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Le mouvement lycéen contre les expulsions

samedi 16 novembre 2013

On connaissait les arroseurs arrosés, voilà maintenant les éducateurs éduqués : les profs et les parents qui supportaient depuis des mois, sans marque extérieure d’exaspération, l’escalade des sales propos et sales coups du gouvernement contre la population d’origine immigrée. Mais quelques milliers de lycéens ont sifflé la fin de la récré ! Trop c’est trop. Ras-le-bol que les Roms soient montrés du doigt. Ras-le-bol qu’un gouvernement qui se prétend de gauche s’attaque précisément aux plus pauvres des pauvres. Ras-le-bol d’une Europe, dont la France, qui se barricade et fait de la Méditerranée un cimetière. Ras-le-bol de ces expulsions et reconduites à la frontière, surtout quand elles visent des potes de lycée ou de collège. « Les Roms ont vocation à retourner en Roumanie », a dit récemment Manuel Valls ? Et bien non, ils ont vocation à rester, ont répondu des milliers de lycéens ! Leur mouvement, démarré avant les vacances, est la meilleure et cinglante réponse à une politique nauséabonde.

Chronique des premiers jours

Paris : il est 6 heures du matin ce jeudi 17 octobre, et les lycéens du lycée Voltaire, dans le 11e arrondissement, sont déjà sur le pied de guerre. La veille, les camarades de Khatchik (un jeune Arménien expulsé) du lycée professionnel Camille-Jenatzy ont déclenché les hostilités, proposé une manifestation au rectorat et se sont adressés aux lycéens parisiens pour qu’ils les rejoignent. Parmi eux, ceux de Voltaire saisissent la balle au bond. Des petits groupes ratissent le quartier. Poubelles et barrières de chantiers sont soustraites à leurs propriétaires et utilement recyclées à des travaux pratiques protestataires : la barricade lycéenne ! À 7 heures, c’est fait. Le lycée est bloqué pour la journée. Les discussions vont bon train, la confection de pancartes aussi : « Sarkommence », « Khatchik à Paris, Valls en Arménie », « Non aux expulsions »... La solidarité s’organise avec les autres lycées qui viennent demander de l’aide à Voltaire pour mobiliser les leurs. À 11 heures, tous les lycées de l’Est parisien se retrouvent Place de la Nation. Trois heures de manif aux slogans de « libérez Khatchik », « 1re, 2e, 3e génération, nous sommes tous des enfants d’immigrés... », repris fermement par plus de 5 000 lycéens parisiens.

Le lendemain, le scénario prend de l’ampleur. Dans le 13e arrondissement, le lycée général Claude Monet s’est particulièrement organisé et les lycéens le bloquent dès 7 heures. À l’heure des cours, une assemblée tient lieu de leçon de démocratie lycéenne directe et d’auto-organisation pour tous les présents. Les lycéens de Gabriel Fauré, lycée populaire du quartier chinois situé à 200 mètres de là, réclament de l’aide. Ils n’ont pas réussi à bloquer leur bahut. Qu’à cela ne tienne... L’assemblée de Claude Monet envoie une vingtaine de lycéens pour prêter main forte. Ils s’ajoutent à la trentaine de Gabriel Fauré, contents de ce petit renfort pour tenir tête à un proviseur plutôt sur la défensive mais qui, face au nombre et à l’ardeur, se ravise et change opportunément d’avis. La mobilisation s’organise alors et, une heure plus tard, les lycéens de Fauré partent en cortège récupérer leurs camarades de Monet puis, ensemble à 250, rejoignent Bastille où se rassemblent une bonne partie des lycées parisiens.

Manifestations et coordination du mouvement

Le jeudi, plus de 5 000 lycéens se sont déplacés. Le vendredi, ils sont plus de 12 000. Une quarantaine de lycées, essentiellement parisiens mais aussi de banlieue, se sont joints au mouvement qui a essaimé aussi en province. À Rouen, Grenoble, Avignon, Marseille, La Rochelle, des lycées ont débrayé pour protester contre les expulsions de Khatchik et Léonarda. Vincent Peillon, ministre de l’Éducation qui a appelé les lycéens à retourner en classe le vendredi matin, n’a fait qu’attiser les braises. Tant mieux !

L’émotion suscitée par ces mesures d’expulsion ne s’arrête pas à un coup de colère sans perspective. La mobilisation s’organise rapidement et, dès le vendredi soir, une coordination lycéenne se réunit avec pour objectif d’échanger sur la mobilisation et de préparer la suite. Le lundi suivant, une nouvelle coordination rencontre un franc succès : 110 lycéens, représentants de 34 lycées. Une bonne nouvelle puisque les vacances n’ont pas empêché les lycéens de s’organiser et de prendre des initiatives pour maintenir l’agitation en attendant la rentrée. Des équipes de lycéens ne lâchent pas le morceau pour organiser la suite. L’ambiance reste à la détermination pour contrer la politique raciste du spectre allant du Front national au Parti socialiste.

