Bagdad, des marchés pétroliers, notamment avec la Turquie. Mais il compte sur son alliance avec les grandes puissances pour se faire reconnaître demain plus de pouvoirs.

En Syrie, le PKK (ou PYD – Parti de l’unité démocratique −, nom de sa branche syrienne) se concentre depuis 2011 sur la défense et l’administration des régions kurdes de Syrie que Bachar Al-Assad lui a laissées, avec l’intention de fédérer toutes les minorités pour mieux combattre les révoltes contre son régime. Cela a été, en quelque sorte, une réactivation, au moment où les printemps arabes se déployaient, d’une vieille alliance avec la dictature des Assad, qui avait abrité la direction du PKK de 1980 à 1998 dans la plaine libanaise de la Bekaa, alors occupée par la Syrie. C’est cela que le PKK appelle la « troisième voie ». Il peut parler de « révolution agricole » à propos de la mise en culture de quelques milliers d’hectares dans sa zone, et passer sous silence ses méthodes dictatoriales vis-à-vis de sa propre population. Son pacte l’a surtout amené à combattre tous les groupes armés opposés à Assad, dès qu’ils venaient marcher sur ses plates-bandes.

Concurrence

Pour le PKK, l’envoi massif de combattants de Syrie et de Turquie pour combattre l’EI en Irak est surtout un moyen d’obtenir la reconnaissance et de changer le rapport de force dans le Kurdistan irakien entre lui et le parti de Barzani, qui y est très fortement majoritaire.

Mais, en jouant ce jeu, il prépare peut-être aux Kurdes des lendemains qui déchantent, le jour où, Al-Assad parti, ils deviendront la bête noire des nouveaux maîtres de la Syrie. Ou bien quand ses grands alliés jugeront que passent avant la liberté des Kurdes les intérêts supérieurs de l’ordre régional, de la sécurité de la Turquie ou du rabibochage avec un Iran qui a aussi son problème kurde.

Une autre perspective

Le peuple kurde aurait pourtant bien d’autres perspectives. Les Kurdes ne sont plus seulement des bergers semi-nomades ou des paysans. En premier lieu, en Turquie, berceau du PKK, sous l’effet des persécutions, de la submersion des vallées due au millier de barrages construits ces dernières décennies, et de la modernisation de l’agriculture, ils sont désormais plusieurs millions dans les grandes villes de Turquie, dont plus trois millions rien qu’à Istanbul. Et ils sont nombreux dans les organisations ouvrières du pays.

Or, des grèves de Renault à Bursa en passant par les émeutes de mineurs protestant contre les coups de grisou, les travailleurs de Turquie montrent leur combativité. Les Kurdes d’Irak, eux, travaillent aux côtés des travailleurs arabes dans les installations pétrolières du nord-est du pays. Et l’Iran est un des plus grands pays industriels de la région. Peuple à cheval sur quatre pays, les Kurdes pourraient être le ciment internationaliste de ces luttes prolétariennes. 

13 septembre 2014, Mathieu PARANT


Les Kurdes, combien de divisions ?

Population. Les nationalistes kurdes affirment être la plus grande nation sans État [3]. Les quatre États (Turquie, Irak, Syrie, Iran) dans lesquels ils vivent minimisent leur nombre. Bachar el-Assad a ainsi carrément privé d’état civil 800 000 des deux millions de Kurdes syriens. Les évaluations courantes vont de 20 à 50 millions. En Turquie. « Apo », surnom du leader emprisonné du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK, d’inspiration maoïste) Abdullah Öcalan, est le tag le plus populaire sur les murs de l’est du pays. Prônant la lutte armée, le PKK anime aussi un parti légal BDP (Parti de la paix et de la démocratie). En août dernier, lors de la première élection présidentielle au suffrage universel, son candidat a frôlé les 10 %, arrivant en tête dans la quasi-totalité des circonscriptions du Kurdistan turc. Le PKK exerce une attraction sur une partie de l’extrême-gauche turque, qu’il a convaincue de se présenter avec sa vitrine légale aux élections législatives de 2002 (6 % des voix) et de soutenir son candidat Demirtas.

En Irak. Massoud Barzani dirige le gouvernement autonome du Kurdistan irakien né après la chute de Saddam Hussein. Son parti, le Parti démocratique du Kurdistan, comme l’Union patriotique du Kurdistan de son rival historique Jalal Talabani, réputé moins conservateur, et à peu près tous les autres partis, dont le PÇDK émanation locale du PKK, s’appuient sur des miliciens appelés indifféremment peshmergas.

En Syrie. Le PYD (Parti de l’unité démocratique), organisation sœur du PKK, aurait le soutien de 60 % des deux millions de Kurdes syriens. Face à elle, onze partis politiques ont fondé le Conseil national kurde en Syrie (KNCS) sous le patronage de Massoud Barzani.

En Iran. Toute activité politique est strictement clandestine. Cela n’empêche pas les factions kurdes d’y avoir des antennes politiques et militaires.

M. P.


[1Voir les articles publiés par l’OCL sur son site http://oclibertaire.lautre.net ; pour leurs auteurs, le leader du PKK, Öcalan, se serait converti en prison aux théories « communalistes » de l’anarchiste américain Murray Broochin.

[2Benjamin Delille, Les femmes kurdes : l’arme ultime contre l’Etat Islamique, repris par le site kurde en langue française www.rojbas.org, vraisemblablement lié au PKK.

[3Ariane Bonzon, « Qui sont les Kurdes et que veulent-ils ? », publié sur www.slate.fr, 28 novembre 2012.

Mots-clés Daech (Etat islamique) , Impérialisme , Kurdes , Monde