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Ukraine : un oligarque peut en cacher un autre !

samedi 14 juin 2014

La situation devient de plus en plus meurtrière dans le Donbass, à Donetsk et Louhansk où, le 11 mai dernier, ont été proclamées des « Républiques populaires » à la suite de référendums sommaires, et où les séparatistes ont empêché les opérations de vote pour l’élection présidentielle du 25 mai. Fort de son succès électoral, le nouveau président Petro Porochenko, qui prétend « mettre fin au chaos », a lancé dès le lendemain des contingents de l’armée ukrainienne pour reprendre l’aéroport de Donetsk. D’où une violence accrue, pour ne pas dire de vraies scènes de guerre : bombardements par des hélicoptères et avions de chasse, qui ont fait de nombreux morts dans les rangs des prorusses armés mais aussi de la population civile, mitraillages en retour contre l’armée ukrainienne, meurtriers aussi.

Mais ils sont contents

Et pourtant Barack Obama comme les chefs des grandes puissances européennes sont satisfaits du résultat de la présidentielle, dont ils craignaient qu’elle ne puisse se tenir et prive les autorités de Kiev de la légitimité des urnes. Mais c’est bon ! Certes quelque 10 à 12 % de la population de l’Est n’ont pas voté, certes la Crimée annexée par la Russie non plus, sans oublier les abstentions non négligeables (au total, sur 35,5 millions d’inscrits sur des listes électorales, seuls 18 millions ont participé au vote). Mais qu’à cela ne tienne, ce serait quasiment toute l’Ukraine – 85 % selon Porochenko – qui aurait opté pour des candidats « pro-européens » ! Peu importe aux « démocrates » occidentaux qu’un nouvel oligarque succède au précédent, eux qui pourtant avaient applaudi ces manifestants de Maïdan qui, forts d’un soutien populaire important, avaient obligé Ianoukovitch à fuir, fin février. Puisque le nouveau potentat se dit « pro-européen » !

Le palmarès laisse pourtant à désirer

L’important est aussi que Petro Porochenko ait été élu avec plus de 50 % des voix, dès le premier tour, sans traîner. Chose cocasse : l’abstention forcée des régions de l’Est, en augmentant le taux d’abstentions, a de toute évidence grossi le pourcentage de voix qu’il a recueilli, et favorisé son succès au premier tour ! Arrive ensuite Ioulia Timochenko avec quelque 13 % des voix, femme d’affaires elle aussi, largement compromise dans des scandales gaziers. Puis un populiste de droite plutôt extrême, avec plus de 8 % des voix… puis quelques autres pas meilleurs ! Avec un tel palmarès, y a-t-il vraiment lieu de pavoiser ? Et nos démocrates sont bien dérisoires quand ils se félicitent qu’avec des candidats de Pravyi Sektor et Svoboda ayant recueilli moins de 1 % chacun, l’Ukraine serait – quoi qu’en ait dit Poutine – le pays d’Europe le moins gangrené par l’extrême droite.

Bizness is bizness

C’est que le critère de satisfaction des classes dominantes n’est pas la démocratie, mais d’abord la bonne marche de leurs affaires, dont l’acheminement des hydrocarbures russes. Ensuite, vive les élections qui engloutissent dans les urnes les espoirs de changement de ceux qui ont lutté. Vous ne vouliez plus de Ianoukovitch ? Voilà Porochenko ! Un oligarque en cache toujours un autre.

Le nouveau ne porte pas le même nom, mais il est millionnaire aussi, girouette politique également (qui a participé à divers gouvernements, entre autres comme ministre des Affaires économiques sous Ianoukovitch). Il est patron d’un trust de 45 000 salariés auxquels il prétend donner un salaire deux fois plus élevé que la moyenne nationale, mais sans promettre qu’il va le généraliser au pays, si tant est que ses salariés vivent si bien. Il annonce qu’il va signer avec l’Union européenne (UE) ce fichu accord de partenariat et de libre-échange que son prédécesseur avait refusé de parapher, mais en se gardant de parler de la « thérapie de choc » que le Fonds monétaire international (FMI) et l’UE exigeront des masses populaires en échange de l’aide financière aux riches du pays. Certes Porochenko annonce aussi – et ce n’est guère étonnant vu la situation du pays – qu’il engagera au plus vite le dialogue avec Poutine, sur le prix du gaz et bien d’autres choses. On peut imaginer qu’il va parler de l’avenir de son chocolat, ou des minibus de son usine de Lvov, les deux en rade du fait de relations économiques gelées avec la Russie, mais parler aussi des usines d’armement russes et ukrainiennes, situées de part et d’autre de la frontière et qui ont cruellement besoin les unes des autres pour tourner. Car on ne peut pas faire voler un avion sans ailes !

