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Bal des vampires

samedi 16 novembre 2013

Après le pape, ce sont Manuel Barroso, président de la Commission européenne, et Enrico Letta, chef du gouvernement italien, qui y sont allés de leur larme, le mardi 9 octobre, sur l’île italienne de Lampedusa, proche de la Tunisie. Ils venaient « rendre hommage » aux 360 victimes du naufrage, quelques jours plus tôt, d’un bateau surchargé qui transportait plus de 500 immigrés venus d’Afrique. En guise de fleurs et couronnes, Enrico Letta apportait la promesse d’accorder la nationalité italienne à titre posthume aux victimes, qui bénéficieraient ainsi de places dans des cimetières de Sicile (numérotées, faute de papiers d’identité). Rien pour les 155 rescapés, évidemment. À l’heure où, en France, certains politiciens en sont à remettre en cause le « droit du sol » qui accorderait trop facilement à leur goût la nationalité aux enfants nés ici, l’Italie, elle, inventerait le « droit du sous-sol » pour les morts dans ses eaux territoriales par la faute de barrières de plus en plus infranchissables dressées aux frontières de l’Europe ?

Le même jour, la société Frontex, agence créée en 2004 par l’Union européenne pour assurer la surveillance de ses frontières, annonçait qu’elle allait elle aussi faire un geste. Non pas pour les victimes, mais pour l’Italie. Elle allait débloquer deux millions d’euros supplémentaires pour renforcer la surveillance côtière des îles italiennes au sud de la Sicile (dont Lampedusa) et en chasser les bateaux de passeurs.

Barroso et Letta ont bien mérité les sifflets qui les ont accueillis à leur arrivée à Lampedusa, de la part d’habitants de l’île brandissant les photos de victimes et dénonçant les responsables du crime.

Sommet de l’hypocrisie

Mais l’hypocrisie des gouvernants européens ne s’est pas arrêtée là. Ils se sont tous retrouvés, Barroso, Hollande, Merkel, Letta et d’autres, à la fin du mois d’octobre à Bruxelles pour le Conseil de l’Europe où, suite à la catastrophe, la question des « flux migratoires » (comme ils disent pudiquement) s’était invitée à l’ordre du jour. Il en serait sorti « Trois principes d’action et une méthode », s’est félicité François Hollande. D’abord une aide aux pays dits « de transit », notamment à la Libye, pour les aider à mieux faire la chasse aux migrants sur leur sol avant qu’ils ne prennent la mer vers l’Europe ; et les voilà tous de regretter le bon vieux temps de Kadhafi, avec qui ils avaient signé un programme d’aide à la surveillance des frontières et qui s’était acquitté de sa tâche énergiquement. Ensuite un renforcement des crédits et des moyens (équipements électroniques, navires, drones…) à l’agence Frontex, et la création d’ici décembre d’un organisme supplémentaire de surveillance baptisé Eurosur. Enfin, comme toujours, la mise en place d’un « groupe de travail ».

Qui effectivement ne manquera pas de travail ! Car ce qui taraude le plus les chefs d’États européens et a représenté l’essentiel de leurs discussions au sommet, c’est de savoir qui aurait à payer et surtout qui serait obligé de garder dans ses villes ou ses camps de rétention ces migrants qui finissent toujours par arriver jusqu’aux pays riches, au risque de leur vie. Et chacun de se renvoyer la balle. L’Italie, la Grèce ou l’Espagne veulent remettre en cause le principe, jusque-là admis, qu’il revient au pays où l’immigré débarque d’en assumer la charge ou l’expulsion. Hollande, lui, prétend que « Le partage a déjà lieu, la France est le deuxième pays d’accueil de réfugiés en Europe ». Tant pis pour les pays dont les côtes sont trop proches de l’Afrique ou de la Syrie, ou qui ont une frontière terrestre commune avec les pays du Moyen-Orient, comme la Grèce qui a construit son propre mur à son pas-de-porte avec la Turquie.