La réponse bien sentie à un climat délétère

En guise de contre-feu à la révolte lycéenne, le gouvernement a entonné le grand air de la calomnie. Le Figaro du 17 octobre, relayant les informations du Ministère de l’Intérieur, ouvrait la danse du grand déballage médiatique sur la famille de Léonarda, dans un article intitulé : « Le passé trouble de Resat Dibrani », le père de Léonarda. L’argumentaire consistait à présenter la famille comme un cas désespéré, inapte à « l’intégration ». Le père aurait menti sur les origines de la famille dans ses déclarations pour obtenir la régularisation. Et alors ? Entre l’expulsion d’une famille entière dans un pays où elle est indésirable et une petite tricherie avec l’administration tatillonne dans l’espoir d’obtenir la régularisation, qui n’aurait pas choisi la deuxième option ? Le père de famille aurait également été violent envers sa famille. Mais en quoi l’expulsion améliorerait-elle la situation ? Et l’indignation a été à son comble quand Hollande s’est illustré par la proposition malhonnête faite à Léonarda de revenir en France en quittant sa famille ! Le gouvernement confirmait qu’il n’avait que faire de cette famille, comme des 20 000 sans-papiers expulsés depuis le début de l’année 2013. Dernier argument : la vieille rengaine des étrangers venus profiter des allocations (ô combien généreuses !) de l’État français. Des fadaises !

Une rentrée qui s’annonce mouvementée...

C’est à ce ramassis de préjugés qu’a répondu le mouvement lycéen. Non, Khatchik et Léonarda, Arménien et Rom, sont des lycéens comme les autres et n’ont qu’une vocation : à rester parmi nous. La réponse a été cinglante, appuyée par la force et l’enthousiasme des milliers de lycéens dans la rue. Enfin une réaction saine, une véritable bouffée d’oxygène au sein d’une atmosphère saturée par la démagogie anti-étrangers et anti-pauvres. La coordination lycéenne a d’ores et déjà commencé à préparer la rentrée. Les lycéens sont appelés à se mobiliser le mardi 5 novembre. L’UNEF a invité les étudiants à la rescousse. Il est à souhaiter que ce rendez-vous soit un succès, un tremplin pour la suite afin d’obtenir satisfaction sur les revendications que porte le mouvement : retour de Khatchik, de Léonarda et sa famille, arrêt de toutes les expulsions. 

30 octobre 2013, Samuel TERRAZ


Là où tout a commencé

Khatchik Khachatryan est scolarisé au lycée Camille Jenatzy, lycée professionnel de l’automobile du 18e arrondissement de Paris.

Le 19 septembre dernier, jour de son anniversaire, il est arrêté et placé en centre de rétention. Mais ses camarades de lycée, choqués par l’arrestation, se sont mobilisés. Le 10 octobre, ils ont réussi à convaincre les passagers du vol pour Erevan (Arménie) de refuser d’embarquer et de cautionner l’expulsion. Malgré ce premier succès, l’expulsion a bien lieu deux jours plus tard (parce que la préfecture a menti sur la date du retour de Khatchick pour éviter de voir à nouveau les terminaux de Roissy envahis par des lycéens).

Lundi 14 octobre, les lycéens de Camille Jenatzy entrent alors en grève et s’adressent à d’autres lycées, en particulier au lycée Dorian où Khatchik a également été scolarisé. Le rendez-vous est donné pour une manifestation devant le rectorat le mercredi après-midi. Près d’un millier de jeunes s’y retrouvent. Premier succès pour ces jeunes de lycées professionnels, de milieux populaires, qui ont été à l’initiative de ce mouvement. Le mot tourne : « demain il faut bloquer les lycées ». Un lycéen de Jenatzy le reconnaît : « Jamais je n’aurais pensé faire quelque chose comme ça. Avant, je serais resté dans mon coin. Mais là, je me dis que je n’aimerais vraiment pas être à sa place. Alors, même s’il a été expulsé, on continue » En se donnant les moyens de faire revenir leur camarade, les lycéens de Jenatzy ont réussi à déclencher un mouvement qui a agité tout le Paris lycéen. Et qui compte bien aller jusqu’à satisfaction.


Une coordination lycéenne organise le mouvement

Elle s’est réunie à quatre reprises pendant les vacances scolaires. Entre 13 et 34 lycées y étaient représentés, de Paris mais quelques-uns aussi de banlieue. À son maximum (pour le moment !), elle a rassemblé 110 lycéens pour discuter de la mobilisation et tâcher de se coordonner pour poursuivre la lutte à la rentrée. La discussion politique s’y déroule à bâtons rompus. Y compris sur les mots d’ordre. « Valls démission », par exemple, est loin de faire l’unanimité. Beaucoup n’y voient que le mot d’ordre du Front de Gauche et comprennent que virer Valls ne changerait rien — tout le gouvernement étant derrière Hollande pour s’opposer au retour de Khatchick et de Léonarda avec sa famille.

À une autre réunion de coordination, un lycéen présente un tract qu’ils étaient quelques-uns à avoir écrit et diffusé à une sortie de métro parisien. Une lycéenne présente la pétition que plusieurs sont allés faire signer à République et Bastille. Spontanément, des groupes agissent par eux-mêmes pour essayer de convaincre et s’adresser largement au-delà des lycéens, profitant du temps mort des vacances pour populariser leur cause à plein temps. Même si ces initiatives sont parfois chahutées en coordination. Titre de tract trop mou, contenu pas assez développé, pétition sur papier versus pétition sur Internet... Chacun a son mot à dire, et les plus bavards ne sont pas forcément les plus efficaces ! Mais on s’entraîne, on se rode. La mise en place d’une tribune élue en début d’assemblée pour organiser la discussion n’est pas encore acquise dans ces coordinations. Toute une génération de lycéens révoltés réapprend, et à vitesse grand V, comment organiser un mouvement fort de milliers de personnes. De ce point de vue, l’existence de la coordination lycéenne est un formidable point d’appui. Si le mouvement lycéen reprend à la rentrée, il s’agira de rendre cette coordination visible, d’en faire une véritable direction du mouvement que les lycéens ont bien raison de ne pas vouloir laisser aux syndicats lycéens (UNL et FIDL) directement issus... du parti socialiste au pouvoir !

Mots-clés Lycéens , Politique , Roms