Il est prévu que les affaires reprennent

On ne sait évidemment pas comment évoluera la situation. La tension accrue dans l’Est du pays a été exacerbée jusqu’à aujourd’hui des deux côtés, par le pouvoir de Kiev comme par les bandes dites prorusses. Les puissances occidentales d’un côté et la Russie de l’autre n’ont cessé de jeter de l’huile sur le feu, de fournir le pays en mercenaires baroudeurs, ou d’encourager les baroudeurs locaux. Pour le malheur des populations plongées dans un conflit communautaire, et profondément troublées par cette situation de guerre avec la Russie, pays voisin dont elles partagent la langue et avec lequel elles gardent une multitude de liens historiques et humains.

Mais l’exacerbation actuelle n’empêche pas que les apprentis sorciers souhaitent un règlement. S’il est encore possible. Des signes nets en sont donnés de part et d’autre. C’est souvent à la veille d’un règlement que les camps en présence font étalage de leur force. Mais il faut que les affaires reprennent ! Qu’Obama assure la vente de Boeings à la Russie, Hollande celle des joujoux militaires français. Que Poutine puisse maintenir ouverts ses robinets de gaz vers l’Europe.

Rien n’est réglé

Les révoltés de Maïdan, et tous ceux qui derrière eux avaient gagné la première manche en chassant le dictateur honni, ont manifestement perdu la deuxième avec l’élection d’un personnage du même acabit. Porochenko ne leur prépare rien de bon en fixant maintenant pour horizon des élections législatives anticipées. Non par souci démocratique, mais parce qu’elles sont prétexte à remettre à plus tard des mesures que la population attend, entre autres contre la corruption.

On imagine évidemment mal ce Porochenko en champion des « lustrations » [1] que des centaines de milliers de manifestants sur Maïdan appelaient de leurs vœux ! À moins qu’une troisième manche n’arrive plus vite que prévu, de mobilisation des travailleurs et des plus pauvres de l’ensemble du pays, pour leurs objectifs de classe communs. En quelques mois, certes au travers de dures épreuves, beaucoup ont fait l’expérience de luttes comme ils n’en avaient jamais menées, et que peu de pays de l’Est européen depuis 20 ans ont connues. Il ne peut qu’en rester quelque chose, même si aujourd’hui la partie n’est pas facile contre ce cocktail de champions du FMI et de l’oligarchie !

30 mai 2014, Michelle VERDIER


Pourquoi Porochenko ?

Il y a certes de quoi s’étonner qu’un Petro Porochenko ait surgi presque comme un diable de sa boîte comme candidat favori de la présidentielle, dès l’annonce de l’élection il y a plus de deux mois. Un oligarque était chassé par une porte, et aussitôt un autre se montrait à la fenêtre ! Choisi par qui ? Comment ? Après quels marchandages et compromis au sein des milieux dirigeants, nationaux et au-delà ?

Porochenko a très probablement bénéficié du soutien d’une puissance comme l’Allemagne, puisqu’il a choisi d’afficher des liens politiques avec le boxeur Vitali Klitschko, lui-même favori d’Angela Merkel et des milieux d’affaires allemands (qui ont quelques intérêts en Ukraine !). Klitschko ne s’est pas présenté pour lui laisser la place. Nul doute que cette solution a été discutée dès le départ de Ianoukovitch !