Il n’y a de frontières que pour les pauvres

Ce monde de murs, de barbelés et de chasses à l’homme n’empêche d’ailleurs en rien l’arrivée des migrants, chassés de chez eux par la misère ou par les guerres. Tout au pire ces barrières augmentent-elles les risques pris pour les passer. Si bien que le drame de Lampedusa n’en est qu’un de plus dans une longue liste : selon le décompte, forcément incomplet, du site Fortress Europe, près de 20 000 migrants sont morts en 25 ans, la plupart par noyade, en tentant de passer d’Afrique en Europe, le nombre s’étant fortement accru ces toutes dernières années.

Mais qui la crée, cette misère qu’on voudrait laisser à nos portes ? D’abord, bien sûr, les trusts des pays riches qui pillent le gros des ressources des pays pauvres, d’Afrique surtout en ce qui concerne les trusts français, et nos gouvernements qui soutiennent là-bas tous les régimes de dictature, dociles aux intérêts des exploiteurs. Trusts et sous-traitants des pays riches qui, parallèlement, exploitent amplement sur leur propre sol une main-d’œuvre immigrée condamnée à la précarité.

Les politiques des divers États en matière d’immigration, et aujourd’hui la politique plus ou moins coordonnée de l’Union européenne, sont consignées dans une infernale ribambelle de lois qui ne cessent de changer au fil du temps. Et changer surtout en fonction des besoins du patronat. Nous n’en sommes plus aujourd’hui à l’époque, entre l’immédiat après-guerre et les années 1970, où le patronat français allait lui-même chercher au Maroc, en Algérie ou ailleurs la main-d’œuvre pour ses mines, son BTP ou ses usines automobiles. Ni lui ni l’État n’étaient alors gênés de faire vivre cette main-d’œuvre dans des bidonvilles aux portes mêmes de Paris, à Nanterre pour les Algériens (jusqu’en 1972) comme à Champigny pour les Portugais. Le tiers-monde à domicile.

Aujourd’hui, c’est un peu le contraire : c’est au Maroc que Renault vient de mettre en fonction la deuxième tranche de son usine de Tanger, qui atteindra 350 000 voitures par an, fabriquées par 5 000 ouvriers payés 250 € par mois. C’est tellement moins cher que de les faire venir ici. Les trusts allemands de l’automobile externalisent de la même façon en Roumanie ou en Slovaquie. Mais la pratique est de plus longue date pour l’industrie textile au Maroc ou en Tunisie, pour les centres d’appels dans ces mêmes pays du Maghreb ou quelques pays francophones d’Afrique sub-saharienne, et bien d’autres. Quitte à développer le chômage dans les « métropoles » impérialistes.

Des boat people à la galère

Mais l’immigration se veut toujours « choisie », même si ce n’est plus aujourd’hui directement par le recruteur de Citroën dans les villages marocains. « La fermeté n’est pas la fermeture » explique Manuel Valls, « l’immigration doit répondre aux besoins de notre économie ». Il faudrait donc maintenant attirer de la main-d’œuvre qualifiée, jusqu’à des ingénieurs ou des chercheurs venus du tiers-monde. Et de récupérer des médecins maghrébins pour faire tourner les permanences et services de nuit des hôpitaux, d’attirer des médecins roumains pour meubler nos « déserts médicaux » où le médecin français trouve la clientèle ni assez riche ni assez nombreuse pour lui. Et même l’Éducation nationale de récupérer des vacataires d’Afrique du Nord pour ses collèges de banlieue !

De l’autre côté, à l’encontre de la main-d’œuvre à proprement parler ouvrière, le durcissement des réglementations au cours des 20 dernières années, les contrôles aux frontières, les menaces permanentes d’expulsion sont aussi un choix. Qui n’empêche pas la venue de ceux dont le patronat a besoin, notamment pour les travaux durs des champs, du bâtiment, du nettoyage ou de la restauration. Main-d’œuvre d’autant plus intéressante et rentable qu’elle est constituée d’hommes et de femmes venus à leurs risques et périls, sans papiers et sans droits, donc moins susceptibles de se défendre par crainte de l’expulsion.

Sauf lorsqu’ils osent sortir au grand jour pour faire grève massivement, comme les quelque 6 000 travailleurs sans-papiers exploités en France qui ont mené, en 2009-2011, une lutte au long cours de plus de deux ans. Ce qui, pour les patrons et les gouvernants, devient une tout autre histoire.

Olivier BELIN

Mots-clés Immigrés , Monde
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