Nul doute également qu’il y a eu parallèlement moult tractations entre le gouvernement provisoire de Arseni Iatseniouk et ceux qui exercent le réel pouvoir économique, à savoir la ribambelle d’oligarques millionnaires, patrons des gros trusts industriels ou agro-alimentaires du pays. Il est bien difficile de dire pourquoi Porochenko plutôt qu’un autre. Peut-être parce que le patron des chocolats Roshen (mais aussi d’usines automobiles) avait eu ouvertement maille à partir avec Poutine, à l’été 2013 – quand ses confiseries avaient été interdites d’entrée en Russie sous des prétextes « sanitaires » – au moment où s’engageait la dernière étape du bras de fer Russie/Ukraine pour la signature des accords de Vilnius, sur le partenariat avec l’UE.

Fait notable, les oligarques concurrents de Porochenko (mis à part évidemment Ianoukovitch) ont obtenu des contreparties manifestes. Ils se sont vu distribuer par le nouveau gouvernement prétendu « provisoire » (mais néanmoins capable d’agir !) des postes de « gouverneur » de villes importantes de l’Est industriel du pays, sous influence possible de la Russie. Certains occupaient déjà de bonnes positions régionales, en particulier Rinat Akhmetov, l’homme des mines, de l’acier… et des retournements d’alliances. Certes, peut-être fallait-il remplacer les amis de Ianoukovitch ? Toujours est-il qu’un certain Igor Kolomoïski (patron du groupe Privat et de la Privatbank) est devenu le nouvel homme fort du sud-est ukrainien, nommé par Kiev gouverneur de Dnipropétrovsk. L’un de ses associés, Palytsia, a été nommé gouverneur d’Odessa.

Ces hommes d’affaires ne restent pas politiquement les deux pieds dans le même sabot, puisqu’ils usent de leur fric et de leur position pour lever des bandes de mercenaires ou recruter parmi leur propre personnel. Ainsi Kolomoïski aurait organisé une armée de plusieurs milliers d’hommes, dont 2 000 auraient récemment rejoint sur ses ordres la police ou l’armée. Akhmetov, lui, a mobilisé parmi les salariés de ses usines, à Marioupol, de quoi reprendre la mairie aux séparatistes et « nettoyer » la ville de leurs barricades.

Ces millionnaires sont pour la plupart, comme en Russie, sortis de l’ancien appareil de la nomenklatura stalinienne. Depuis vingt ans, leurs sensibilités vont d’Est en Ouest, ou vice-versa, au gré de leurs intérêts économiques. D’où leurs hésitations et volte-face. Seule chose certaine, ils sont capables de se liguer contre la menace d’un pouvoir populaire venu d’en bas. Certains se sont montrés sur Maïdan, mais à reculons, sans y être acclamés, et pour mieux reprendre ultérieurement la main. D’où leur précipitation ensuite à ficeler cette candidature Porochenko, en connivence très probable avec les grandes puissances, y compris la Russie.

Le candidat était choisi, les électeurs ensuite n’avaient plus qu’à l’élire !

M.V.


Classe touriste ou classe affaires ?

Mais qu’est allé faire Hollande à Erevan, en Arménie, le 13 mai dernier ? Les hauts plateaux sont probablement magnifiques et une partie de la diaspora arménienne susceptible de voter pour lui aux Européennes… Mais c’est maigre pour justifier le déplacement vers cette ex-République soviétique qui, indépendante depuis plus de vingt ans, garde des liens privilégiés avec Moscou (elle a besoin de sources d’énergie, d’appui militaire éventuel, entre autres contre des voisins géorgiens ou azerbaïdjanais avec lesquels les relations sont tendues).

Alors Hollande a fait d’une pierre deux coups : primo inciter l’Arménie à nouer, comme l’Ukraine, un partenariat avec l’UE (car les pressions occidentales restent fortes pour tenter de décrocher les pays de l’ex-bloc soviétique de l’influence russe), et secundo vanter les mérites des Mistral français, ces navires bourrés d’électronique et de systèmes d’armement qu’il s’est engagé à vendre à la Russie.

Poutine pourra toujours les amarrer en Crimée !


[1« Lustrations », ou nettoyage d’une bonne partie des privilèges que s’arroge la caste des oligarques.

Mots-clés Monde , Ukraine